3. Les problèmes de la lutte contre le paludisme
au Congo belge
Nous avons démontré tout au long de cette
étude que le paludisme fut l'une des maladies les plus importantes que
le Congo belge ait connues. C'est ainsi que depuis le début de la
colonisation, le pouvoir colonial s'était décidé { mettre
des moyens nécessaires pour éradiquer cette maladie.
Néanmoins, les actions menées par le pouvoir
colonial se sont butées à des difficultés énormes,
de tout genre, ayant entravé le travail qu'il devait accomplir.
Premièrement, les difficultés
rencontrées furent d'abord le manque de moyens financiers pouvant
permettre l'éradication de cette maladie dans l'ensemble des territoires
du Congo belge.
En effet, la lutte contre le paludisme si elle devait
être menée correctement fait appel { un budget particulier.
Puisqu'il s'agissait de mener des vastes campagnes de désanophelisation
dans les grands centres, il fallait par conséquent prévoir un
budget spécial auquel le gouvernement n'a pu s'y atteler292.
Aussi, la situation économique de l'époque,
particulièrement la crise des années 1929-30 avait eu un impact
sur le budget du Congo belge ; ce qui a d'une part retardé les grands
travaux d'assainissement qui étaient considérés comme l'un
des principaux moyens de lutte antipaludique, dans le cadre de mesures
prophylactiques293. Suite à toutes ces lacunes,
l'administration coloniale n'avait effectué, au départ, que de
manière partielle cette lutte, en ne portant ses actions que dans
certains centres où seule la population européenne vivait, alors
que la population congolaise représentait la population la plus
nombreuse de la colonie. Il a
291 SCHWETZ, J., Art. cit, p. 12.
292 DROOGMANS, Art. cit, p. 20.
293 WERY, M., COOSEMANS, M. et alii, Art. cit, p. 17.
fallu attendre la fin de la seconde guerre mondiale, plus
particulièrement le plan décennal (1949-1959) pour que des moyens
appropriés soient mis à la disposition des services
médicaux, et auxquels la lutte antipaludique a
bénéficié294.
Deuxièmement, la méthode de lutte
préventive, avec la prise de la quinine, a montré
également ses limites. En effet, seule la population européenne a
pu en bénéficier, car la population congolaise avait eu du mal
à se familiariser avec ces méthodes préventives dont elle
ne voyait pas forcément une issue favorable; de même,
quininisée cette maladie revêtait un caractère grave au
sein de la population congolaise295. Cette situation était
due d'une part { la négligence des Congolais dans la prise de ce
produit, or pour que celui-ci donne des résultats satisfaisants, il
impliquait une prise régulière et quotidienne296 et
d'autre part, il ne faut surtout pas oublier que la population congolaise se
refusait { consommer ce médicament quand elle n'était pas
malade297.
Troisièmement, les travaux pour la lutte
contre le paludisme ont souffert sensiblement de l'insuffisance d'un personnel
approprié. Cette absence a été aussi l'une des
difficultés auxquelles les autorités devaient faire face. En
effet, la lutte contre le paludisme n'est pas un domaine que tous les
médecins connaissent ; cette lutte faisait appel à un personnel
de tout genre, à savoir des ingénieurs hygiénistes, des
entomologistes, des biologistes, etc., spécialisés en la
matière. C'est ainsi que l'absence de ce personnel bien formé
avait suscité des préoccupations auprès des
autorités sanitaires, car pour entreprendre des mesures antimoustiques,
ou antilarvaires, il fallait nécessairement disposer d'un personnel
qualifié et spécialisé dans la lutte
antipaludique298.
Enfin, le manque de matériels et produits
nécessaires avait également ralenti les actions menées par
l'administration coloniale. Ainsi, avant l'apparition des insecticides à
effet rémanent, la lutte antimoustique n'occupait qu'une place minime
dans la lutte
294 Conseil du gouvernement, Discours du G.G. Jungers
E., 1949, p. 26.
295 Rapport sur l'hygiène publique, 1934, p. 21.
296 Rapport sur l'Hygiène Publique, 1932, p. 15.
297 Rapport aux Chambres, 1932, p. 15.
298 DROOGMANS, Art. cit, p. 640.
antipaludique, car les produits dont disposaient les services
d'hygiène n'avaient qu'une faible activité. C'est ainsi que
durant longtemps, il a été difficile { l'administration coloniale
d'envisager une lutte { grande échelle. Quoique la situation
s'améliora après la seconde guerre mondiale, avec l'introduction
de nouvelles techniques et de nouveaux produits, notamment les insecticides
à effet rémanent, nécessaires dans cette lutte contre le
paludisme, il fut toutefois reconnu par les autorités que
l'éradication totale de la maladie n'était plus possible, mais
que seule une rétrocession considérable pouvait être
envisagée299.
En outre, au-delà des préoccupations
suscitées par le paludisme, il a été établi que
malgré les moyens mis en place dès le début de la
colonisation et malgré l'intensification de la lutte antipaludique
amorcée vers la fin des années 40, le paludisme resta toujours en
progression continue au sein de la population congolaise, et ce jusqu'{ la fin
de la colonisation. Lorsqu'on examine le graphique 2, l'on se rend compte que
la courbe de prévalence est en pleine croissance, de 0,2%o en 1918 {
69,3%o en 1958. L'évolution de cette prévalence témoigne
donc de l'impuissance de l'administration coloniale { contrôler et
à combattre efficacement cette maladie au sein de la population
congolaise.
Il ne faut cependant pas perdre de vue que les
priorités sanitaires de l'administration coloniale n'ont pas
été les mêmes pour les deux populations. La santé de
la population européenne fut la première préoccupation des
autorités administratives, il s'agissait de défendre cette
population contre toutes maladies en réduisant considérablement
la morbidité et la mortalité qui leur étaient
dues300. Tandis que les priorités concernant la population
congolaise étaient relayées au second plan, leur santé ne
fut au centre de ces préoccupations qu'en fonction des priorités
économiques de la colonie. Puisqu'il fallait assurer le
développement de l'entreprise coloniale, il convenait également
d'assurer la santé de la principale main-d'oeuvre, sa base pour ainsi
dire, sans laquelle il aurait été difficile voire même
impossible d'assurer la prospérité de la colonie301.
On comprend dès lors que la lutte contre le paludisme n'a pas
été épargnée par cette politique sanitaire mise en
place par l'administration
299 MOUCHET, Art. cit, p. 735.
300 Van der KERKEN, La politique coloniale belge,
Anvers, ed. Zaïre, 1943, p. 181.
301 Idem, p. 226.
coloniale. Ce qui explique entre autres l'échec des
stratégies élaborées par les autorités coloniales
pour la maîtrise de la propagation du paludisme au sein de la population
congolaise.
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