2.2. Mesures curatives
Pour rendre plus efficace les mesures prônées
dans la lutte contre le paludisme, il fut question que les pouvoirs publics
puissent soumettre les personnes atteintes de cette maladie à un
traitement médical approprié et donc { l'action curative.
Le paludisme est l'une des maladies pour lesquelles, on a
connu le remède bien avant la cause de la maladie. Et c'est l'usage de
la quinine qui a été retenu comme le moyen le plus efficace pour
se préserver des fièvres paludéennes. C'est ainsi que
dès le XIXe siècle, une propagande importante fut
faite au Congo, auprès des résidents, pour l'adoption de la
quinine { titre préventif et curatif. Les premiers succès obtenus
contre le
269 Idem, p. 743.
270 Ibidem.
271 Rapport aux Chambres, 1957, p. 72.
272 Ibidem.
paludisme lui sont dus presque exclusivement273.
Ainsi, les pouvoirs publics vont procéder à la distribution
gratuite de la quinine aux Européens résidant au Congo,
particulièrement aux agents de l'Etat, aux missions et aux
sociétés274. Au départ, cette mesure
n'était pas acceptée par tous les Européens, mais au fil
du temps cette méthode commença à être
acceptée par la plupart des Européens275. C'est ainsi,
au Congo, la prise quotidienne de la quinine et le fait de dormir chaque nuit
sous une moustiquaire étaient une pratique obligatoire pour les
Européens afin de prévenir le paludisme276.
Toutefois, cette mesure ne concernait nullement toute la
population congolaise, seuls les nourrissons en bénéficiaient
lors des consultations médicales. Plusieurs raisons furent à la
base de cette situation. Premièrement la généralisation
des distributions régulières de quinine aurait coûté
énormément d'argent au gouvernement colonial, compte tenu de la
cherté de ce produit ; deuxièmement, non seulement les
populations congolaises ne disposaient pas d'assez de moyens pour l'achat de ce
médicament, mais aussi, elles se refusaient à consommer ce
médicament quand elles n'étaient pas malades277. En
dehors des missions et de quelques hôpitaux, aucun Congolais
n'était dans la possibilité d'avoir recours { des traitements
curatifs. C'est ainsi qu'au départ, seuls, les Européens ont
bénéficié de la prophylaxie médicamenteuse,
considérée comme l'une des armes efficaces et prometteuses dans
la lutte antipaludique278. Or, il était indispensable de
défendre la population congolaise contre le fléau du paludisme,
si le gouvernement colonial voulait éviter les effets néfastes du
paludisme sur le bien-être de la population congolaise, ainsi que sur
l'économie du pays et s'il voulait assurer la prospérité
de la colonie. Il fallait donc mettre en place des mesures nécessaires
pour la répression de cette maladie.
273 WERY, M- JANSSENS, P.G., Art. Cit, p. 1248.
274 MAES, P., La Lutte Antipaludique, Facteur Important du
Développement Economique des pays Tropicaux, Mémoire de
Licence en sciences Commerciales et coloniales, Institut Supérieur
Commercial et consulaire Mons, 1958-1959, p. 69.
275 Rapport aux Chambres, 1926, p. 10.
276 LAMBIN, F., Congo belge, publié sous les
auspices du Ministère des Colonies et du Fonds Colonial de Propagande
Economique et Sociale, Bruxelles, édition Cuypers, 1948, cité par
HUNT, N.R., A Colonial Lexicon of Birth Ritual, Médicalization and
Mobility in the Congo, Durham and London, 1999, p. 245.
277 Rapport aux Chambres, 1932, p. 15.
278 Rapport aux Chambres, 1951, p. 172.
Aussi, en 1932, l'administration coloniale
négocia-t-elle avec le Département de l'Agriculture des Indes
néerlandaises279 la livraison, à des prix
réduits, de grandes quantités de quinine pour permettre aux
services médicaux de combattre le paludisme de façon
adéquate280. Cette négociation permit tout de
même au Congo d'obtenir ce produit { un prix inférieur { celui du
marché. Mais l'achat de quinine en grande quantité revenait
encore à 500 fr. le kg, ce qui fait que, en 1936, le Congo belge avait
importé 4.537 kg de quinine pour une valeur de 2.700.000
fr281. A cette allure, il était difficile à
l'administration d'améliorer nettement la situation. Etant donné
l'importance du paludisme et la cherté de l'unique médicament
connu pour combattre cette maladie, l'administration avait tout
intérêt, sur l'avis des services médicaux, {
posséder lui-même ses propres plantations de
quinine282.
Par ailleurs, pendant la deuxième Guerre Mondiale, le
gouvernement eut quelques difficultés quant à la distribution
gratuite de quinine. En effet, durant cette guerre, le principal pays
fournisseur de quinine qu'était la Hollande, vit ses plantations de
quinquina, situées à Java, tomber sous le contrôle des
troupes japonaises, ce qui paralysa l'exportation de ces produits vers d'autres
pays ; ceci expliqua le fait que l'administration coloniale fut dans
l'obligation de rationner sa distribution de quinine, ce qui entraina une
légère augmentation de la mortalité par paludisme chez les
Européens, mais surtout chez les Congolais, qui ne
bénéficiaient déjà pas des mêmes avantages
que la population blanche283. Cette situation poussa encore plus les
autorités coloniales à tout mettre en place pour obtenir leurs
propres plantations de quinquina, compte tenu du fait qu'en cas de guerre, le
Congo aurait eu d'énormes difficultés { s'approvisionner en
quinine284. Les deux guerres avaient mis plus d'un gouvernement en
éveil.
C'est pendant cette même guerre de 1940-45, plus
particulièrement en 1942 que le Congo belge décida d'acheter
une usine afin de produire la quinine nécessaire au Congo et au
279 Les Indes néerlandaises, avec leur plantation de
quinine se trouvant à Java, furent les principaux fournisseurs du Congo
belge.
280 MAES, P., Op. cit, p. 70.
281 Ibidem.
282 Ibidem.
283 Rapport aux Chambres, 1939-1944, p. 43.
284 MAES, P., Op. cit, p. 70.
Ruanda-Urundi ainsi qu'aux autres territoires
africains285. Ainsi une fabrique de quinine fut montée
à Bukavu durant les années 1943-1944, et entra en fonction en
août 1944286. Ce qui permit aux autorités en place
d'envisager une prophylaxie médicamenteuse { plus grande
échelle.
La raréfaction de la quinine au cours de la seconde
Guerre Mondiale eut également pour conséquence un recours plus
fréquent aux antipaludiques de synthèse287. En effet,
les lendemains de la guerre furent marqués par l'introduction des
nouveaux antipaludiques de synthèse (chloroquine, proguanil,
pyrimethamine,...). Ces produits modifièrent radicalement la
stratégie de lutte antipaludique288. La distribution de ces
antipaludiques de synthèse se fit sous la responsabilité des
services d'assistance médicale, ceux-ci les distribuaient à leur
personnel, à la population congolaise indigente, aux enfants dans les
consultations des nourrissons, dans les consultations prénatales, ainsi
que dans les écoles289. De ce fait, cette distribution des
antipaludiques dans les consultations pour nourrissons a eu une incidence
importante sur la morbidité et la mortalité
infantile290.
Cependant, l'efficacité de la lutte curative contre le
paludisme, visant { guérir les malades déj{ atteints, ne peut
être visible que si elle s'accompagne d'autres mesures prophylactiques.
L'action curative ne constitua pas une solution stable pour combattre la
maladie, elle ne put être envisagée qu'en y ajoutant les mesures
prophylactiques antimoustiques. Ce n'est qu'{ ce moment l{ qu'on a pu parler
d'une lutte efficace et systémique. Il ne faut cependant pas perdre de
vue que malgré l'intensification des mesures de lutte contre le
paludisme, celui-ci resta en progression au sein de la population
congolaise.
Par conséquent, la solution au problème du
paludisme ne put être abordée uniquement sur l'aspect
médical, comme le dit si bien le Dr Schwetz : « La malaria
devint un double problème très important, pour les
Européens dans certains grands
285 Idem, p. 82.
286 Ibidem.
287 WERY, M- JANSSENS, P.G., Art. Cit, p. 1243.
288 Ibidem.
289 MAES, P., Op. cit, p. 111.
290 FOREAMI, Rapport annuel, 1955, p. 25.
centres et pour les congolais vivant dans les zones
rurales. Or la malaria n'est nullement un problème médical
ordinaire que tous les médecins connaissent. C'est un problème
spécial nécessitant des connaissances spéciales :
protozoologique et entomologique, morphologique et biologique. Pour la
combattre il faut donc avoir des médecins spécialisés dans
ce domaine »291.
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