La grève dans le transport maritime en Côte d'Ivoirepar David GBENAGNON Université catholique de l'Afrique de l'Ouest - Maà®trise en droit carrières judiciaires 2008 |
B. Les dockersLe métier de docker est né au XIXe siècle avec la navigation à vapeur et ses conséquences : réduction des équipages et des temps d'escale, augmentation de la taille des navires et de l'importance de la cargaison. Pendant la première moitié du XIXe siècle, le métier de docker était purement manuel. Le conditionnement des marchandises était adapté à la force humaine (sacs, carton...). Chaque chargement ou déchargement de navire nécessitait plusieurs centaines d'hommes pendant plusieurs jours. Aujourd'hui il, n'existe plus de charges qu'un homme puisse manipuler sans l'aide d'engins puissants (chariots, douglas, portiques porte-conteneurs, bandes transporteuses...). La profession était régie par le code de la Marine Marchande, mais cette législation devient inadaptée car le monopole conféré aux dockers, est à l'origine de nombreux conflits sociaux, paralysant régulièrement les ports et détériorant leur image. Ainsi, les relations de travail sur les quais sont très peu « juridicités », laissant place à une pratique sociale, principalement issue de l'irrégularité du trafic portuaire et de l'intermittence de l'emploi. La pluralité des employeurs a fait naître le mythe de l'autonomie professionnelle, la fierté de l'indépendance vis à vis des patrons. Ce qui leur conférait, un certain contre pouvoir et avait des répercussions importantes, en cas de grève sur l'économie des pays. Ces abus, l'évolution des techniques et la baisse de la quantité de travail fourni aux dockers, n'ont engendré aucune nouvelle réforme pour assainir le milieu des dockers, qui restent des travailleurs intermittents. Au plan social, la création des syndicats du SEMPA et du SYDOPSA n'a permis de développer la responsabilisation des dockers et favoriser leur productivité. Par voie de conséquence, cela a accentué les conflits sociaux, car le docker ne relève que du droit maritime et non du droit commun de travail. Le docker est placé sous l'autorité de son employeur, c'est-à-dire le syndicat et non de l'acconier. Le facteur déterminant des grèves est l'absence de lien étroit de subordination entre l'employeur et le docker : le contrat est conclu par écrit comme le précise l'Article 63 du Code de la Marine Marchande, pour une durée déterminée de quelques heures et cela même si le docker travaillait plusieurs fois de suite pour la même entreprise. Il n'y a donc aucune crainte de la part du docker puisqu'il n'était pas lié à l'employeur mais plutôt à son syndicat. Les grèves sont ainsi donc fréquentes dans le milieu des dockers, sans que les entreprises ne puissent s'y opposer. Les dockers sont employés par leur syndicat, ce qui explique peut être ce désordre. Le droit de grève est régi par le droit commun et les grèves peuvent prendre des formes diverses : grève pendant 24 heures, grève d'une demi-journée, les dockers peuvent refuser les travaux exceptionnels. Parfois, sous couvert de revendication syndicale, les dockers travaillent au ralenti afin de dépasser les shifts d'après-midi, pour pouvoir accéder au tarif salarial plus avantageux des « petites-nuits ». Cette étude sur les différents corps de métiers existant au port est importante du fait que chaque corps de métier est une entité agissant selon ses règles définies chacune par le Code de la Marine Marchande. La grève peut être locale. Elle peut résulter d'un mot d'ordre national ou même d'un mot d'ordre sous régionale. . Les conséquences négatives des grèves entraînent une perte de rentabilité et de crédibilité par rapport aux ports étrangers. Les différentes places portuaires mondiales ne sont pas épargnées par de tels conflits sociaux, qui, du fait de la position stratégique des dockers dans la supply Chain du commerce international, peut entraîner la paralysie de pans entiers de l'économie. Pour exemple, les activités des ports de la côte ouest américaine ont été paralysées pendant onze jours par un conflit opposant l'Association maritime du Pacifique (PMA, regroupant les armateurs et les patrons des installations portuaires) aux dockers60(*). A l'origine du mouvement, les dockers faisaient uniquement la grève des heures supplémentaires et respectaient scrupuleusement les consignes de sécurité, afin de protester contre la volonté de certaines entreprises de manutention d'adopter des systèmes automatiques de pointage des conteneurs, ce qui aurait réduit les équipes de dockers. Or, c'est précisément en raison des retards et de la désorganisation que ce mouvement qui durait depuis plusieurs mois, entraînait dans la rotation des portes conteneurs, que les armateurs ont décidé de ne plus accoster dans les vingt-neuf grands ports de la côte ouest des Etats-Unis. Ce conflit coûta environ deux milliards de dollars par jour à l'économie américaine. Le secteur high-tech fut en partie paralysé par ce blocus, les usines automobiles japonaises ont du réduire leur production, les exportations agricoles ont été sérieusement réduites... Par ailleurs, les armateurs ont subi une très forte désorganisation de leurs rotations de navire, près de deux cents unités attendaient devant les ports américains et des armements comme le danois Maersk-Sealand ont refusé le départ des conteneurs d'Hong-Kong vers les Etats-Unis. Or, l'immobilisation d'un gros porte-conteneurs, se chiffre en dizaine de milliers de dollars par jour. Face à ce coup de frein pour l'économie américaine, le gouvernement américain entama une procédure d'interdiction de grève contre les dockers, par l'intermédiaire du Taft-Hartley-Act, qui obligea les grévistes à reprendre le travail pendant quatre vingt jours pour des raisons de « sécurité nationale et de guerre en Irak ». En Côte d'Ivoire, suivant une enquête effectuée auprès du SEMPA et de quelques dockers, les grèves des dockers n'excèdent pas une semaine du fait de la non-affluence des navires. En définitive, les dockers sont un véritable contre pouvoir, et ils peuvent par leur action de grève, asphyxier totalement l'économie d'un pays voire l'économie mondiale, si un mouvement planétaire éclate, quand on sait que plus de 90% des marchandises échangées sont transportées par mer. Si le blocage d'un port par les dockers est préjudiciable pour ce dernier, qu'en advient-il lorsque les services du remorquage entament une grève et bloquent ainsi l'accès du port aux navires de grande taille ou non pourvus de moyen de propulsion suffisamment puissant, pour accoster ou « décoller » d'un quai. * 60 Times, 2004 |
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