L'action humanitaire et la reconstruction: le cas du tsunami indonésien de 2004 et du séisme haitien de 2010( Télécharger le fichier original )par Pierre Thibaut BATA Université Catholique d'Afrique Centrale - Master 2011 |
IV -INTERET DE L'ETUDECette étude présente un double intérêt scientifique (A) et social (B) A- L'intérr~t scientifique L'intérêt scientifique ici suppose l'apport de cette étude dans le monde de la science et de la recherche, en ce qui concerne la problématique de l'action humanitaire et de la reconstruction. Loin d'être des pionniers en la matière35, notre étude en mettant en exergue de façon simultanée les cas de l'Indonésie et d'Haïti présente un intérêt scientifique. Il nous amène en effet dans le cadre de notre travail à constater que l'instauration d'un véritable débat sur la reconstruction tant sur le plan juridique que sur le plan pratique, permettra au domaine de la science, de relever la faiblesse de l'encadrement du volet de la reconstruction dans le champ de l'humanitaire. 31Jean Didier BOUKONGOU, Gestion de l'action humanitaire, Cours de Master Droits de l'homme et Action humanitaire, 2010-2011, UCAC/APDHAC, Yaoundé, p. 15, inédit. 32 Tous ceux qui ont accompagné un jour le retour de personnes déplacées ou refugiées comprennent combien la reconstruction physique d'une maison est la partie la plus simple du processus de l'aide. 33 Au bord du fleuve, sur une zone inondable. 34 La reconstruction est réalisée pour les morts, les blessés, les vivants d'une population sinistrée tant, dans leur maison, leur chair, dans les hôpitaux, mais aussi dans leurs idées, leurs rêves. 35En ce qui concerne la reconstruction, bon nombre de travaux scientifiques se bornent à mettre en exergue la nécessité de la prendre en compte, sans en donner les voies et moyens. L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme B- L'intérêt socialNotre étude sur le plan social, permettra d'envisager de nouveaux mécanismes pour une meilleure prise en compte du volet de la reconstruction, dans les interventions humanitaires. Ainsi, elle interpelle au premier chef, les acteurs de l'humanitaire. En effet, la connaissance scientifique doit pouvoir guider l'action. Une étude qui met en exergue la problématique de la reconstruction peut permettre aux acteurs de l'humanitaire d'élargir leur champ d'action ou de compétence, dans l'optique d'améliorer les réponses apportées lors de leurs interventions. Au second chef, notre étude bénéficie à la population sinistrée. En effet, la prédominance de la gestion de l'urgence pose des problèmes en rapport avec la dignité humaine. Notre étude milite en faveur du respect de la dignité des populations victimes des catastrophes. V - REVUE DE LITTERATUREAborder la thématique de l'action humanitaire et de la reconstruction en Indonésie et en Haïti, impose de faire un état des lieux de la question. Il s'agira ici de procéder à une analyse doctrinale de la problématique de la reconstruction telle que développée par certains auteurs. En effet, certains auteurs appréhendent l'action humanitaire dans un contexte essentiellement urgentiste, alors que d'autres l'inscrivent dans la durée pour parler de la reconstruction. Ce débat théorique soulève un certain nombre de questions36 : A qui revient le rôle de reconstruire ? Où commence et où s'arrête l'engagement humanitaire? En d'autres termes, la reconstruction est-elle inclue dans l'action humanitaire ou fait-elle partie du développement ? 36 A la survenue d'une crise, de nombreux moyens financiers sont souvent collectés pour venir en aide aux sinistrés. Il va sans dire qu'une nécessité de reconstruire s'impose. Cependant elle est oblitérée par la très forte concentration des fonds alloués à la phase d'urgence. L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme Pour Stéphane CHAUVIER : « Un devoir d'humanité est appelé par une situation d'urgence qu'il s'agit simplement de faire cesser »37. A cet effet, l'intervention humanitaire ne peut s'expliquer qu'au moment où une personne se trouve en situation de danger grave.
Rony BRAUMAN40, (dans le même sillage que CHAUVIER) lors d'un entretien vidéo avec un journaliste de RFI sur le thème de la reconstruction en Haïti après le séisme41, affirme que le procédé de reconstruction, ne fait pas partie intégrante des tâches assignées aux humanitaires. La question posée par le journaliste était celle de savoir si c'était au gouvernement de reprendre la main pour la reconstruction, le médecin répond par l'affirmative. C'est la même réponse qui fut donnée lors d'un face à face avec Jean François MATTEI42. Rony BRAUMAN réaffirme à cette occasion que « la reconstruction matérielle 37 Stéphane CHAUVIER, « Les principes de la justice distributive sont-ils applicables aux nations ? », in Revue de métaphysique et de morale, no1, 2002, p. 125. 38 Ibid. 39 Dans The Law of Peoples, John RAWLS parle de «duty of assistance». 40 Rony BRAUMAN est un médecin français, cofondateur et ancien président de Médecins sans Frontières 41RFI, interview réalisée le dans le cadre de la reconstruction en Haïti, disponible sur http://www.dailymotion.com/video/xhfw9j_rony-brauman-la-reconstruction-en-haiti-apres-le-seisme_news (consulté le 15 mai 2010). 42 Un face-à-face entre Rony BRAUMAN et Jean-François MATTEI. Op.cit. L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme est du ressort de l'Etat et non du mouvement humanitaire ». Pour lui, l'action humanitaire se fixe pour objectif d'alléger des souffrances de façon impartiale et pacifique, voire, parfois, de sauver des vies, et non pas de les (re)construire ni d'encadrer des destins. Cela, c'est l'affaire des pretres ou des politiques. L'action humanitaire c'est« l'impérieuse nécessité du sauvetage d'urgence ». L'aide humanitaire, à la différence de l'aide au développement, intervient dans des situations de crise, de conflits, de déplacement des populations, de famine, d'épidémies, de catastrophes naturelles pour aider les plus vulnérables à se redresser et à franchir un cap difficile. Cette perception de l'action humanitaire est également partagée par les MSF ou « french doctors »43. Pour ces urgentistes triomphants, l'urgence est intrinsèquement liée à l'action humanitaire44, seul compte la nécessité de « sauver des corps ». La logique du développement, même humaniste inscrite dans la lutte contre la pauvreté, est ainsi récusée comme expression d'une action humanitaire. Assurément, l'héritage d'Henry DUNANT a connu une fortune45 et c'est grace à l'urgence que de nombreuses vies ont été sauvées. Cependant, si l'on considère que l'Etat sinistré est très souvent dans l'incapacité de se reprendre en main46 et si l'on s'appuie sur les fondements de l'action humanitaire et la finalité de celle-ci, l'on ne saurait considérer l'urgence comme « le tout » de l'action humanitaire. C'est une conception de l'action humanitaire partagée par plusieurs auteurs. L'essentiel comme le pense Ernest-Marie MBONDA n'est pas en effet « de sauver une vie d'une catastrophe qui l'aurait sans doute annihilée sans cette intervention d'urgence, mais aussi de sauvegarder la dignité des personnes concernées. Or la simple survie ne suffit pas à garantir cette dignité. Celle-ci est autant menacée par une catastrophe susceptible de l'anéantir de façon brutale que par une situation de dépendance prolongée qui transforme un sujet humain en objet d'aide ou d'assistance »47. C'est dans ce sens que certains auteurs s'accordent à dire qu'une action humanitaire n'est pas suffisamment humaine si elle ne vise pas le rétablissement des capacités de choix de tous les concernés. 43 En 1971, Bernard KOUCHNER et Max RECAMIER sont à l'origine de la création de Médecins sans frontières (MSF), ouvrant la voie à ce qui fut présenté plus tard comme l'épopée des « French Doctors ». 44 Le secours d'urgence est né et il prolifère avec la création de nombreuses associations se réclamant du mouvement sans-frontiérisme. Depuis ce moment, pour les acteurs du secteur comme pour l'opinion publique, <4 humanitaire » se conjugue obligatoirement avec <4 urgence ». 45 L'assimilation de l'humanitaire à l'action d'urgence est pratiquement réalisée, et sa propagation sur la scène internationale va s'accélérer avec la vulgarisation du droit d'ingérence. 46 A la survenue d'une crise, le rôle de l'humanitaire dans l'urgence est de sauver des vies, et que la tache ou la mission de reconstruire le pays incombe au premier chef à l'Etat victime de la crise. 47 Ernest-Marie MBONDA, Op.cit. p. 68. L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme Pour Jean François MATTEI, quand on a sauvé de la mort un homme qui, par ailleurs, a tout perdu, il reste vulnérable car il n'a aucun moyen de redevenir libre, autonome et responsable. L'aide humanitaire a pour rôle de donner à chacun les moyens de (re)construire son existence. Sauver une vie c'est bien, mais ça ne suffit pas. Il s'inscrit dans ce sens dans la logique d'une action humanitaire durable dans ses effets. Reconstruire en son sens « c'est bien donner une maison à quelqu'un pour abriter sa famille, lui permettre d'envoyer son enfant à l'école, de se faire soigner »48. Il affirme à cet effet que : « Quand vous sortez quelqu'un des flots, vous ne pouvez pas l'abandonner sur la berge »49. L'action humanitaire ne donnerait donc sa pleine mesure, qu'en prolongeant le combat pour la survie par un engagement pour la vie, tout en créant les conditions d'un équilibre personnel retrouvé50. A la différence du « concept cousin »51 de développement durable, qui entend concilier dans le temps croissance économique et respect de l'environnement, l'humanitaire ne doit être durable que dans les effets recherchés précise Jean François MATTEI. D'après lui, c'est une durabilité qui se mesure à l'aune des critères de : capacités de choix restaurées, autonomie retrouvée, projets et espoirs réveillés. Il ne s'agit donc pas d'une action humanitaire conçue pour se perpétuer, « elle a pour vocation de se dissoudre une fois les objectifs atteints C'est l'action humanitaire qui dépasse tout en l'intégrant, la seule urgence pour conduire le débat contre ce qui avilit, conjurer les facteurs qui fragilisent, permettre à chaque enfant, chaque adulte, d'avoir la vie devant soi »52. Au delà des aspects ci-dessus évoqués, c'est la responsabilité de l'acteur humanitaire qui est mise en cause. « Une responsabilité humanitaire qui s'inscrit dans la durée sous peine de se ramener à des résultats sporadiques d'émotion et à céder ainsi à la logique médiatique de l'instantané »53 « L'urgence est ainsi faite que, souvent, elle ne perçoit son engagement qu'au prisme du corps à sauver sans délai, dans un environnement sociopolitique hostile ou pour le moins difficile. Pris dans l'élan impérieux d'agir, 48 La reconstruction à la charge de l'humanitaire, selon Jean François MATTEI, n'est pas la remise en l'état des infrastructures, des ports, des ponts, des grands édifices etc. 49 Jean François MATTEI, « L'urgence humanitaire et après », op. Cit. p. 155. 50 Jean François MATTEI dans un entretien avec Valérie ROUVIERE, affirme « Je reste convaincu qu'une fois qu'on a sauvé les gens, il faut les accompagner pour un mieux-vivre et une autonomie retrouvée. Après l'urgence, il faut assurer à chaque famille un toit, une école, un centre de santé et un travail. Ce sont les quatre directions dans lesquelles nous travaillons aujourd'hui. » 51 Jean François MATTEI, op. Cit, p. 37. 52 Jean François MATTEI, op. Cit. p. 155. 53 Eric GOEMAERE et François OST, « L'action humanitaire : questions et enjeux », in la Revue Nouvelle, no8, novembre 1996, pp 76-96. L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme l'humanitaire d'urgence a tendance à ne voir que la victime, oubliant parfois l'humain dans sa globalité »54. Mary B. ANDERSON s'interroge d'ailleurs : « Aujourd'hui vous me sauvez la vie, mais pour quel avenir ? »55. Comme MATTEI, elle pense qu'il ne s'agit plus ou rarement, de sauver des vies ou de pratiquer les gestes de survie, mais davantage d'assurer un toit provisoire, une écoute, un réconfort aux personnes sinistrées. Au demeurant, à trop considérer l'urgence56, il est possible de rentrer dans ce que Jean François MATTEI a appelé « les travers de l'immédiateté » ; l'action l'humanitaire perçue aujourd'hui sous ce seul prisme et au regard des crises indonésienne et haïtienne, et particulièrement au regard des défis à relever, participe-t-elle à une vision cohérente et satisfaisante du concept ? Non sans vouloir ériger la reconstruction comme moteur de l'action humanitaire, il s'agit dans un monde où tout événement est capté dans une logique de l'immédiateté, où les événements se chassent les uns les autres à une vitesse accélérée, de garder une perspective globale, dans laquelle la durée de l'action devient non pas l'opposé de l'urgence mais son complément indispensable. L'action humanitaire apporte l'espérance, or « il n'y a d'espérance qu'en pensant à demain, l'espérance a besoin de temps »57. L'une des conclusions que nous pouvons tirer à la suite de cette revue de littérature est que la question sur la finalité de l'action humanitaire fait débat. Que ce soit du côté de l'urgence ou du côté de la reconstruction, elle a ses fervents défenseurs. Cependant, force est de constater que malgré l'importance de l'urgence dans une intervention humanitaire, la nécessité de penser à la reconstruction s'impose, car très peu prise en compte dans la plupart des interventions humanitaires. VI #177; PROBLEMATIQUE Le sujet sur « l'action humanitaire et la reconstruction » peut se décomposer en deux aspects. Le premier étant de considérer l'action humanitaire comme une action qui s'inscrit essentiellement dans l'urgence. Le deuxième aspect quant à lui découle du premier, mais 54 Jean François MATTEI, op.cit. p. 135. 55 Mary B. ANDERSON, « Aujourd'hui, vous me sauvez la vie, mais pour quel avenir ? Sur quelques dilemmes moraux de l'aide humanitaire », in Jonathan MOORE (édit) Des choix difficiles, p.86. 56 En vingt ans, la passion du secours s'est ainsi globalisée, et l'assimilation de l'humanitaire à l'action d'urgence est pratiquement réalisée et sa propagation sur la scène internationale va s'accélérer encore avec le lancement du fameux droit d'ingérence. 57Jean François MATTEI, Op Cit. p. 137. L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme cependant épouse une conception encore plus large de l'action humanitaire, dans sa capacité à s'inscrire dans la durée. Concernant le premier point, la prospection doctrinale plus haut déployée démontre à suffisance la place importante qu'occupe l'urgence dans une intervention humanitaire. Le deuxième point de la décomposition ci-dessus évoquée met en exergue la nécessité de soutenir l'effort de ceux qui, une fois leurs besoins essentiels satisfaits, aspirent à retrouver leur autonomie, composante essentielle de leur dignité, la nécessité d'éviter une situation de dépendance, d'aider des personnes traumatisées physiquement et psychologiquement à surmonter leurs épreuves. Malgré la reconnaissance du caractère crucial des enjeux liés à la reconstruction, celle-ci semble demeurer le parent pauvre de l'action humanitaire. La combinaison de ces deux axes permet de formuler la problématique suivante : Au regard des normes de l'action humanitaire et au regard de la gestion des crises indonésienne et haïtienne, quelle est la place de la reconstruction dans le champ de l'humanitaire ? Peut-on attribuer la faiblesse de la reconstruction aux normes de l'action humanitaire ou aux facteurs qui l'entourent ? |
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