CHAPITRE III : LA MISE EN OEUVRE DE LA SANCTION PENALE
INTERNATIONALE
Le Tribunal militaire international de Tokyo faisait le
constat ci-apres, qui releve autant de l'évidence factuelle que du bon
sens :
«Ce sont des hommes, et non des entités
abstraites, qui commettent les crimes dont la répression s'impose, comme
sanction du droit international D276.
Autrement dit, le champ d'application ratione personae
de la sanction pénale internationale s'étend uniquement aux
individus, seuls responsables des violations des droits de l'homme. De plus, la
mise en oeuvre de la sanction pénale internationale ne génere pas
de victimes par ricochet. Toutefois, pour mieux appréhender ces
éléments, il convient d'étudier les conditions de forme
(section 1) ainsi que les conditions de fond (section 2) relatives a
l'application de la sanction pénale internationale.
SECTION 1 : LES CONDITIONS DE FORME A LA MISE EN OEUVRE
DE LA SANCTION PENALE INTERNATIONALE
L'application de la sanction pénale
internationale obéit a des regles de forme déterminées par
le droit international. Celles-ci sont relatives d'une part au statut des
individus ( paragra phe 1) et d'autre part aux principes généraux
du droit pénal international ( paragra phe 2).
PARAGRAPHE 1 : Les conditions de forme relatives au statut
des individus
Les individus sont devenus des sujets immédiats
de l'ordre juridique international bien avant la seconde guerre
mondiale277. En ce moment, des sanctions ont été mises
en place afin de réprimer les individus responsables d'actes
illicites278. Mais, c'est a la suite du second conflit mondial que
le champ de validité personnel de la sanction pénale
internationale s'est considérablement étendu en incluant tant les
autorités étatiques que les autorités non
étatiques. En d'autres termes, les conditions de forme a l'application
de la sanction pénale internationale concernent les autorités
étatiques (A) ainsi que les autorités non étatiques
(B).
A- Les conditions de forme likes a la sanction des
autorites etatiques
L'interrogation a la base du développement
suivant est celle de savoir si les agents étatiques peuvent etre l'objet
d'une sanction pénale internationale, étant donné que le
droit international consacre le principe de
277 Voir KELSEN Hans, a
Théorie générale du droit international public ... *,
op.cit., PP.145- 148 ; GUGGENHEIM Paul, a Principes de droit international
public *, op.cit., PP.46-4 9.
278 Voir les
différentes lois sur la piraterie qui autorisent les navires battant
pavillon de n'importe quel Etat a poursuivre et punir en mer toute personne qui
se rend coupable d'actes de piraterie.
l'immunite juridictionnelle (1). Toutefois, depuis le
proces de Nuremberg et de Tokyo, cette immunite peut etre levee
(2).
1- La consecration du princi pe de l'immunite
juridictionnelle des agents etatiques
Un ''mythe''27 9 a ete entretenu pendant
des siecles, selon lequel le chef de l'Etat ou le gouvernant ne sont pas
responsables s'ils ont agi en leur qualite officielle : ''le roi ne peut mal
faire''280. En effet, un chef de l'Etat ou tout autre agent en
charge de la politique etrangere de l'Etat sont couverts et proteges par
l'immunite de juridiction. Autrement dit, ils ne peuvent faire l'objet d'aucune
condamnation devant une juridiction interne ou internationale. Le droit
international reconnait bien ce principe qui couvre a la fois la personne, les
actes et les biens de l'agent.
Selon l'article 2 9 de la Convention de Vienne sur les
relations diplomatiques,
« La personne de l'agent diplomatique est
inviolable. Il ne peut etre soumis a aucune forme d'arrestation ou de
detention. L'Etat accreditaire le traite avec le respect qui lui est du, et
prend toutes mesures appropriees pour empecher toute atteinte a sa personne, sa
liberte et sa dignite D281.
Dans le meme ordre d'idees, l'article 31, paragraphe
1, in limine precise que « l'agent diplomatique jouit de l'immunite de
juridiction penale (...) D282. En d'autres termes, la sanction
penale internationale ne peut viser les agents etatiques.
Cette protection internationale des autorites
etatiques consacree tant par le droit international coutumier que par le droit
international
27 9 Voir ZOUREK Jaroslav,
L'interdiction de l'emploi de la force en droit international, op.cit.,
P.83.
280 En anglais, ''The King
Can do no wrong'', principe enonce par Blackstone.
281 Voir Convention de Vienne
sur les relations diplomatiques, du 18 avril 1 961, entree en vigueur le 24
avril 1 964, Rec.TNU, vol.500, P. 95 et suivantes.
282 Voir ibid.
conventionnel ne couvre pas seulement la personne de
l'agent. Elle s'étend a ses actes ainsi qu'à ses
biens283. C'est dans cette perspective qu'un individu qui ne jouit
pas personnellement de l'immunité de juridiction pénale peut
bénéficier de celle-ci lorsqu'il accomplit des actes relatifs a
la qualité d'agents de l'Etat284.
Ainsi, la sanction pénale internationale ne
peut frapper les autorités étatiques, ces derniers
bénéficiant de l'immunité de juridiction pénale.
Mais, ce principe a été remis en cause a la suite de la seconde
guerre mondiale, et l'on parle désormais d'un g dépassement du
débat relatif aux immunités des agents étatiques
D285.
2- La levee de l'immunite juridictionnelle des agents
etatiques
L'un des principes énoncés par la CDI en
1 950 a été celui de la fin de la protection internationale des
agents étatiques en cas de violation des droits de l'homme. En effet,
dans la lignée des jugements de Nuremberg et de Tokyo, ce principe qui
est d'une portée considérable « a rendu possible toute
disculpation motivée par la position officielle des accusés
D286. Les statuts des deux tribunaux ont proclamé que le fait
qu'un individu ait agi en sa qualité de chef d'Etat ou de fonctionnaire,
ne le dégage pas de ses responsabilités internationales. Bien
plus, les deux statuts ont formellement précisé que la position
officielle des accusés ne saurait constituer un motif de
réduction de la peine287. Cette disposition a
été expliquée d'une fagon tres pertinente dans le jugement
:
283 Voir articles 24 et 25 de
la Convention de Vienne, op.cit.
284 Voir article 17,
paragraphe 2, de la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24
avril 1 963, entrée en vigueur le 1 9 mars 1 967, Rec.TNU, vol.5 96,
P.261 et suivantes.
285 Voir MATSON
Rafaëlle, La responsabilité individuelle pour crime d'Etat en droit
international public, op.cit., P.286.
286 Voir ZOUREK Jaroslav,
L'interdiction de l'emploi ..., op.cit., P.83.
287 Voir article 6 du
Statut du Tribunal militaire international de Tokyo (19 janvier 1946) et
article 7 de l'Accord de Londres portant sur le Statut du Tribunal de Nuremberg
(8 aout 1945) qui dispose : * La situation officielle des accusés, soit
comme chef d'Etat, soit comme hauts fonctionnaires, ne sera
considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un motif de
diminution de la peine *.
g Le principe du droit international qui, dans
certaines circonstances, protege les representants d'un Etat, ne peut pas
s'appliquer aux actes condamnes comme criminels par le droit international. Les
auteurs de ces actes ne peuvent invoquer leur qualite officielle pour se
soustraire a la procedure normale ou se mettre a l'abri du chatiment
D288.
C'est dire que l'immunite absolue de juridiction de
l'agent etatique est devenue relative. Seule la nature de l'acte commis par
l'agent determine sa protection par l'immunite juridictionnelle. Cette
evolution louable est reiteree et confirmee par le Statut de Rome de la Cour
penale internationale28 9. En effet, l'article 27 du Statut de la
CPI traite du g Defaut de pertinence de la qualite officielle D. Son paragraphe
1 dispose :
g Le present Statut s'applique a tous de maniere
egale, sans aucune distinction fondee sur la qualite officielle. En
particulier, la qualite officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de membre
d'un gouvernement ou d'un parlement, de representant elu ou d'agent d'un Etat,
n'exonere en aucun cas de la responsabilite penale au regard du present Statut,
pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de reduction de la
peine D.
|