Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat( Télécharger le fichier original )par Romain Chapouly Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011 |
2) Description factuelle d'une « flashmob »(Rassemblement du jeudi 30 juin, à la veille du référendum sur la constitution) A l'initiative de la coordination locale, la place Bab al-had est choisie comme lieu de rassemblement (à 18h). Mais cette place fait l'objet d'une quasi-omniprésence des « royalistes » depuis une semaine, et qui à chaque fois redouble en nombre et gagne en matériel de communication. Cette fois des autocars, des camionnettes, des voitures, sont affrétées pour l'occasion, les véhicules sont équipés de tout le matériel (micros, sonos, mégaphones), nécessaire à la diffusion sonore de slogans, chansons, et aussi d'estrades métalliques montées sur les toits destinées à accueillir les orateurs et les porteurs de drapeaux. Visiblement, les royalistes attendent les févriéristes, l'information selon laquelle un rassemblement serait prévu a probablement été ébruitée dans les rangs des royalistes. Face à ce bataillon, disposé en règle, avec leurs uniformes rouges et leurs drapeaux (T-shirt, pancartes, homogènes), le mouvement du 20 février (20fev) se fait attendre. Les personnes, arrivent individuellement ou par petits groupes, vont à la rencontre de leurs camarades qu'ils reconnaissent, formant progressivement des groupes éparpillés mais de plus en plus importants. La première question qu'on pose après les salutations d'usage : << où sont les autres », la réponse intangible : << ils arrivent ». On interpelle individuellement les camarades qu'on reconnaît sur la place, en leur faisant signe de rejoindre les petits groupes constitués. Presque aucun signe ostensible manifestant la présence du 20fev n'est brandi, la discrétion de la mise en route du rassemblement est surprenante. Soudain, un groupe rassemblé derrière le siège de l'Istiqlal et une station essence, et qu'on aurait pu prendre initialement pour un groupe de personnes contingentement agglutinées sans intention collective (à l'image d'une file d'attente de bus), se mettent en choeur à frapper des mains et entonner les chants et slogans du 20fev. Ceux-ci fonctionnent autant comme des signes de ralliement pour les camarades qui arrivent sur la place, que comme un moyen de manifester aux passants rabatis et également aux forces de l'ordre que le mouvement du 20fev est présent et entend accomplir son occupation de l'espace public. Presque aucun signe visuel de reconnaissance signifiant l'appartenance collective n'apparaît, si ce n'est quelques maigres pancartes et des écharpes à l'effigie du 20février, de sorte que le groupe (quelques dizaines au début) apparaît en contraste des royalistes (tous appareillés des signes de reconnaissance : la couleur rouge et les caractères << naam »58 mis en gras sur les affiches, pancartes et écriteaux ) comme un amas impromptu, une foule d'inconnus, un conglomérat d'individus isolés, marqué par aucune couleur commune. Rapidement cependant, la discipline oratoire qui se manifeste par la rigueur de la scansion avec laquelle les slogans oraux sont déclamés à l'unisson, fait du tort aux royalistes partisans du oui (groupe qui se présente selon les tracts envoyés par centaine sur la place comme la << coordination nationale de la jeunesse », selon les membres du 20fev il s'agit simplement de << baltajias » payés par le ministère de l'intérieur59. Les slogans scandés sont de plusieurs ordre (et exprimé tantôt en darija tantôt en arabe plus classique) : le premier est l'appel au boycott du référendum et à la mise en place d'un processus 58 << oui » en arabe (en référence à l'appel au << oui » pour le référendum constitutionnel) 59 Le reportage de TV5 sur le groupe de << l'alliance royale » en apporte une confirmation, voir le lien : http://www.youtube.com/watch?v=fVYgtKLWB1I&feature=share constitutionnel démocratique, le deuxième est une dénonciation de la corruption et un appel à la chute du gouvernement, le troisième est un appel à l'unité populaire pour défendre << la dignité, la liberté et la justice sociale >>. Le rassemblement du 20fev grandit assez rapidement, en l'espace de 20 minutes il peut compter environ 200 personnes. Les forces de l'ordre repèrent le positionnement du 20fev et s'organisent pour former une barrière humaine entre les royalistes et le 20fev. On s'aperçoit que jusqu'à la manifestation des membres du 20fev, les forces de l'ordre étaient en stand-by, il aura fallu que les contestataires entament leur cérémonie pacifique pour que la sûreté nationale se mette en branle, qu'elle sorte des estafettes et rapidement forme un arc d'individus kakis avec boucliers et matraques (mais sans armes à feu) devant les manifestants, augmentant la densité du groupe tout en réduisant son espace de mouvement. Cette façon de procéder a laissé toute latitude aux royalistes pour se déployer juste derrière les forces de l'ordre, donnant ainsi l'impression d'un piège qui se referme sur les militants du 20 fev, ou encore l'impression que la police protège la petite minorité de trublions contre ce qui semble vouloir incarner cette immense falaise d'adhésion populaire figurée ici par les << partisans du oui >>. Ceux-ci sont visiblement voués à incarner l'évidence du << oui >>, le rôle du << consensus populaire >> pour la constitution du roi, ils sont censés représenter le soulèvement d'adhésion instantanée de la masse pour plébisciter le roi, et faire précisément figurer cet enthousiasme dans l'espace public. Cependant cette instantanéité, ce sursaut d'adhésion spontanée laisse songeur au regard du déploiement logistique et matériel qui semble accompagner cette << spontanéité >>. Ces royalistes n'existent véritablement (et dans leur forme organisée) que par l'appui logistique et matériel d'une force institutionnelle, car nulle autre force ne serait apte à déployer dans cette temporalité si courte des cohortes d'individus, comme surgis de nulle part, avec une discipline qui s'apparente plutôt à celle d'un syndicat chevronné qu'à une foule improvisée60. Quatrième protagoniste après le 20fev, les
royalistes et les forces de l'ordre, la présence 60 Après la dispersion de la manifestation, la présence de quelques voitures de la sûreté nationale remplies d'individus en T-shirt rouge (conducteurs compris) qui quittaient les lieux à quelques pas du lieu du rassemblement, nous a confirmé l'hypothèse (avancée par certains manifestants du 20fev) selon laquelle les groupes de royalistes étaient composés en partie de policiers en civil, improvisés << militants >> pour l'occasion. de l'échauffement des parties prenantes. Une foule impassible qui recrute ses membres chez les passants pris de curiosité devant cette confrontation politique qui semble presque inopinée et qui en tout cas possède sans aucun doute quelque chose d'inédit dans sa théâtralité : la reproduction ostensible, mais en miniature de chair, de deux figures incontournables de la tragédie chérifienne, le régime colossal et l'opposition populaire (les éléments disjoints demos d'un côté kratos de l'autre). Il y a de la violence certes mais d'une manière latente, les enjeux sont lourds car il est question du régime et de la contestation d'un processus engagé par le roi, donc c'est aussi le système monarchique qui est attaqué même si celui-ci ne subit jamais d'attaque frontale. Il y a donc de la violence, mais c'est une violence qui est assez vite désamorcée, étouffée, sublimée par la structure même du 20fev, qui a cette conscience partagée par tous ses membres que l'un des premiers liants du mouvement est sa forme pacifique, postulat indiscutable qui en disparaissant ferait exploser le mouvement d'une manière irrémédiable. La force pratique de ce principe commun s'illustre à chaque fois qu'une scène réellement violente semble apparaître, soit qu'elle provienne de l'intrusion ou de la provocation des baltajias soit qu'elle vienne d'une confrontation avec la police, toujours le cri de ralliement qui sortira à l'unisson de toutes les bouches sera « silmiya, silmiya ! » (pacifique, pacifique !) comme pour rappeler à l'individu qui s'est égaré en laissant libre cours à sa colère qu'en faisant cela il engage tout le collectif à assumer les conséquences de ses actes. Le peuple ici, comme le 20fev s'imagine l'incarner, est une petite formation bariolée, destructurée et presque aphone et qui est prise en tenaille derrière un rempart de policiers, recevant la vindicte et l'opprobre de la part d'une formation lourdement outillée en décibels, les trois véhicules équipés d'un matériel d'amplification sonore ressemblent à trois énormes falaises, un système titanesque face à l'agitation rendue inaudible des contestataires. La foule non-engagée dans les événements qui se présentent à elle, regarde ce spectacle d'une manière impassible cependant que les enjeux n'échappent à personne : tout est mis en oeuvre pour mettre en scène la suprématie du régime (non pas le régime en tant que tel, c'est-à-dire en tant qu'instrument de puissance de déploiement de force, mais en tant qu'il est l'incarnation de la volonté générale), et pour montrer encore que le mouvement du 20février n'est rien (et dans une signification plus profonde, qu'au Maroc on ne peut être personne, on ne peut exister véritablement sans l'assentiment et le soutien du régime monarchique) si ce n'est une poignée d'individus sans voix, sans organisation, sans avenir. Conscients d'être en situation minoritaire, au vu de cette connivence tacite entre royalistes et forces de l'ordre, les manifestants du 20fev redoublent d'intensité dans la scansion des slogans. D'autant que les énormes baffles disposés sur les 3 véhicules des royalistes qui entourent le rassemblement des févriéristes ont pour ambition manifeste de couvrir la portée de leur appel au boycott du référendum. Un unique mégaphone (prêté par une organisation syndicale) tente de donner une autorité plus conséquente à la conduite des slogans. Les slogans sont connus de tous, ils alternent, reviennent, ils ne sont en tous cas absolument pas improvisés, car le risque qu'une initiative individuelle vienne semer le trouble dans l'unité phraséologique du mouvement est la crainte de chacun. C'est pour cela que si quelque individualité éprouve le besoin d'innover (comme ce fut le cas pour un slogan improvisé, visant à tourner en ridicule le rassemblement visiblement « tarifé » des partisans du oui, qui sera accompagné d'ailleurs d'une gestuelle corollaire : quelques manifestants tendent à la vue des royalistes des billets de 50 et 100dh, signifiant par là qu'ils ont été soudoyés) il y aura alors un petit moment de discussion des quelques personnes (le comité de manifestation) qui gravitent autour du mégaphone et qui semble rassembler l'ensemble des tendances politiques du mouvement. Une fois le slogan accepté unanimement, il sera délivré oralement via le mégaphone. Le leadership de la manifestation semble suivre les règles tacites qui ont présidé au fonctionnement des manifestations antérieures. Pas de leadership officiel, ni de services d'ordre connu, du moins celui-ci n'est pas connu de tous, il n'est pas désigné publiquement ni entiché d'un signe distinctif, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'organisation au service de la sécurité des manifestants, cependant le processus d'attribution des responsabilités dans ce domaine subit un turn-over et par ailleurs est le fruit de décisions prises en comité réduit et en amont de l'événement. Le rassemblement est donc contrôlé et surveillé par un service d'ordre. Nous avons à cet égard directement fait les frais de cette surveillance informelle lorsqu'un des militants du 20 février (apparemment de la jamaa d'al-Adl au vu de la barbe, la djellaba et la calotte) nous aborda alors que nous observions le groupe se mettre au diapason, nous demandant pourquoi nous ne chantions pas avec eux et si par hasard nous n'étions pas un << baltajia >>. Nous lui répondîmes avec un sourire et dans un arabe approximatif que nous ne comprenions pas tous des slogans employés mais que nous étions cependant tout à fait prêt à combler cette lacune par un soutien digital redoublé. Après nous avoir identifié comme français inoffensif il nous congédia, un peu interloqué. Pas de leadership sur le papier donc, cependant qu'un leadership de facto tient lieu de << poisson pilote >> pour la foule qui attend quelques signes et recommandations. En fait les << têtes >> sont connues et reconnus, tout se passe comme si le déroulement de la manifestation suivait les effets conjugués de l'autorité légitime et de la confiance. Cependant on se tromperait en ne remarquant pas les va-et-vient incessant de certaines personnes, allant vers untel ou untel glisser quelques mots à l'oreille, ou les brèves discussions en aparté de ces mêmes personnes. Les personnes clés pour les décisions qui vont être prises dans l'agitation du moment sont celles qui visiblement ont une légitimité chronologique, c'est-à-dire ceux qui sont présents depuis les toutes premières heures du mouvement et qui ont structuré les premiers échafaudages du 20février. Il s'avère que dans ces personnes clés, beaucoup ont fait leurs armes dans des partis politiques ou dans le syndicalisme étudiant (UNEM). Ce qui augmente leur importance (leur poids dans le statut de << leaders >> même si cette terminologie n'est pas apprécié par les 20févriéristes), cette fois-ci non plus sur le terrain de la légitimité chronologique, mais sur celui de la compétence technique et stratégique. Paradoxalement ces figures centrales ne sont désignées comme leaders que d'une manière absolument extérieure au mouvement lui-même, notamment via les médias (marocains et français notamment) qui ont voulu dresser le portrait de ceux qui se trouvaient le plus souvent en tête des cortèges. Evidemment tous les membres du 20fev savent qui sont les personnes qui comptent au sein du mouvement mais cependant aucun signe, même des signatures personnelles, n'est venu attester une quelconque organisation hiérarchisée. Les royalistes néanmoins reprennent ces figures désignées par la presse comme pour pouvoir trouver des personnes à accuser, des personnes de chair et d'os, des figures charismatiques à condamner, alors que le mouvement lui-même se présente sous les traits exclusifs d'un collectif. A titre d'exemple les portraits d'Oussama al-Khlifi et de Najib Chaouqi ont été barrés d'une croix rouge et collés à un faux cercueil sur lequel était inscrit en arabe quelque chose que l'on peut traduire par << la mort du 20 février ».Ce cercueil était porté par deux royalistes qui le faisaient circuler derrière la barrière formée par les policiers et au-dessus de leurs têtes, accompagnés de pancartes aux slogans sarcastiques << 20 février, vous allez nous manquer ». Au moment où les royalistes semblent avoir gagné la bataille des décibels, un des leaders prend le mégaphone et harangue les 20févriéristes en leur demandant de ne pas se décourager devant les << intimidations du makhzen ». Puis à l'initiative de quelques personnes (mais probablement d'un commun accord) qui le manifestent par des gestes amples, le rassemblement est appelé à se mouvoir quelque peu afin de perturber les royalistes et les forces de l'ordre. Aussi cela met en mouvement et les policiers et les royalistes, ces derniers réajustant le placement des camionnettes afin que les baffles reproduisent le couvrement des voix là où les contestataires trouvent à s'arrêter de nouveau dans le petit périmètre laissé par les forces de l'ordre. Afin de contrecarrer les objectifs des royalistes, qui sont de couvrir le plus possible la portée des slogans émis par les 20févriéristes, ces derniers à l'initiative de quelques membres entament des danses exaltées, en cercle crient en choeur les slogans habituels et profitent de l'émulation produite par la vue rapprochée des camarades communiant dans la même exaltation pour redoubler de puissance la sonorité des slogans émis. D'autres se mettent à les applaudir. Progressivement le rassemblement qui dure bientôt depuis 2 heures se referme sur lui-même. Initialement destiné à haranguer les passants et faire entendre une voix indignée, contestataire et discordante par rapport aux canaux officiels d'information, sur la grande place de Rabat, le rassemblement se retrouve désormais en huis clos, comme séparé de toute extériorité, une contestation qui n'existe plus désormais que pour elle-même, séparée qu'elle est de l'extérieur par cette force d'endiguement que sont les cordons de policiers alliés à ces écrasantes façades royalistes (longue banderoles, cars, camions, qui produisent un effet très efficace d'extinction de la visibilité des 20févriéristes). Quelques passants curieux cependant sont encore les témoins de cette situation. Au moment où le découragement et la lassitude
semblent gagner les esprits, et que le rassemblement contestataire attise la fatigue, se met en place précipitamment une petite troupe de théâtre. Presque à l'improviste, car il y a de la préparation tout de même dans ce petit numéro de dernière minute. Un des orateurs appelle la foule rassemblée à s'asseoir, la scène théâtrale se met en place dans un petit espace au milieu des gens. Les personnages du drame ont revêtu des tuniques (burnous) sur lesquelles sont accrochés les attributs des personnages : il y a la constitution, les partis makhzéniens, le peuple. La petite scène attire tous les regards et revivifie soudainement l'ambiance du rassemblement. L'extérieur revient à être exclu encore une fois mais cette fois à l'initiative du 20fev (avec la manière de retourner contre elle-même la puissance qui contraint une orientation, la fermeture sur l'extérieur qui semblait sonner le glas de l'événement par l'étouffement de son objectif premier, ne fait en vérité que le dévier vers une autre forme d'expression qui sait réutiliser (compétence d'adaptabilité) à ses propres fins la force contraignante qui s'impose), et la petite foule des royalistes a beau redoubler d'efforts pour couvrir la parole des comédiens, il est trop tard, le public est déjà conquis, à la fois par l'initiative théâtrale en elle-même (le déroulement du drame, le jeu des personnages) et par l'effet de dédain qu'il constitue envers ceux qui tentent présentement d'étouffer le mouvement. Il s'agit visiblement d'un repli sur soi comme technique de conquête sur l'extérieur par l'arme du dédain, car ce repli n'est pas simplement un accommodement momentané ou une résignation à ne demeurer que dans un entre-soi, son objectif est bien plus de toucher l'extériorité, par un jeu d'indifférence visant à vexer les royalistes dans leurs efforts d'intimidation, que de divertir les participants, d'autant que ce << spectacle dans le spectacle >> est une mise en abîme attirant la curiosité des passants, non contents apparemment d'apercevoir l'ingéniosité et le sens de la dérision se déployer dans le comportement des contestataires du 20fev, quand par contraste l'attitude des royalistes parait beaucoup plus classique avec l'unique arme de la suprématie sonore (et l'appui logistique), qui n'est pas sans rappeler, dans un cadre métaphorique certes plus pacifique, l'usage de la matraque par les forces de l'ordre. Cette violence sonore pourrait en effet être vue comme une variation sur le thème du matraquage. Le contenu de la représentation théâtrale en elle-même traite du processus référendaire et tourne en dérision le régime marocain. Une femme cinquantenaire personnifie la constitution (la pancarte << al-doustour >> autour du cou), elle boite, elle geint, elle manque de s'écrouler dans ses tergiversations sur la petite scène, mais les partis makhzéniens (Ahzab al-makhzen) sont là pour la sauver chaque fois qu'elle semble trébucher, ils sont les béquilles de la nouvelle constitution. La représentation est caricaturale, c'est son objectif, elle est didactique aussi, et souhaite montrer par des images burlesques la scène politique marocaine dans tout ce qu'elle a de ridicule et d'antidémocratique: les contorsions et génuflexions des partis politiques pour baiser la main de la constitution (c'est ici le symbole de la bay'a qui est attaqué et la culture de l'obéissance), ou encore la censure du peuple chaque fois que celui-ci souhaite émettre une critique. Les partis, les partisans du oui et l'allégorie de la constitution, entourent le personnage représentant le peuple, et le doigt sur la bouche lui ordonne le silence quand celui-ci crie au scandale, en appelle à la fin de la mascarade politique et de la corruption. Un personnage absent, le roi, est pourtant très présent dans toute la symbolique des mises en scène. Au bout de 3h, un groupe se concerte, puis un des membres prend le mégaphone et après avoir remercié l'ensemble des participants annonce la fin du rassemblement. La dispersion de ce dernier n'est pas une mince affaire cependant, car les royalistes sont toujours là très proches des 20févriéristes. Les policiers de la sûreté nationale ouvrent néanmoins une brèche dans leur cordon et un flot de personnes s'y dirige et forme inévitablement un goulet. Les insultes fusent, une panique collective monte quelque peu, et on se rassure en ressassant le slogan « silmiya silmiya ! >>. Quelques personnes vêtues du t-shirt « oui à la constitution >> et talkie-walkie à la main se joignent aux policiers pour fortifier le cordon de séparation et protéger les 20févriéristes dans leur sortie. Preuve s'il en est que les effectifs des royalistes étaient composés de policiers en civil, et cependant preuve indéniable que les instructions venues d'en haut ont voulu empêcher tout débordement de violence. Si la place est bientôt vide, en revanche l'avenue Hassan II se retrouve vite embouteillée par des groupes de manifestants qui, à cause de leur nombre important, occupent la rue et les trottoirs empêchant une circulation normale. Les 20févriéristes ne sont pas pressés de se disperser car des groupes de royalistes suivent le mouvement en dispersion et l'invectivent. Bientôt des groupes ambulants se font face, se provoquent et s'insultent de part et d'autre de l'avenue Hassan II, et il faut l'intervention des policiers pour appuyer la dispersion des protagonistes. Unique incident, dans un coin de rue où un bus arrêté formait un goulet limitant le passage des gens, une jeune militante du 20fev reçoit un projectile au niveau de l'arcade sourcilière. Moment décisif, avant que les 20févriéristes ne tentent une riposte de colère, la police intervient et protège l'endroit de l'incident, la personne sera emmenée à l'hôpital. La police finit de vider la place, et sonne la fin des hostilités. Les 20févriéristes se retrouvent à remonter l'avenue Hassan II par groupe de 4-5, souvent en fonction des affinités, et au bout de quelques carrefours se disjoignent peu à peu. Après des embrassades, accolades, paroles d'encouragement, annonces et rappels des prochains événements, et le bras levé avec le V de la victoire, les camarades se saluent mutuellement et reprennent chacun leur chemin propre. |
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