La grève dans le transport maritime en Côte d'Ivoirepar David GBENAGNON Université catholique de l'Afrique de l'Ouest - Maà®trise en droit carrières judiciaires 2008 |
Paragraphe 3 : Cas des grèves résultant de la responsabilité civile du salarié grévisteLa grève présente un certain intérêt en matière de responsabilité civile. La responsabilité civile qu'il s'agisse de la responsabilité pour faute de l'article 1382 du Code civil ou de la responsabilité des choses que l'on a sous sa garde de l'article 1384 du même code sont affectés par le fait de grève, soit que celui-ci serve de fondement à la mise en oeuvre de la responsabilité, soit qu'il contribue éventuellement à un cas d'exonération de responsabilité. Ainsi dans le cadre du droit commun, bien que les règles relatives à la charge de la preuve ne l'y obligent pas, le réclamant va s'efforcer d'établir que la grève a pour origine une faute du transporteur. S'il réussit à rapporter cette preuve, la responsabilité du transporteur sera totale car, l'existence d'une faute ayant provoqué la grève interdit de considérer ces évènements de force majeure. Selon certains auteurs, la preuve qu'une faute du transporteur n'est à l'origine de la grève ne produit aucun effet sur sa responsabilité. A l'appui de cette thèse, Monsieur Scapel invoque un argument de texte : « l'expression « pour quelque cause que ce soit » de la convention de Bruxelles de 1924, exonère la responsabilité de l'armateur, même si la grève ou autre événement de ce genre, pourrait être considérée comme déclenchée par la faute de la compagnie de navigation ». Selon une deuxième opinion, le transporteur qui a provoqué la grève par sa faute doit être déclaré entièrement responsable du dommage. « Il ne nous paraît pas douteux, écrit le doyen Ripert64(*), que dans ces hypothèses, le transporteur ne saurait réclamer une exonération de responsabilité ». On peut estimer, que l'argument invoqué par Mr Scapel contredit directement le droit accorder par la loi de faire la preuve d'une faute du transporteur pour l'empêcher de se prévaloir d'un des cas d `exonération. En ce qui concerne l'argument de fait développé par le doyen Ripert, force est de reconnaître qu'il est délicat, en présence de certains conflits de travail, de discerner à qui incombe la faute et de déterminer les responsabilités de chacune des parties. Mais le rôle des juges, devient très difficile, les textes se multiplient, les interprétations divergent et créent souvent des situations inextricables, il semble donc légitime de faire confiance aux tribunaux et de leur laisser le soin d'apprécier la faute du transporteur ou du manutentionnaire dans le cas d'un conflit de travail. D'ailleurs comme l'indique le doyen Ripert65(*), « il est illusoire d'espérer arriver à créer des règles objectives, et l'on ne saurait écarter l'appréciation personnelle et subjective du juge ». D'ailleurs les tenants de cette deuxième position font valoir les arguments selon lesquels: « les causes d'exonération énumérées ne peuvent être retenues qu'à la double condition que... et que, par ailleurs ni indirectement, les causes d'exonération ne soient le résultat d'un acte (plus exactement une faute) du transporteur ». L'argument décisif semble devoir être tiré du lien de causalité : le cas excepté doit être la cause de la perte ou de l'avarie ; or, quand la grève a été le résultat d'une faute du transporteur, sans doute entre-t-elle bien dans la chaîne causale qui conduit au dommage, mais elle n'est qu'un intermédiaire entre celui-ci et la faute. La véritable cause de la totalité du dommage, c'est la faute. Voilà pourquoi comme le considère Mr Fieschi la responsabilité du transporteur doit, dans ce cas, être totale66(*). Lorsque la faute du transporteur se trouve être à l'origine de la grève, il n'y a donc pas de particularisme des règles régissant le transport maritime. Or que se passe t-il si l'on s'en tient exclusivement aux dispositions de l'article 1382 du Code civil et de son application faite par le juge en temps de grève dans des « situations maritimes ». A. De la responsabilité pour faute en temps de grève.L'article 1382 du Code Civil dispose que toute personne est responsable des dommages causés par sa faute. Cet article est susceptible de s'appliquer à l'action d'une personne morale comme un syndicat ou comme à l'action des salariés, personnes physiques. L'action d'un syndicat, lorsqu'elle occasionne un trouble manifestement illicite peut faire l'objet d'une mesure de référer, notamment une expulsion ou un ordre de faire cesser le trouble sous astreinte. Mais à cette mesure provisoire fera suite une assignation au fond de l'armateur ou du chef d'entreprise pour obtenir des dommages et intérêts du fait des dommages qu'il a subies (en général des pertes d'exploitation ou running cost.). Il faudra en application du droit commun établir une faute, un dommage et un lien de causalité, qui en pratique du moins pour les deux derniers éléments sont facilement identifiables. La faute exigée est, ici, une faute simple. Elle peut consister soit en une grève illicite (par exemple le non respect du préavis de cinq jours obligatoire pour les marins), soit une grève licite accompagnée d'actes illicites tels que les menaces de violence, les entraves à la liberté du travail ou à la liberté d'aller et venir. Les juridictions ayant de plus en plus tendance à parler « d'abus de droit de grève ou d'abus de droit syndical ». Or la notion d'abus de droit est inappropriée en l'espèce car le droit de grève constitue une liberté publique fondamentale que seules des circonstances particulières sont susceptibles de limiter. Dans l'affaire du «Global Med»67(*)navire sous pavillon libérien, le syndicat ITF représenté par la CFDT en France avait soutenu une grève des marins du navire qui souhaitaient obtenir un salaire conforme aux normes ITF. Le tribunal de grande instance de Boulogne avait condamné les syndicats au paiement de dommages-intérêts à l'armateur car « il n'était pas tolérable que les officiers du bord aient été séparés de l'équipage et menacés de violences physiques et que les représentants de l'armateur aient été empêchés de remettre aux marins un message officiel et de s'entretenir librement avec eux... ». Ces faits qui constituent des entraves à la liberté du travail et des voies de fait constituent la faute reprochée au syndicat. Quant au dommage subi par l'employeur il consistera le plus souvent comme il a été dit précédemment comme financier et se matérialisera par des pertes d'exploitation ou des marchandises avariées... La conception ivoirienne de l'exercice du droit de grève ne permet pas d'incriminer automatiquement un syndicat puisque les syndicats n'ont pas, contrairement à d'autres pays, le monopole de l'exercice du droit de grève. Il semblerait donc que lorsque les syndicalistes non membres du personnel de l'entreprise victime, sont à l'origine du mouvement, la jurisprudence présume que la grève a été commanditée par un syndicat et retient donc sa responsabilité. C'est le raisonnement retenu de manière implicite par la cour de cassation dans l'affaire du « Global Med ». En revanche lorsque la grève trouve son origine dans l'action des syndicalistes membres de l'entreprise victime de la grève, la cour de cassation exige que l'initiative du syndicat dans les actes illicites soit recherchée68(*). Si cette initiative du syndicat n'est pas établie, les grévistes peuvent eux-mêmes êtres tenus pour responsables. Cette solution a été admise dans un arrêt Corfu contre société Sarlino69(*). Mais la jurisprudence semble être devenue depuis plus réticente pour admettre la responsabilité des grévistes vis à vis de l'entreprise ou des non grévistes. Parfois la responsabilité du fait des mouvements sociaux peut être recherchée sur le fondement de l'article 1384 du Code Civil. * 64 Traité de droit maritime, Tome II, n°1.816 - 5, p. 588. Cependant le doyen Ripert n'admet pas cette idée dans le cadre de la convention de 1924 puisque, pour lui, la contre-épreuve est impossible. * 65 Traité de droit maritime, Tome II, p. 666 n°1. 726. * 66 Le particularisme de la grève et du lock out dans le transport de marchandises de mer, p.224, op. cit. * 67 DMF 1985, p. 266, Cass 8 novembre 1984. * 68 JCP 1990 IV, p. 351, Cass civ 17 juillet 1990. * 69 D 1972, p. 656, Cass soc 8 février 1972 |
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