CHAPITRE I : Présentation
générale
Afin de mieux comprendre la relation qui existe entre le mode
de management, les valeurs culturelles et la question d'éthique en
matière de gouvernance publique actuellement en Haïti, nous avons
choisi tout d'abord de traiter la question des valeurs culturelles de la
société afin de comprendre les différents traits et images
de la société. Ce qui nous permettra de mieux apprécier
les faits et les réalités afin d'apporter un jugement plus ou
moins juste un peu plus loin.
Les lois fondamentales de la société
haïtienne reflètent-elles les valeurs culturelles sur lesquelles la
population s'appuie pour agir, voire prendre les décisions quotidiennes
? Une question à laquelle nous répondrons dans la
troisième section de ce chapitre en faisant ressortir certaines lois
indispensables au bon fonctionnement et à la bonne gouvernance des
institutions et des hommes.
Les valeurs culturelles développées au sein de
la société revêtent une grande importance lors de la prise
de décision, mais aussi sur lesquelles l'on doit compter afin d'obtenir
des résultats positifs quant au comportement des hommes et des femmes.
Etant donné que le comportement d'un individu n'est pas automatiquement
lié à la morale, il va de soi que si l'on veut avoir des
individus qui respectent les principes éthiques une incitation à
l'amélioration du comportement individuel est nécessaire.
La question que nous nous posons ici est : quelle serait la
meilleure formule pour associer la culture d'un peuple au respect des principes
établis afin d'obtenir des résultats éthiques grâce
à des comportements responsables ?
Si les valeurs culturelles ont autant d'importance pour le
développement d'un peuple, quelle est la meilleure forme d'association
entre la culture et la bonne gouvernance ?
Section 1 Croyances, valeurs et le sous
développement en Haïti
Selon un texte de Jean Baptiste Onana, les performances
économiques des sociétés négro africaines font
qu'elles s'éloignent radicalement des débats d'experts sur les
concepts de développement utilisés actuellement. Deux auteurs ;
Etounga Manguélé (L'Afrique a-t-elle besoin d'un programme
d'ajustement culturel ?) et Axelle Kabou (Et si l'Afrique refusait le
développement ?), ont ouvert la voie à un débat sur un
éventuel éveil des consciences africaines sur la
nécessité d'une véritable révolution des
mentalités, condition sine qua non du développement des
sociétés négro africaines.
Dans la société haïtienne, comme
pratiquement dans toutes les sociétés négroafricaines,
trois critères permettent de caractériser le sous
développement ou tout simplement l'absence de développement : les
inégalités sectorielles de productivité, la
désarticulation du système économique et la
dépendance économique extérieure.
Avoir le pouvoir de contrôler, d'utiliser à des
fins personnelles tout ce qu'on peut trouver sur sa route et qui parfois
renvoie à des puissances imperceptibles, l'homme issu de la culture
négro-africaine emboîte le plus souvent le pas. La croyance dans
les forces invisibles a sans aucun doute plus d'importance pour lui qu'une
réponse scientifique lui permettant de résoudre un
problème ou d'améliorer une situation.
L'individu croit beaucoup plus dans ce qu'il ne peut pas voir
plutôt que faire confiance à un être visible, avec qui il y
a moyen de communiquer et trouver ensemble des aboutissements. Par exemple, un
jeune universitaire faisant des démarches pour trouver un emploi
après ses études, qui préfère passer des
journées de prière (pour certains) et/ou interpeller des forces
occultes pour aveugler le recruteur (pour d'autres) afin que le dossier passe
sans trop grande difficulté.
Pour faire suite, celui qui a la responsabilité de prendre
des décisions et ne pouvant pas s'en acquitter, préfère
implorer l'aide d'une (soit disant) force invisible pour
empêcher à d'autres de le critiquer afin de garder
son poste et continuer à diriger comme bon lui semble, au lieu de
laisser la place a quelqu'un d'autre.
La croyance aux forces surnaturelles a une très grande
emprise sur l'individu évoluant dans la société
haïtienne. "Elles lui permettent de trouver ce dont il a besoin et de
donner de bons résultats". Comment peut-on avoir un comportement
responsable et une morale acceptable si les actions dépendent de
l'imagination et de la bonne volonté des autres ?
Ce moule culturel qui existe dans notre société
fait que les individus ont un comportement conditionné par des habitudes
et des positions équivalentes. Une figure qui conduit le plus souvent
les jeunes à prendre comme référence les
prédécesseurs en disant que "ce n'est pas l'acte qui est
important en matière de gouvernance public, mais plutôt sa
positon". Donc avant même de penser à réaliser des actions
éthiques il vaut mieux rechercher une position de pouvoir.
Une attitude commune dans la société ; prendre
une décision qui ne plairait à certains groupes de personnes ne
serait pas trop indiqué. Il y a un fort développement de la
mentalité communautaire. Ceci constitue un obstacle pour des prises de
décisions éthiques et responsables dans la mesure où
celles-ci exigent de la part des acteurs d'avoir des obligations envers les
autres (esprit de protection, envie de la redistribution, comportement de
soumission et d'obéissance).
Ces valeurs sont source de sous développement dans la
mesure où les actions des individus restent inachevées mais
acceptées par la grande majorité sous prétexte que "li bon
konsa" (c'est bon comme ça). Selon un rapport datant de
19971, le développement ou le sous développement au
niveau d'une société dépend en grande majorité de
sa culture. Il affirme avec certitude que certaines cultures humaines se
1 Enquête du Mail au Guardian, Afrique du Sud,
12 juillet 1997
prêteraient davantage que d'autres aux exigences et
contraintes du développent moderne.
Certainement, il ne fait pas doute d'affirmer qu'une culture
qui encourage le travail, l'éducation, le sens de l'épargne, la
recherche et une conception restrictive de la parenté aura quelques
avantages du point de vue économique par rapport à une culture
qui encouragerait l'oisiveté, la prodigalité, les relations
parentales trop extensives et qui ne mette pas beaucoup l'accent sur des hommes
et des femmes bien formés. La culture haïtienne fait partie de
cette deuxième catégorie.
A noter que la culture n'est pas statique mais plutôt
dynamique. Elle est sujette à subir soit des changements fonctionnels et
structurels, soit une adaptation à l'évolution sociale et
économique du pays en question. Identique à notre
échantillon étudié qui est la société
haïtienne.
Ce sous développement est aussi lié au facteur
"temps" auquel les individus de la population haïtienne n'accordent aucune
importance particulière. Pour la plupart des décideurs publics
haïtiens, la perte de temps rentre dans l'ordre normal des choses. Si dans
le traitement d'un dossier le temps octroyé n'est pas respecté,
il semble toujours que prendre le temps qu'il faut pour le finir est
acceptable. Les valeurs développées dans la société
haïtienne ne forcent pas les individus qui décident voire ceux qui
exécutent à respecter les agendas définis à
l'avance2.
La question du sous-développement rend de plus en plus
difficile les bonnes actions éthiques des individus. Du fait que l'Etat
n'arrive pas à répondre à la demande de satisfaction des
acteurs qui évoluent dans la prise de décision publique, le vide
à combler offre toujours des possibilités de fraudes et d'actions
non conformes à la règle.
2 Voir à ce propos l'analyse de William H.
Newman, « Croyances culturelles et pratiques du management », Revues
Française de Gestion, No 56-57, mars-avril-mai, 1986.
Par exemple l'Etat dans ses observations a
décidé d'augmenter le salaire des juges parce que ce qui est
payé actuellement ne pouvait pas répondre au besoin et à
la capacité financière de ces derniers pour résister
à certaines ouvertures de corruption3. Ce rappel nous pousse
à comprendre qu'il y a effectivement un besoin à combler, mais le
problème du sous-développement, de la capacité
financière du pays à faire face reste une solution à
trouver.
Des actions ou des comportements éthiques sont
très difficiles à trouver de la part des individus parce qu'il y
a un grave problème de centralisation des services publics. Ce qui fait
que pour une certaine activité un individu peut avoir le plein pouvoir
de prendre sa propre décision et contrôler tout un
système.
Les croyances, les valeurs et les modes de vie
développés au sein de la société haïtienne
permettent aux individus de faire ressortir une identité à partir
de laquelle ils essayent de donner un sens à leur existence.
Face au problème du sous-développement qui est
remarqué en Haïti aujourd'hui et qui crée un
véritable embarras vis-à-vis de l'éthique dans certaines
décisions, nous sommes obligés de poser trois hypothèses
:
a) Il faut sans doute aujourd'hui une évolution
culturelle de grande ampleur pour arriver à faire des pas
considérables. Même si cette évolution aura à des
résistances culturelles à vaincre.
b) Il faut trouver une approche de management raisonnable,
adaptée à notre culture, à notre manière de vivre
et travailler progressivement.
c) Comme ce qui existe actuellement en Afrique
sub-saharienne, la mutation culturelle est tellement difficile à obtenir
que l'on considère tout simplement que certaines zones sont
condamnées par leur culture à ne pas sortir du sous
développement.
3 Le nouvelliste, novembre 2009
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