2 COMPOSANTE NUTRITIONNELLE
« De tes aliments tu feras une
médecine » HIPPOCRATE
L'acte alimentaire a pour vocation première de calmer la
sensation désagréable de faim ou de soif : Il est instinctif et
vital pour la survie de l'individu et la pérennité de
l'espèce. L'histoire de l'humanité est une succession de
périodes d'abondance et de disette, voire de famines.
L'approvisionnement en nourriture étant une préoccupation
constante, l'angoisse de manquer a profondément marqué
l'inconscient collectif des générations successives au point
d'engendrer encore de nos jours des réactions paradoxales de panique
à la simple annonce d'un risque de pénurie passagère sur
un produit de base, tel le sucre par exemple.... Mais au delà de ces
comportements caricaturaux, aujourd'hui encore, pour une partie de la
planète, manger demeure une angoisse quotidienne ; peu importe la teneur
de la nourriture dès lors qu'il s'agit de survie. Lorsque celle-ci est
assurée, ce qui est en principe la règle dans les pays dits
développés (à l'exception d'épisodes conjoncturels
dramatiques ou de la recrudescence constatée des cas de grande
précarité), la question de la salubrité de l'alimentation
peut alors se poser ; en Occident, l'obsession du sain a ainsi progressivement
remplacé l'angoisse du manque. Mais pour qui meurt de faim, le sain est
dérisoire... Dans nos contrées, au fil des ans,
l'amélioration spectaculaire de l'hygiène des aliments a permis
de déplacer progressivement cette inquiétude vers un autre
domaine, moins vital quoique tout aussi fondamental vis à vis de la
santé à long terme : la nutrition. L'économie de survie
ayant caractérisé l'immédiat après guerre a
été remplacé par une économie de surabondance
permettant au consommateur d'afficher des exigences en termes de
diététique, de santé, de bien-être et
d'environnement.
La perception d'un lien direct entre l'alimentation et la
santé est un fait acquis pour une grande majorité de nos
concitoyens, qui considèrent la santé comme l'attente de base
à l'égard de l'alimentation ; il s'agit cependant plus d'une
exigence de non maladie, d'innocuité des produits, que d'une attente
positive porteuse de bénéfices réels : bien être et
forme sont toutefois des valeurs auxquelles restent attachés bon nombre
de consommateurs, notamment les populations âgées. Par
définition, l'alimentation doit essentiellement répondre aux
besoins réels de l'organisme : c'est « l'aptitude à
bien nourrir ». Sans que les règles en soient absolues et
définitives, la nutrition a toutefois suffisamment progressé sur
le plan théorique en l'espace de quelques dizaines d'années pour
que l'on puisse aujourd'hui avancer un certain nombre de concepts susceptibles
de permettre une couverture satisfaisante de ces besoins, variables en fonction
de l'âge, du sexe, de l'individu ou encore de l'activité.
L'univers médical classique (médecins et
diététiciens), émetteur traditionnel des messages
santé-nutrition, garde encore la suprématie du discours sur la
santé en termes de nutrition, mais 50 p. cent de la population ne fait
confiance qu'à elle-même ou à une seule personne en
matière de conseils alimentaires liés à la santé,
les media et les relations occupant une place importante. Globalement,
face au discours nutritionnel, il s'agit d'une vigilance diffuse, d'un
intérêt latent, d'une posture de réceptivité
qui est révélatrice de la non focalisation des
Français sur cette problématique. La composante nutritionnelle de
la qualité comprend deux aspects distincts :
- Un aspect quantitatif, correspondant
à la quantité énergétique globalement
nécessaire à l'organisme, quantifiable et normalisable dans la
limite des spécificités propres à chaque individu ;
- Un aspect qualitatif concernant la
variété et le fractionnement des apports nutritionnels par
rapport aux besoins journaliers. Cette notion d'équilibre est
fondamentale et largement intégrée par les consommateurs, qui
tendent toutefois à la privilégier plus à travers des
ajustements ponctuels, des régulations d'ordre biologique et intuitif,
que par une modification radicale des moeurs décidée de
façon rationnelle. L'attrait systématique pour les nouveaux
produits diététiques est relativement faible (22 p. cent).
Dans le domaine de la restauration, la recherche de
l'équilibre nutritionnel est souvent maladroite et mal comprise par le
consommateur dont la préoccupation diététique est
très forte mais peu rigoureuse car modelée, si ce n'est
manipulé, par des impératifs commerciaux
générateurs de mythes. Mais que le moteur en soit la santé
ou l'image, les caractéristiques nutritionnelles sont devenues des
facteurs majeurs de choix et influencent l'offre en restauration collective.
Cet aspect ne peut que se renforcer dans l'avenir : compte tenu des
comportements alimentaires constatés dans la population, la RHF devient
peu à peu le seul garant de l'équilibre nutritionnel de la
journée. Paradoxalement, ceci peut permettre au consommateur de
succomber par ailleurs aux sollicitations constantes de l'univers d'abondance
alimentaire qui l'entoure. Combien de parents se disculpent ainsi de ne pas
surveiller sérieusement l'alimentation de leurs enfants à la
maison, sous prétexte « qu'au moins, à la cantine, il
mange équilibré ! «
Aujourd'hui cette affirmation reste encore hasardeuse dans
beaucoup de communes et les règles classiques (équilibre de
l'aliment, du plat, du repas, de la journée, de la semaine) sont loin
d'être universellement respectées : faute d'une démarche
diététique rigoureuse, les mêmes erreurs qui
caractérisent le comportement alimentaire des Français en
général, peuvent se retrouver en restauration collective. Dans ce
domaine comme dans d'autres, l'incompétence ignorée est
redoutable et la seule bonne volonté ne peut y remédier.
S'agissant d'équilibre, la qualité nutritionnelle
d'une prestation alimentaire ne peut s'apprécier que dans sa
globalité et dépend donc en grande partie du comportement du
consommateur : il n'existe pas de qualité nutritionnelle sans
information et éducation du convive. L'un des objectifs est de
supprimer, chez les adultes, le sentiment de mauvaise conscience alimentaire,
de transgression d'impuissance et d'anxiété,
généré par la sensation d'enfreindre les règles de
la morale alimentaire, afin de réconcilier plaisir et nutrition.
L'étude menée en 1993 sous l'égide de l'Observatoire de
l'Harmonie Alimentaire a clairement montré que les mangeurs ont
aujourd'hui l'impression de vivre dans une « cacophonie
diététique », confusion de prescriptions et de mises en
garde souvent contradictoires. Pour une forte majorité des
consommateurs, les changements fréquents du discours alimentaire
renvoient à des phénomènes de mode éloignés
des préoccupations de santé : discours décalé,
inadapté dans ses recommandations par rapport au mode de vie et à
ses contraintes, donc d'une efficacité douteuse et d'un impact
relativement faible en terme de comportements. L'opposition dichotomique
traditionnellement entretenue entre gastronomie et diététique,
entre goût et besoins, complique les choix d'une politique alimentaire
individuelle vécue comme une problématique. Implicitement ou non,
chacun cherche à résoudre l'antagonisme supposé entre le
bon et le sain.
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