CHAPITRE.IV. POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LE
PALUDISME
Le présent chapitre se propose de faire ressortir la
politique élaborée par le pouvoir colonial afin
d'éradiquer les conséquences désastreuses du paludisme sur
les populations blanche et congolaise.
1. Les recherches scientifiques et médicales
dans la lutte contre le paludisme
Dès la création de l'Etat indépendant du
Congo, le problème de santé en général et
l'extension des maladies tropicales en particulier figuraient parmi les
préoccupations de l'administration coloniale193.
S'étant rendu compte des désastres causés
par certaines maladies, notamment le paludisme, la fièvre
hémoglobinurie, la maladie du sommeil ainsi que la variole, non
seulement dans les rangs des agents de l'EIC, mais aussi au sein de la
population congolaise, l'administration coloniale s'était donnée
comme mission l'élimination voire l'éradication de toutes ces
maladies. Ainsi, le relèvement du niveau de santé de la
population tant européenne que congolaise, ainsi que la lutte contre les
maladies infectieuses et parasitaires furent considérées par
l'administration coloniale comme un de ses principaux devoirs194. De
ce fait, l'un des domaines sur lequel le pouvoir colonial porta toute son
attention pour remédier à cette situation fut la recherche
scientifique et biomédicale. En ce sens que cette dernière fut
considérée comme la clé de la lutte contre toutes les
maladies pouvant être évitées195.
En effet, les recherches scientifiques et médicales ont
été le fil conducteur des programmes d'exploration en ce qui
concerne l'Afrique en générale et le Congo en
193 RUPPOL, J.F., Art. cit, p. 2.
194 Idem, p. 3.
195 JANSSENS, P.G., « Recherche scientifique
biomédicale », in JANSSENS, P.G., KIVITS, M., VUYLSTEKE, J.,
Médecine et hygiène en Afrique centrale de 1885 à nos
jours, Vol. I, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, 1992, p. 196
particulier196. La plupart des maladies qui y
sévissaient n'étaient pas encore bien connues des médecins
européens, qu'il s'agisse de la maladie du sommeil, du paludisme et de
la fièvre hémoglobinurie, des dysenteries, les connaissances sur
leur mode de transmission et de propagation étaient
limitées197. Il va donc de soi que les observations et
recherches médicales se voyaient attribuer une très haute
priorité dès la colonisation européenne en Afrique.
De même, l'intérêt réel de l'E.I.C
pour la recherche se trouva affirmé par la succession des missions
scientifiques et médicales effectuées pendant toute la
période coloniale198. Parmi les plus célèbres,
nous pouvons citer la mission J. Rodhain effectuée sur la maladie du
sommeil respectivement au Maniema(1910) et dans l'Uélé(1913), les
recherches sur la lèpre, l'onchocercose et l'éléphantiasis
dans l'Uélé par A. Dubois (1934) 199 ; les recherches sur la
bilharziose par Van den Berghe(1936), etc.
C'est dans ce contexte-là que la lutte contre le
paludisme a été envisagée par le pouvoir colonial. La
connaissance, la maitrise et le contrôle de l'environnement du paludisme
ont constitué la stratégie initiale adoptée dans la lutte
contre le paludisme.
A cet effet, plusieurs recherches et études ont
été entreprises au Congo ; il y eut notamment l'envoi de
plusieurs missions spéciales dans les régions endémiques
pour effectuer une enquête approfondie sur le paludisme200,
à savoir : découvrir les types d'environnement et les modes de
propagation de la maladie201. Grâce à la
création et à l'installation d'un laboratoire de recherche {
Léopoldville202, plusieurs chercheurs ont pu effectuer leurs
études sur le paludisme, ce qui permit à ce laboratoire de jouir
rapide d'une renommée internationale203.
Les premières études sur le paludisme au Congo
belge sont celles menées en 1899 et 1900, dans le laboratoire de
Léopoldville. Il s'agit d'une étude effectuée par Van
196 Ibidem
197 RUPPOL, J.F., Art. cit, p. 1.
198 JANSSENS, P. G, Art. cit, p. 197.
199 Idem, p. 199.
200 MORISSENS, G., L'oeuvre civilisatrice au Congo
belge, Mons, édition Desquesne, 1912, p. 193.
201 DROOGMANS, H., La Malaria. Communication faite au
cercle africain, 1925, p. 19.
202 MORISSENS, G., Op. cit, p. 193.
203 ANDRE, J., BURKE, J., Art. Cit, p. 150.
Campenhout et Dryepondt. Ces chercheurs, grâce à
leurs études, ont constaté que de toutes les maladies qui
touchent les Européens, le paludisme occupe une place
prépondérante204 ; ces chercheurs ont analysé
aussi bien la propagation du paludisme que son traitement et sa prophylaxie ;
ils ont également décrit l'origine des différentes
fièvres paludéennes205.
En 1906, le docteur Broden, successeur à la direction
du Laboratoire de Léopoldville, effectua des recherches relatives {
l'hémoglobinurie et confirma la thèse selon laquelle cette
maladie serait une complication du paludisme et que sa prévention est la
même que celle du paludisme206. Celui-ci, suite à ses
recherches, préconisa l'importance de l'emploi prophylactique de la
quinine comme le meilleur moyen de prévention de la maladie er de ses
complications207. C'est notamment sous l'impulsion de ces deux
chercheurs que le Laboratoire de Léopoldville concentra dès le
départ son attention sur le paludisme et sur l'une des ses complications
les plus graves, la fièvre hémoglobinurie208.
Depuis ces premières études, le problème
du paludisme a été analysé sous de multiples aspects,
à savoir : la répartition des espèces
anophéliennes, l'épidémiologie, la prévalence, la
transmission, les méthodes de prévention, de prophylaxie, les
aspects administratifs de l'arrêt de la chaîne de
transmission209.
La reprise du Congo par la Belgique a permis à la
couverture sanitaire de se développer et de se restructurer. Ainsi,
d'autres études ont été organisées sous la
direction des services du Gouvernement Général pour approfondir
les différentes connaissances relatives au paludisme.
Deux chercheurs avaient cependant tenté de
présenter une étude d'ensemble sur le paludisme au Congo belge :
il s'agit du Dr A. Duren (1937 et 1951) et J. Gillet (1953). Ces deux
études traitent de l'importance du paludisme dans la pathologie
générale et nous
204 WERY, M- JANSSENS, P.G., Art. cit, p. 1240.
205 Idem, p. 1241.
206 Ibidem.
207 De la connaissance à la science, approche
structurelle, p. 135.
208 Idem, p. 134.
209 WERY, M- JANSSENS, P.G., Art. cit, p. 1241.
fournissent des informations sur la mortalité et la
morbidité dues au paludisme chez les Européens comme chez les
Congolais210.
En 1948, une étape importante dans la recherche en
paludologie est la découverte du docteur Vincke211. Ce
dernier avait effectué des recherches sur le paludisme des rongeurs. Ses
découvertes ont contribué { l'étude expérimentale
de la transmission de la chimiothérapie, de
l'épidémiologie et de la lutte contre le
paludisme212.
Les études les plus importantes d'entre elles ont
été effectuées par le Dr Schwetz. En effet, celui-ci
consacra une majeure partie de ses études sur l'état du paludisme
au Congo belge ; il s'agit entre autres des études effectuées sur
le paludisme au Bas-Congo et Kwango(1936), dans la Province Orientale(1939),
ainsi qu'{ Coquilhatville(1945)213. De retour dans la
Métropole, ce chercheur continua les études sur le paludisme
qu'il avait commencées en Afrique214.
Toutefois, les efforts de l'administration coloniale n'ont pas
été les seuls { avoir contribué aux recherches
scientifiques. De nombreuses initiatives privées et certaines
associations philanthropiques médicales s'y sont aussi investies
215. Il s'agit entre autres de l'Institut de Médecine Tropicale
d'Anvers(IMT), de l'Institut pour la recherche Scientifique en Afrique Centrale
(IRSAC) qui dès le début de leur création, avaient
entrepris des recherches expérimentales sur le paludisme, son
écologie et le mode de vie des vecteurs216. Le
ministère des colonies comme les autorités sanitaires du Congo
belge pouvaient se référer { l'IMT lorsqu'un programme de lutte
ou de prévention était en cours
d'élaboration217. De même, pour parer à la
propagation de certaines endémies, tels que le paludisme et la maladie
du sommeil, les autorités coloniales signeront des conventions avec
certaines sociétés industrielles. Celles-ci vont contribuer
également à
210 Ibidem.
211 Idem, p. 1242.
212 ANDRE, J., BURKE, J., Art. cit, pp. 99-100.
213 De la connaissance à la science, approche
structurelle, p. 18.
214 Ibidem.
215 RUPPOL, Op. cit, p. 4.
216 ANDRE, J., BURKE, J., Art. cit, pp. 99-100.
217 De la connaissance..., p. 153.
la lutte contre ces maladies. C'est le cas de l'Union
Minière du Haut Katanga, des Huileries du Congo belge, des Mines d'Or de
kilo moto218.
Toutes ces différentes missions et études ont
été d'une importance capitale quant { la connaissance du
paludisme au Congo belge ; elles furent également une
nécessité pour toute question relevant de l'étiologie et
de l'épidémiologie lorsqu'il s'agissait d'établir des
programmes de lutte afin d'éviter de nouveaux foyers de la
maladie219. Il s'agissait pour l'administration coloniale de faire
connaître la maladie, en ordonnant la publication des documents portant
sur cette maladie. Ainsi, les bases d'une lutte efficace pouvaient être
établies pour combattre ce fléau.
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