CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Il y a lieu de retenir dans le cadre de cette première
partie que, que ce soit en Indonésie ou en Haïti, l'urgence a
prédominé. Cet état des choses a sans doute
été favorisé par un cadre juridique limité dans le
domaine de la reconstruction, mais aussi par les actions menées par les
institutions humanitaires en Indonésie et en Haïti. Par ailleurs,
tout en reconnaissant les démarches qui ont été
entreprises dans le sens de la reconstruction, force a été de
constater que, malgré la réussite relative que l'on attribue
à la reconstruction indonésienne, celle-ci ne semble pas avoir
porté des fruits pour le cas de Haïti. Certainement à cause
du fait qu'ellemême renfermait de nombreuses limites. Il s'avère
donc que la reconstruction continue d'occuper dans le champ de l'humanitaire
une place négligeable. La nécessité d'identifier les
freins à la réussite de la reconstruction post-crise et des
perspectives pour y remédier s'impose à cet effet.
133 Faim Haïti, une population naufragée
Action contre la Faim Février 2006.
134 Ce fut le cas lors de la réhabilitation
du réseau d'eau de Port-de-Paix, de Saint-Louis du Nord et de
l'île de la Tortue où les équipes d'Action contre la Faim
Haïti, travaillaient en étroite collaboration avec l'administration
locale et des « comités d'eau », montés pour l'occasion
avec des Haïtiens formés.
DEUXIEME PARTIE : LES FREINS ET LES PERSPECTIVES
POST- CATASTROPHE EN INDONESIE ET EN HAITI
L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme haïtien de 2010
La reconstruction indonésienne apparaît comme un
succès relatif mais aujourd'hui, quelques 3 000 victimes du tsunami
attendent toujours d'être relogées. Les 150 000 maisons
reconstruites n'ont pas toutes été attribuées aux bonnes
personnes135 et 26% des Acehnais vivent toujours en dessous du seuil
de pauvreté. Sous d'autres cieux, pour parodier le titre du dernier
roman de l'écrivain haïtien Dany LAFERRIERE: « tout a
bougé autour d'Haïti ». Un an après, en
dépit d'un élan de générosité
planétaire extraordinaire136 de promesses, de dons
milliardaires de la part des Etats et d'une action massive des oeuvres
d'entraide et de secours, le constat est terrible. Alors que le choléra
et une élection présidentielle contestée se sont mis de la
partie, près d'un million de rescapés vivent toujours dans la
promiscuité d'immenses
camps de tentes et de tôles, seuls 5% des gravats de la
capitale détruits à 85%, ont
étédégagés. Bref, de reconstruction, pas
la moindre trace en Haïti137. Fort de ce constat
inquiétant, il est impératif de s'interroger de
prime abord sur les facteurs ou obstacles qui limitent la mise en oeuvre
efficace du processus de reconstruction (Chapitre I) ; dans un second temps,
nous examinerons quelques perspectives pour une meilleure prise en compte de la
reconstruction par les acteurs humanitaires dans un contexte de crise (Chapitre
II).
135 Ce constat nous amène à nous interroger sur le
fait de savoir : pour qui reconstruit-on ?
136 En Suisse, la Chaîne du Bonheur récoltera 65
millions de francs.
137 «La situation est effectivement très
difficile, surtout à Port-au-Prince, qui avant même le
séisme était déjà une métropole du
tiers-monde congestionnée, avec des bidonvilles surpeuplés»,
relève Alain GEIGER, responsable de projets à la Chaîne du
Bonheur. Port au Prince, Haïti.
L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme haïtien de 2010
CHAPITRE I LES FREINS A LA MISE EN OEUVRE DE LA
RECONSTRUCTION
La survenue d'une crise de grande envergure suscite
généralement une importante vulgarisation médiatique qui
draine avec elle une présence massive d'ONG. Malheureusement, il nous a
souvent été donné de remarquer que, la phase de l'urgence
achevée, médias et ONG tirent leur révérence. Ce
qui comme l'absence de financement constituent de véritables entraves
à la reconstruction (section I). Aussi, certaines pratiques humanitaires
parce que pleines d'ambiguïté sont une entrave à la
reconstruction (section II).
Section1 : L'intervention limitée et
intéressée des acteurs humanitaires et l'absence
de financement comme une entrave à la reconstruction
Dans le cadre de cette partie, nous allons analyser de prime
à bord le rôle des médias et des ONG dans l'échec de
la reconstruction (paragraphe 1). Pour voir dans un deuxième temps
comment les chances de réussite de la reconstruction peuvent etre
compromises à cause de la corruption, des détournements des fonds
et parfois du non respect des promesses des donateurs (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La participation limitée et
intéressée des Médias et des ONG comme un frein
à la reconstruction
Jamais les médias n'ont pris autant d'importance dans
le contexte humanitaire qu'aujourd'hui. Ils permettent en effet de focaliser
l'attention sur des crises qui seraient passées inaperçues.
Considérés comme des canaux efficaces pour informer et mobiliser
la communauté internationale de la situation chaotique qui sévit
dans un pays donné et à un moment donné, ceux-ci semblent
focaliser la plus grande partie de leurs manoeuvres dans le cadre de l'urgence.
Ce qui en soit serait en même de fragiliser la reconstruction (A). Cette
dernière est aussi dans la plupart des cas victime de l'inconstance de
certaines ONG qui, guidées par des intérets personnels,
transforment l'action humanitaire en une activité lucrative (B).
L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme haïtien de 2010
A- Les médias et la logique de
l'instantané
Les médias jouent un rôle très important
pour l'aide humanitaire : ils permettent de récolter des fonds, de
sensibiliser le public aux différentes actions et de dénoncer les
atrocités que l'on trouve dans certains pays. En ce qui concerne la
collecte des fonds, Kofi Annan138 disait en 1994 que «
lorsqu'il existe un problème qui n'a pas été pensé
ou réfléchi, ce sont les médias qui ont le loisir
d'influencer la manière dont la communauté internationale peut
agir »139. Un rôle qu'ils semblent mener à
bien.
Cependant, certaines actions des médias peuvent avoir
des effets redoutables, ce qui en soi pourrait constituer une limite pour la
reconstruction post crise140. En effet, pour parler comme Jean
François MATTEI141, certains pionniers de l'humanitaire en
accord avec les médias, n'ont pas hésité à activer
la corde compassionnelle, à utiliser l'émotion, parfois avec
démesure, pour représenter la victime sous le seul angle de la
tristesse et de la pitié142. Dans le méme ordre
d'idées, sous le coup de l'émotion produite par la grande
mobilisation des médias dans l'urgence, le flot concentré de
l'aide internationale peut aggraver le sentiment d'abandon dans les zones non
bénéficiaires. C'est le cas par exemple de la crise du Darfour
qui a été effacée par celle du Tsunami ; la crise du Niger
par l'Ouragan Katrina aux Etats-Unis ; plus récemment la crise
haïtienne par la crise du Japon143.
Par ailleurs, s'il est admis avec Jean François
DENIAU144que les médias occupent une place importante dans
l'action humanitaire145, l'une des difficultés qui demeure
cependant est que l'ère des médias s'inscrit dans une logique de
l'immédiateté. En Haïti par exemple, trop en faire le temps
de l'urgence et faire systématiquement appel à un réflexe
compassionnel a donné l'illusion au donateur que la rapidité du
don comblera, voire « compensera » le malheur des populations
sinistrées. Mais les médias ne portent leurs caméras que
sur certaines séquences de l'intervention humanitaire :
généralement les premiers temps d'une crise,
138 KOFI ANNAN est l'ancien secrétaire
général des Nations Unies à qui a succédé
BAN KI MOON.
139 Reymond Philippe, Margot Jonas, Margot Antoine, Les
limites de l'aide humanitaire, Lausanne, 2006-2007, p. 62.
140 Une des limites les plus importantes est que
l'intérêt public pour une catastrophe ne dure pas longtemps et
donc que les fonds pour la phase de reconstruction ou l'après crise sont
plus difficiles à mobiliser
141 Jean François MATTEI, Op. Cit. p. 135.
142 Idem.
143 Un violent séisme de magnitude 8,9, a touché
le nord-est du Japon, a provoqué un énorme tsunami. Une
série de vagues, dont la plus importante a atteint dix mètres de
haut, a atteint les côtes nippones. Le bilan des pertes humaines
s'alourdit d'heure en heure.
144 Selon Jean François DENIAU, le risque pour
l'humanitaire « est moins l'excès de médiatisation que
l'excès d'immédiatisation ».
145 Dans un contexte de crise, les médias nourrissent
l'humanitaire dans l'optique d'édifier les consciences et réunir
les moyens de l'aide.
L'action humanitaire et la reconstruction : Le cas du Tsunami
indonésien de 2004 et du Séisme haïtien de 2010
lorsque arrivent les premiers secours, et que les responsables
politiques des pays donateurs se rendent sur place pour manifester la
solidarité de leurs nations envers les populations frappées par
le malheur. Bien souvent d'ailleurs, les médias ne couvrent ces sujets
que parce que les hommes politiques effectuent une visite sur place, et les
hommes politiques ne sont là que pour les journalistes qu'ils emportent
avec eux dans l'avion. La tragédie ne sert alors que de toile de fond
avec ses alignements de tentes ou de huttes de branchage, les enfants
faméliques dans un dortoir sordide ou jouant devant les caméras
et en guise de commentaire, l'interview d'un agent humanitaire arborant sur le
dos le sigle de son organisation et appelant la communauté
internationale à accroître son aide. Invariablement,
l'émission se termine par le passage d'une bande annonce donnant le
numéro de compte en banque de l'organisation. Dans un tel contexte, les
fonds pour la phase de reconstruction où l'après crise sont plus
difficiles à mobiliser et par conséquent, les perspectives de
reconstruction moins envisageables. Ainsi dans un monde acquis à la
cause du sensationnel où les événements se chassent les
uns les autres à une vitesse accélérée, il s'agit
comme le pense Jean François MATTEI, de garder une perspective globale,
dans laquelle la durée de l'action devient non pas l'opposé de
l'urgence mais son complément indispensable. Une approche que devrait
intégrer bon nombre d'ONG humanitaires qui transforment l'action
humanitaire en une sorte de marché.
|