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L'éloge du matriarcat dans "la mémoire amputée de Werewere-Liking

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par Arnaud TCHEUTOU
Université de DoualaCameroun - Diplôme d'études approfondies 2008
  

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II.2- L'élan d'humanisme.

Outre son intégrité, le personnage féminin se distingue par son humanisme et ceci transparaît à travers son humilité d'une part et son altruisme d'autre part. L'humilité de ce personnage se manifeste par son caractère modéré, exempt de toute vanité. L'aventure de Halla Njokè est parsemée d'embûches surtout lorsqu'elle quitte le domicile familial pour se mettre à son propre compte. Alors que toutes les difficultés rencontrées par une gamine d'à peine dix-huit ans, qui manque jusqu'à un abri, devraient l'assujettir à l'envie, on est

47- Jean-Népomunène Nkuriti Yimfura, « Place et rôle de la femme dans la société et l'histoire rwandaises : permanences et mutations (XVIIIe - XXe siècles) In L'Histoire des femmes en Afrique, Groupe « Afrique noire », Cahier no 11, Paris, L'Harmattan, 1987, pp. 45-54.

surpris de ce qu'elle refuse la proposition de mariage que lui fait « un magistrat, procureur de la République » (M.A., 321).

« Monsieur le Procureur » (M.A., 322) est un homme craint de tout le monde, comme c'est le cas en Afrique, à cause du pouvoir qu'il détient de faire emprisonner qui il veut et quand il le souhaite. Halla a été victime de ce pouvoir excessif, du seul fait qu'elle ait refusé de continuer d'être la concubine du « tout puissant », celui que tout le monde vénère, même le patron du cabaret où elle travaille comme chanteuse. Son patron plie l'échine devant lui, « enrobant [son] ton de toutes sortes de mielleries, avec des `'Maîtres» par-ci, `'Monsieur le Procureur par-là `'» (M.A., 322). Cet homme est même craint par « Monsieur le `'Gouverneur de la province» » (M.A., 324) qui, face à l'irresponsabilité conjugale dont est accusé le Procureur par son épouse légitime, demande plutôt à la gamine de le ramener à l'ordre. L'interpellation illogique du Gouverneur est à l'origine de la révolte et du désistement de Halla :

« Il commença à passer de plus en plus de temps avec moi, à prendre même sur ses heures de travail ou de vie conjugale pour m'emmener à la plage, au cinéma, etc. La relation ne tarda pas à défrayer la chronique. Je fus convoquée par Monsieur le `'Gouverneur de la province» qui me conseilla la discrétion et la tempérance dans mon rapport avec un haut fonctionnaire de l'Etat. A moi la mineure, on demandait de contrôler les élans d'un adulte à sa place, un haut responsable de l'Etat de surcroît. Je me révoltai et décidai de rompre avec lui. Mais il me fit rafler et enfermer trois jours durant dans une cellule de la police judiciaire où son cousin était commissaire principal » (M.A., 324).

L'abus d'autorité sévit ainsi contre une mineure, lui ôtant l'un des droits les plus inaltérables, le droit de sentir, d'aimer ou pas. Le pouvoir absolu du « géant » s'écroule devant le charme et la résistance de la « vermine » qui ne démord pas. Déchu, il sollicite son cousin commissaire pour qu'il plaide pour lui : « Mon cousin a besoin de toi comme de l'air qu'on respire pour sa stabilité » (M.A., 324). Le domicile de Halla, après sa libération, devient « une

nouvelle prison. Plus luxueuse peut-être, mais plus oppressante aussi » (M.A., 324-325). Il faut le souligner, c'est le Procureur qui sort Halla de ce qu'on pourrait appeler la misère. Après avoir quitté le domicile familial, elle vit chez des amis. Son « bouclier » (M.A., 323) la met aux petits soins :

« Il assurait un loyer enviable dans un quartier chic, un niveau de vie agréable, des soins de santé et de beauté ; et une jolie voiturette `'mini-minor» comme rêvaient d'en posséder toutes les jeunes filles ! Bien que je n'aie pas l'âge d'un permis de conduire, il m'en fit délivrer un provisoire » (M.A., 323).

Malgré ce confort, la narratrice ne l'aime pas. Elle le trouve « maladivement jaloux, collant, exigeant [...] et fatigant » (M.A., 323). Elle repousse d'ailleurs sa proposition de la prendre « en secondes noces, une épouse d'à peine dix-huit ans. Je me permis de rappeler que je n'étais pas amoureuse de lui » (M.A., 325). Cette réaction dépite Monsieur le Procureur qui appelle ses propres parents à la rescousse pour qu'ils persuadent la gamine de l'épouser :

« Sa vie et sa carrière sont en jeu, si tu n'acceptes pas de l'épouser : car lui sera alors prêt à tout abandonner pour toi, [...] dit son père. Ma femme et moi te supplions d'accepter ce mariage, ne serait-ce que le temps pour notre fils de se calmer. Nous t'aiderons ensuite à obtenir un divorce si tu y tiens toujours, à ton entière faveur, ce qui correspondra à beaucoup d'argent, de quoi refaire ta vie avec un gars de ton âge. Tu es encore assez jeune pour tenter sans grands risques une aventure aussi rentable, en attendant de trouver l'amour... » (M.A., 325-326).

La tentative de corruption morale voire sentimentale envenime plutôt la résistance. Témoignant sa dignité et sa modestie, Halla prouve qu'elle n'est pas vaniteuse et envieuse. Elle préfère l'honneur dans la misère que l'opulence dans la servitude, pour paraphraser un homme politique, Sékou Touré, à l'ère des luttes d'indépendance en Afrique:

« Je ne sais pas pourquoi exactement je fus prise d'une telle colère. Peut - être par jalousie en voyant ce que certains parents étaient capables d'entreprendre pour leurs enfants. Voici que ces respectables vieilles personnes se donnaient encore tant de mal pour leur fils arrivé au sommet de la société, et ils étaient prêts à acheter ma moralité, ma dignité et toute ma jeunesse, pour garantir son avenir à lui. Ma situation matérielle, financière et même filiale me mettait en situation d'accepter car il n'y aurait personne de mon côté pour me protéger, ô mon père, ô ma mère. Ma colère allait exploser contre vous, et ils croiraient que c'est contre eux. Je me levai et leur abandonnai la maison sans pouvoir dire un mot, tant ma gorge était nouée ! » (M.A., 326).

Certes, en fin de compte, Halla est contrainte d'accepter la proposition. Mais non pour les biens exhibés, mais à cause de son manque de soutien face au « bouclier suprême » (M.A., 334). En fait, combien sont les jeunes filles qui, face à une situation comme celle que traverse Halla, hésiteraient avant de donner leur approbation au mariage, tant l'offre est alléchante ? La probabilité pour qu'on en trouve dans la conjoncture actuelle de l'Afrique, où les désirs et envies guident la raison, est presque nulle. Au demeurant, l'attitude de la narratrice est un éloge fait à la femme traditionnelle qui n'est pas gouvernée par la vanité, le goût du luxe, les masques grotesques ; plutôt par des valeurs inoxydables telles que la dignité, l'honneur et la fierté...

A travers les attitudes de Monsieur le Procureur, Werewere-Liking met à nu les bassesses des gouvernants africains qui, malgré leur pouvoir absolu et les abus d'autorité qu'ils pratiquent, ne résistent pas devant la nudité d'une jeune fille à peine pubère. Ainsi se pose la problématique du pouvoir. Quand les autorités civiles ou politiques déraisonnent devant le charme d'une pubère, finalement qui détient le pouvoir ?

L'humilité féminine se dessine aussi à travers le questionnement de soi, un exercice qui dépouille l'humain de toute velléité de superpuissance, le conditionnant à se remettre à l'évidence selon laquelle il n'est qu'une particule du cosmos ayant des qualités et des défauts. L'environnement textuel donne à

voir trois Lôs, tous des hommes. L'équation est vite résolue : seuls les hommes sont « surpuissants », donc inaptes au travail de remise en question de soi et réduits aux confins de l'ego qui traque l'auto-sanction. L'acceptation d'autrui au travers de l'anéantissement de l'ego étant l'ornière de salut vers l'émergence et la félicité, il va sans dire que le « mâle » est l'éternel attardé parce que demeurant dans la puérilité. On s'accorde avec Naja qui, revenue à de meilleurs sentiments après la mort de son second époux, affirme :

« Ma fille, les hommes demeurent éternellement des enfants. Même au plus haut de son âge, ton homme te rappellera souvent qu'il est encore un enfant. Tu dois donc garder cela présent à l'esprit si tu tiens à vivre avec lui jusqu'à la fin de tes jours, et en tenir compte pour pouvoir l'aimer encore et encore » (M.A., 364).

Ce propos plein d'émotion et de tendresse révèle l'état d'esprit de l'émettrice. Se languissant, elle regrette de ne l'avoir pas compris plus tôt. Et d'avoir orchestré une suite de machinations contre Njokè qui n'était que dans son plein rôle infantile. Malheureusement le pire a été atteint et le divorce a été prononcé. Mais comme la femme est humble, Naja a le courage de faire son mea-culpa : « Pour ne l'avoir pas compris à temps, j'ai perdu ton père » (M.A., 364). La mère de Halla se rend responsable du divorce alors qu'en réalité, elle se défendait. Tous ses chantages et ragots n'avaient pour but que de reconquérir son mari qui ne lâchait pas prise sur ses multiples infidélités et qui avait poussé l'infamie en abandonnant femme, enfants et domicile conjugal pour s'installer dans le même quartier avec une autre femme, Mam Naja. L'orgueil des hommes se justifie dans la mesure où, parcourant toutes les quatre-cent quinze pages du chant-roman, nous n'avons décelé aucun personnage masculin ayant avoué son forfait suite à un tort commis ou même demandant pardon pour garder l'harmonie sauve, même s'il a raison.

Même l'homme que Naja épouse en secondes noces n'a pas daigné faire son mea-culpa vis-à-vis de sa belle-fille, Halla, qu'il a méprisée et chassée de son domicile comme une malpropre, pourtant il est bien un chrétien Témoin de Jéhovah, donc sensé être courtois et hospitalier : « Je ne veux pas de cette fille chez moi, c'est clair, ai-je décidé » (M.A., 248). Son inhospitalité tient non seulement à son agressivité mais aussi à la jalousie due à son épanchement amoureux pour sa belle-fille : « J'étais déjà amoureux d'elle et je savais qu'on ne s'aimerait pas » (M.A., 248). Son agressivité se justifie par la bastonnade inhumaine qu'il inflige à la jeune fille tout simplement parce qu'elle a demandé un ouvrage pour s'instruire sur la sexualité afin de répondre efficacement à « une question embarrassante sur la sexualité ... dans le couple ! » (M.A., 255), question posée par un prospect au cours d'une étude biblique :

« Il s'en est suivi qu'une mère [...] a été écartelée par quatre gaillards parmi lesquels Guéyé le plus malabar des garçons du quartier. On l'a flagellée de cinquante coups de rotins sur les fesses. Et pourquoi ? Pour avoir accepté un livre intitulé Les rapports sexuels dans le ménage, sans en avoir seulement ouvert une page et tout cela au nom de la pureté de la religion des Témoins de Jéhovah » (M.A., 258).

A la fin de la correction sévère et injuste, Halla est chassée une fois de plus. Soulignons que la première répudiation se fait mentalement parce que le beau-père ne résiste pas au charme de sa belle-fille. Cette fois, elle est effective. Notons aussi que c'est cet acte qui jette la narratrice en pâture dans la rue. En allant, Halla lance ces paroles : « La porte que tu me fermes aujourd'hui au nez, on me suppliera de l'ouvrir afin que tu sortes de ta prison et il faudra alors faire des pieds et des mains pour réussir à te libérer » (M.A., 267). Prononcées naïvement, dirait-on, ces paroles auront un effet sur le destinataire.

Effectivement, il est emprisonné à cause d'une malversation dans son lieu de service. L'efficacité des paroles se manifeste dans la mesure où c'est Halla qui se bat pour que ce dernier soit libéré. L'abondance du champ lexical de la

libération dans ses dires justifie son entrain : « les démarches pour la libération de ton époux » (M.A., 365) ; « rencontrer des personnes susceptibles de nous soutenir dans l'affaire de mon beau père » ; « de contacts efficaces pour la libération de mon beau-père » (M.A., 366). Halla pardonne donc au mari de sa mère malgré les sévices que ce dernier lui a infligés quelque temps avant.

Grand Madja fait aussi preuve de beaucoup d'humilité en demandant pardon à sa petite-fille alors qu'elle ne devrait se reprocher de rien. Halla Njokè est de nouveau enceinte quand elle vit encore auprès de ses grands-parents et sa grossesse lui fait avoir de drôles d'appétits. Mais personne n'est au courant de son état. Elle affectionne des plats de « hikok » (M.A., 208), une sorte de légume qu'elle prépare nuitamment et le mange à l'insu des siens. Cependant, la grandmère hume les odeurs et croit que c'est un sorcier qui vient préparer le hikok chez eux toutes les nuits. Mais le manège sera éventé une nuit où Grand Madja la « prend la main dans le sac » (M.A., 208) et s'écrie affectueusement : « C'est donc toi qui fait cette sorcellerie mon homonyme ? Eh bien ! Ça te tient fort ! » (M.A., 208). La dernière exclamation de la grand-mère montre qu'elle a compris la situation dans laquelle se trouve sa petite-fille car le hikok est très prisé par les femmes enceintes. Mais la grand-mère n'en a plus dit mot jusqu'au jour où « l'ancien de l'église » (M.A., 209), témoignant son innocence, avoue avoir trouvé un porc mort dans sa plantation et qu'un gigot lui a été ôté.

Quelques jours avant la déclaration, Grand Madja a surpris Halla en train de s'apprêter à manger un plat de porc et de « faire disparaître toutes les traces avant [son] retour » (M.A., 209). Se renseignant sur l'origine de la viande, cette dernière répond : c'est le « cousin Legros qui [...] l'a offert » (M.A., 209). C'est le témoignage de l'ancien d'église qui établit toute la vérité. Au lieu de s'en prendre à Halla, la grand-mère s'est plutôt fondue en excuse :

Certes, j'ai compris que tu es enceinte, mais je n'ai pas su comment en parler et par où commencer. Je redoute tellement de choses » (M.A., 210).

L'intériorisation des émotions se manifeste comme le socle de l'humilité. La maîtrise de soi, de ses pulsions et de ses colères est une voie royale qui conduit vers la culture de l'impassibilité qui, elle aussi, contribue indéniablement à enraciner la tempérance et la sobriété. Halla fait preuve de grande maîtrise de soi lorsque son père la soumet, comme tous les autres habitants de la communauté, même Grand Madja sa mère, à des travaux fort pénibles malgré sa grossesse déjà très avancée, « un peu plus de six mois » (M.A., 213). Il s'agit de creuser un grand étang qu'il va exploiter pour la pisciculture. Tout le monde est enrôlé, parents, adultes, adolescents et enfants : « Toute âme vivante dans le village est tenue d'être sur les lieux. Même les chiens, les poules, et les porcs se mettent de la partie » (M.A., 207). Halla qui est dans une situation délicate n'en peut plus, surtout qu' « il fait trop chaud » (M.A., 234). Mais son père, un vrai bourreau, l'oblige à continuer : « Reste ici et remets-toi au travail » (M.A., 234). Très harassée par l'ampleur du travail et le soleil qui brûle, elle n'en peut vraiment plus mais refuse de dire son problème :

« Je continue d'avancer vers l'autre rive, mais il me tire brutalement en arrière et je me sens secouée comme un prunier. La nausée me bondit à la gorge. Je retourne à mon lieu surexposé. Mais au bout de trois allersretours avec le récipient de terre, je me sens défaillir. Je déploie toute ma volonté pour éviter les foudres de mon père, mais mon destin ne m'appartient déjà plus. Je suis plaquée au sol transpirant à torrent et incapable de réagir » (M.A., 234).

L'attitude de Njokè à l'égard de sa fille et de toute la communauté traduit l'égoïsme de l'homme. Il n'a de sympathie pour personne lorsqu'il veut atteindre un but égocentriquement lié à son prestige. Même sa mère n'est pas

exempte des menaces et tortures. Pour pouvoir se reposer un peu, elle est obligée d'utiliser l'assistance à Grand Pa Helly malade comme alibi :

« Grand Madja décide de ralentir toutes les activités pour que nous puissions rester tous plus souvent à la maison et éviter à Grand Pa Helly de se lever tout le temps pour un oui ou un non. Mon père accepte que Grand Madja s'occupe de son époux, mais refuse de libérer les enfants » (M.A., 208).

La cruauté de Njokè déborde quand il apprend que sa fille est encore enceinte. Tout porte à croire que, comme il n'est pas l'auteur de cette autre grossesse, il en est jaloux. Sinon comment comprendre son acharnement brutal contre sa fille :

« Ah ! C'est comme ça ! Eh bien ! Je vais t'aider à le vomir, je vais vider ton ventre du bâtard qui s'y loge. Tant que je ne verrai pas le foetus de mes yeux, je n'arrêterai pas de cogner, parole de Njokè ! Ma dernière heure est arrivée, [...] il frappe et frappe. Ne rencontrant aucune résistance, il s'énerve davantage, me tire par terre comme un sac de cacao, suant à torrent. Des gens arrivent, le supplient d'arrêter. Il les menace, poursuit certains en leur donnant des coups de pied puis, revient sur moi, me soulève, me pose en travers de ses épaules et avance. Quand il est fatigué, il me jette à terre comme un fagot de bois » (M.A., 237).

Le manque d'humanisme de l'homme le destine à l'ingratitude. Il est incapable de reconnaître un bienfait. Toujours en train d'en vouloir aux autres, les trouvant paresseux et immondes alors même que ceux-ci s'échinent pour lui sans espérer une quelconque rémunération. La quête du pouvoir et de l'avoir rend l'homme invivable. Malgré le service rendu par la communauté, Njokè n'a de cesse de proférer à son endroit des énormités insupportables. Il lèse carrément son père agonisant pour se préoccuper exclusivement de son projet bassement mercantile :

« Les cris de douleur de Grand Pa ne connaissant plus de répit, [...] personne d'autre ne parle plus ni ne rit, sauf mon père pour donner des ordres et se moquer de `'cette bande de paresseux que je ne sais pas ce que j'ai fait au bon Dieu pour la mériter, quand c'est de véritables Caterpillars humains et d'une vrai armée et pas d'incirconcis que j'aurai besoin», [dit-il] » (M.A., 213).

En revanche, la femme manifeste une gratitude angélique. Elle est fort reconnaissante des bienfaits. En témoigne le vibrant hommage rendu respectivement à Ndiffo que la narratrice reconnaît comme la « première personne `'intellectuelle» » (M.A., 338) qu'elle ait rencontré. Ndiffo pour elle est « le bâtisseur, le constructeur par la pensée, Ndiffo le pur esprit ! » (M.A., 338).

C'est ce personnage qui a captivé son attention pour la consacrer « entièrement à une activité purement intellectuelle et esthétique [...]. Il [lui] parla d'enseignement, du journalisme, de la prospection commerciale, de la littérature, etc. » (M.A., 338). Bref Ndiffo a pu faire d'une « illettrée » ne sachant que chanter dans les cabarets, une véritable intellectuelle partageant « désormais son exaltation comme une drogue » (M.A., 341). Elle le considère à juste titre « désormais comme un Maître » (M.A., 341). En guise d'hommage à sa mémoire, elle lui dédie tout le « chant 16 » (M.A., 341) du roman. Tout le récit compte dix-huit chants reconnus comme tels, soit qui introduisent, soit qui concluent certains des quarante-huit chapitres.

Le chant en général a une fonction essentiellement lyrique. Il exprime le « moi » psychologique de la narratrice soit en déplorant, soit en gratifiant. En dehors des chants, on a aussi des poèmes qui s'entremêlent aux autres modes d'énonciation. Il est vrai, la narratrice ne les désigne pas comme tels mais, nous les catégorisons ainsi de par leur mise en page, leur élan sentimental et du fait qu'ils ne sont pas précédés de l'indicatif « chant ». Ils jouent néanmoins le même rôle que les chants. Pour ce qui est du chant 16, il est exclusivement dédié, nous l'avons dit, à Maître Ndiffo :

« Je pense aussi souvent à Maître Ndiffo

Chaque fois que je frôle le désespoir

Chaque fois que je broie du noir

[...]

C'est pourquoi je te renouvelle ma grande compassion

Et à travers toi, à toutes ces générations perdues, je dis retrouvons nous divins, dans notre esprit » (M.A., 341-342).

Mêlant le chant - un genre oral - au récit, donc à l'écriture, WerewereLiking célèbre le genre qui lui a ouvert les portes à l'art alors qu'elle n'était encore qu'une jeune adolescente. La quatrième de couverture renseigne qu'« Ivoirienne d'origine Camerounaise, Werewere-Liking a commencé sa carrière d'artiste à seize ans comme chanteuse et peintre ». La manifestation de son génie pictural est visible sur la première de couverture qui donne à scruter un tableau portant une sculpture grotesque d'homme. Cette image est-elle une annonce au lecteur du caractère ridicule de ce personnage ? Werewere-Liking n'a pas voulu paraître sexiste en noircissant tous les personnages masculins et notamment les jeunes, puisque Ndiffo faisant partie des « trois décennies [...] [des] générations perdues » (M.A., 341-342) après les « indépendances » en Afrique, a pu capter et captiver son attention.

Le « Professeur Minlon » (M.A., 394), « le Grand Maître de la Chaire des Littératures de l'Université de Mfoundi » (M.A., 379), est lui aussi vénéré. Pour la narratrice, il fait également partie de ceux qui méritent le qualificatif d'« intellectuel ». Il se distingue par sa pluridisciplinarité, son élévation d'esprit, sa sobriété, son penchant paternel et son humour :

« Minlon, un enseignant ferme et affectueux comme un père

Un guide savant, incollable et exemplaire, un père comme on en rêve Riche d'une expérience éprouvée en Occident comme en Orient

Et parlant sans complexe aux enfants comme aux plus grands

Avec le même amour subtil que seul procure la sérénité » (M.A., 379).

La différence des genres utilisés pour saluer la mémoire des deux éminences grises est liée au lieu où le contact avec la narratrice est établi. Elle fait la connaissance de Ndiffo au cabaret où elle chante. Quant à Minlon, Halla se familiarise avec lui dans l'amphithéâtre où elle est allée chercher Albass48, son compagnon étudiant et où elle s'est « installée au fond [...] près de la porte » (M.A., 382). L'amphithéâtre est un milieu très studieux où on déploie de grandes capacités intellectuelles. Le poème, utilisé pour rendre hommage à Minlon, est également un genre dont le décryptage est réservé aux initiés de la science littéraire.

En somme, Werewere-Liking rend un vibrant hommage à la littérature comme tous les écrivains car ils produisent des oeuvres littéraires. Mais chez elle, l'hommage est plus pointu parce qu'elle promène son lectorat entre divers genres (récit, poésie, chant) et divers types de littératures (écrite et orale). Toutes ces marques de gratitude attestent que la femme a un coeur plein de sympathie et d'amour.

Le personnage féminin est le pilier sur qui repose l'équilibre familial et même social comme nous le verrons dans la prochaine partie. La famille est la cellule de base de toute organisation sociale. Le rôle de la femme y est prépondérant. Elle assure de bout en bout l'encadrement des enfants. Même adolescent ou adulte, on requiert toujours les conseils de la grand-mère ou des tantes. On s'identifie même à celles-ci. Halla Njokè se rappelle à maintes reprises les conseils de sa grand-mère dont elle copie le mode de vie en l'adaptant à son contexte. Chargée de cette vocation familiale, la femme se veut moralement intègre afin que chacun retrouve auprès d'elle l'équilibre. Pour assurer en permanence cet équilibre, elle doit être très dynamique car la société compte sur elle.

48- Albass est le séminariste, auteur de la deuxième grossesse de Halla.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault