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Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

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par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

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Chapitre 2 : Occuper l'espace public : manifestations et slogans

1) Les manifestations de rue, sit-in et rassemblements

Il est 20h passée ce dimanche 31 juillet et dans le centre ville de Rabat la manifestation organisée par le mouvement du 20 février prend doucement le chemin de la dispersion après l'ultime discours d'un des organisateurs adressé par mégaphone à la foule rassemblée devant le parlement marocain. L'avenue Mohamed V est remplie de manifestants sur son artère ascendante, de l'autre côté sur les terre-pleins et les trottoirs s'agglutinent les passants qui paraissent curieux devant ce spectacle de protestation publique. Regards neutres et silencieux, cette manifestation bruyante mais pacifique les intrigue apparemment assez pour les stopper dans leurs trajets. Mais cependant la frontière est bien là, présente sur ce lieu contigu entre la posture muette du spectateur dégagé et l'exercice bruyant de vocalise accompagné des frappements de main rythmés auxquels s'appliquent les << mounâdilîn » (les militants). Puis, alors que les forces auxiliaires48 établies autour du rassemblement entament un mouvement pour progressivement accélérer la dispersion de la foule, quelques groupes de jeunes militants enthousiastes improvisent au milieu de l'avenue des sortes de danses où une dizaine d'individus en cercle et se tenant par les épaules tourne frénétiquement à pas chassés (ou en sautant) en déclamant des chants de résistance en choeur. A quelques mètres de cette étonnante scène de ronde effervescente, sur le terre-plein de l'avenue, des groupes d'hommes de différents âges installent les tapis de prière en rangs serrés pour accomplir << salât al-maghrib », la prière du soir. Deux scènes radicalement différentes se font donc face, deux rituels qui chacun à leur manière figurent comme un retour à la source liturgique de l'identité des sous-groupes composant le mouvement commun, celui du << 20 février ». Ce dernier a ses rituels propres, ses règles respectées et suivies par la communauté, mais ils n'épuisent pas ceux des différentes cultures militantes qui le composent, et qui naturellement réapparaissent une fois la communion févriériste

48 Corps de police qui compose le plus souvent l'essentiel des forces de l'ordre déployées dans les situations de manifestations, rassemblements et sit-in dans les villes marocaines.

achevée. Comme l'écrit M. Emperador << La manifestation est le lieu où le groupe se définit. Elle est le résultat de luttes de sens, et d'objectifs concurrents répercutant les engagements individuels et collectifs »49. Mais c'est aussi, comme l'illustre l'observation ci-dessus, le lieu de visibilité des singularités qui se cachent derrière l'union, car << chacun des groupes manifestants se trouvent confronté à la nécessité de mettre en oeuvre, de diffuser en son sein et d'institutionnaliser des façons propres de faire corps, qui se cristallisent dans des formes spécifiques »50.

L'occupation de la rue, qu'elle prenne la forme d'une manifestation classique ou d'un rassemblement fixe (sans déplacement de cortège), est l'activité centrale du mouvement du 20 février. Comme la plupart des mouvements sociaux de protestations, la voie pacifique choisie pour exprimer le mécontentement restreint le répertoire d'actions à ces quelques variations sur le thème de la << démonstration du nombre », dont les régimes démocratiques sont en générale sensibles. La forme hybride du régime marocain, engagé dans des processus de démocratisation (notamment depuis le changement de règne) en conservant des appareils chargés de contourner les dispositifs démocratiques, offre une mise en pratique éloquente de cette ambiguïté dans le cas de la gestion, par les appareils sécuritaires, des manifestations du 20 février. Observe-t-on ainsi, comme pour le cas des diplômés chômeurs, << une levée de la coercition à l'égard des expressions publiques du mécontentement au Maroc »51 ? Il faut croire en tout cas que le régime s'est engagé sur une gestion << pacifique » du conflit, et grâce à cette image il s'est attaché les faveurs de l'UE (dont les pays membres n'ont pas tari d'éloges sur l'intervention du roi) et d'un certain nombre de personnalités de la société civile marocaine proche du mouvement des droits de l'homme (notamment Driss al-Yazami). Cette image d'une gestion pacifique des événements contestataires, avérée par le faible nombre de morts et de blessés durant les événements, ne doit cependant pas laisser sous silence les multiples cas de répression, d'enlèvement, de torture et d'intimidations. Toujours sporadiques, détournés des voies classiques, les modes de répressions des militants protestataires sont toujours présents, et relèvent de l'arbitraire des différents appareils de sécurité dont

49 Emperador Montserrat, Les manifestations des diplômés chômeurs au Maroc : la rue comme espace de négociation du tolérable, Genèses, 2009/4 n° 77, p 46

50 Soutrenon Emmanuel, Le corps manifestant. La manifestation entre expression et représentation, Sociétés contemporaines, n°31, 1998, p 46

51 Emperador Montserrat, Les manifestations des diplômés..., op cit, p31

dispose le régime. Il est certain que ce dernier, engagé auprès de partenaires internationaux (comme l'UE avec le << statut avancé >>), prendrait des risques trop importants à réprimer durement un mouvement dont le risque de propagation insurrectionnelle demeure encore bien en-deçà du seuil systémique.

Dans l'espace de la protestation au Maroc, nul doute que les mouvements de diplômés chômeurs et l'exercice boulimique de la manifestation qu'ils pratiquent depuis 20 ans ont progressivement creusé un sillon dans lequel a pu se loger un spectre beaucoup plus large de mouvements de protestation. Il faut bien reconnaître au mouvement des diplômés chômeurs d'avoir essuyé les plâtres de la répression policière jusqu'à ce que des niveaux de tolérance et de dialogue identifiables apparaissent. Comme l'explique M. Emperador, cette récurrence de la manifestation a posé en quelque sorte les jalons de la protestation à moindre risque et offert un standard des modes opératoires de la manifestation sur la voie publique dans le Maroc de l'après Hassan II. La protestation dans l'espace public a ainsi acquis, à force de répétition, un caractère routinier qui a modelé un espace de protestation relativement équilibré entre seuil de tolérance de l'appareil répressif étatique et visibilité des mobilisations revendicatives. L'autodiscipline des manifestations et sit-in des diplômés chômeurs ont institutionnalisé une pratique pacifique (dont la forme était auparavant perçu par l'Etat uniquement comme dangereuse car propice au désordre) incitant à une transformation corollaire des modes opératoires des forces de l'ordre. << Le verrouillage complet de la rue ou l'exercice d'une violence physique létale sont impensables aux yeux des militants à cause de leurs effets négatifs sur l'image de l'État. En effet, l'« acceptation » des manifestations valide publiquement la rhétorique de démocratisation des autorités >>52. La protestation publique n'était dés lors plus perçue comme une entreprise subversive, mais comme catégorie légitime (ou tolérable) dans l'ordre de l'action publique53. Les politiques publiques ont en quelque sorte été progressivement contraintes à prendre en compte (sinon laisser apparaître) le << voice >> du mécontentement, quand celui-ci reste néanmoins circonscrit à l'intérieur d'un cadre limité par des lignes rouges qu'il ne faut pas franchir au risque de briser le pacte tacite avec les autorités. Cependant comme le

52 Ibid, p39

53 Catusse Myriam, Vairel Frederic, Question sociale et développement : les territoires de l'action publique et de la contestation au Maroc, Politique africaine, n° 120, décembre 2010, p 5-23

note M. Emperador, « les limites du tolérable définies par les agents de l'État sont instables »54.

Les militants du 20 février ont éprouvé à plusieurs reprises « cette instabilité des limites du tolérable », bien que les motifs du dépassement du tolérable soient eux-mêmes très abscons et vraisemblablement relèvent plus de l'ordre de l'arbitraire que d'une stratégie de délimitation claire. Toujours est-il que la sortie dans les lieux publics est, pour les militants, une prise de risque non négligeable, en premier lieu parce qu'elle met en visibilité les personnes participantes (les services de renseignement photographient scrupuleusement les moindre rassemblements contestataires), et en second lieu parce que ces sorties ne sont pas soustraites à un risque toujours latent de répression policière et d'emprisonnement. Durant la mobilisation de février à août, très peu de manifestations organisées par le mouvement du 20 février ont fait l'objet d'une autorisation préalable de la wilaya (préfecture). La stabilité relative des rassemblements et manifestations, est due au pacifisme appliqué et à l'autodiscipline des manifestants, ainsi qu'à la routinisation des parcours à laquelle les autorités se sont habituées. En effet, les manifestations de la coordination de Rabat organisées dans le centre ville ont toujours suivi le même parcours, de sorte que les forces de l'ordre avaient une bonne connaissance des lieux et des moyens d'encadrer les cortèges. En revanche lorsque les manifestations sont organisées dans les périphéries de la ville, dans les quartiers populaires, les forces de l'ordre sont alors plus enclines à faire usage de la force. Du reste, le caractère a priori illégal de toute les sorties du mouvement est une marge de manoeuvre délibérément laissée à la discrétion des appareils de sécurité pour réprimer en cas de besoin (l'Etat peut toujours invoquer l'illégalité d'une marche pour légitimer une vague de répressions ou d'arrestations).

La rue est l'espace privilégié de la visibilité du mouvement. Les sorties doivent donc être impeccables, contrôlées et doivent afficher le mieux possibles les messages que veulent faire passer les militants : qu'il s'agisse des slogans ou de la forme même du déroulement de la manifestation, censée véhiculer un message d'unité et de protestation pacifique. Un faux pas en ce lieu équivaut à une perte en légitimité tant sont rares les

54 Emperador Montserrat, Les manifestations des diplômés..., op cit, p 46

autres lieux d'expressions susceptibles de corriger les erreurs survenues dans les manifestations.

La manifestation est non seulement un moyen d'expression et un lieu de mise en visibilité d'une volonté collective, mais elle est aussi pour le mouvement lui-même le meilleur moyen de savoir ce qu'il pèse. Comme le fait remarquer E. Soutrenon, << d'une certaine manière, la mobilisation physique permet au groupe de se compter et de savoir sur qui - et sur combien de personnes - il peut compter »55.

Le sit-in est bien souvent la seconde étape des manifestations. Dans les manifestations du centre ville de Rabat, le rassemblement se fige et la marche prend fin devant ce qu'elle considère comme sa cible primordiale : le parlement. Quand prend fin la marche du cortège, en face du parlement, le rassemblement prend des airs de << sit-in », la foule stationne devant le portail du bâtiment rouge et commence sa charge de chants et de slogans de protestation, contre ce qui a l'évidence est pris comme le premier responsable, le coeur du pouvoir. Pourtant chacun parmi les manifestants est absolument conscient que ce contre quoi s'écrasent leurs cris n'est rien d'autre qu'un bâtiment creux, une coquille vide. Mais cet ersatz de pouvoir est un pis-aller qui convient malgré tout, c'est une cible à moindre risque. Et puis le parlement c'est à la fois le symbole du régime et aussi (et surtout) le symbole de l'adhésion des partis à ce système, et donc il s'agit in fine du symbole de la collaboration avec le régime. Le parlement est donc cette cible autorisée, qui satisfait autant les manifestants que les autorités. On laisse donc les manifestants prendre ce lieu pour exutoire. Mais si d'aventure le cortège avait l'idée de continuer son chemin en remontant l'avenue jusqu'au Méchouar (enceinte du Palais royal), il y a de quoi penser que l'attitude policière changerait rapidement. Il y a donc derrière cette ferveur, cette scénographie de la contestation populaire en face du parlement, une sorte de théâtralisation pacifiée de la confrontation, une représentation de la révolte. Comme le fait justement remarquer M. Emperador dans son observation des sit-in des diplômés chômeurs, il s'agit là d'un << désordre contrôlé »56

55 Soutrenon Emmanuel, op.cit. p40

56 Emperador Montserrat, op.cit. p34

A l'intérieur des cortèges, les symboles de l'identité du mouvement sont en rivalité. Bien sûr les couleurs du mouvement sont mises en avant, son nom en caractères blancs sur fond noir, et décliné en plusieurs langues, est le symbole de ralliement. Il n'y a pas de manifestation févriériste sans ce drapeau. Mais à côté de ces signes d'union, de ces signes d'attachement à un mouvement commun, d'autres objets permettent (ou offre à voir) des formes de distinction.

Le poing levé, la bougie, la casquette, l'étoile rouge, le keffieh palestinien, sont autant de marqueurs faisant directement référence à une culture de gauche et une culture de la lutte ouvrière et syndicale. La bougie, symbole de la lutte pour les droits de l'homme, a été largement adoptée par les partis de gauche, à l'exemple du PSU qui en fait même l'emblème du parti. L'étoile rouge reste très marquée à l'extrême gauche, c'est la représentation du communisme révolutionnaire, il est parfois accompagné chez les jeunes militants du portrait du « Che ». Ce sont le plus souvent les militants d'Annahj (ou plus largement de toute l'extrême gauche) qui arborent ces signes ostensiblement référés à l'idéal communiste. Le poing levé, s'il fait bien sûr référence aux luttes ouvrières et à tout le registre de la gauche révolutionnaire, n'en est pas moins récupéré par de nombreux militants, islamistes compris, qui prennent ce geste comme un symbole universel de lutte, comme d'ailleurs le keffieh palestinien qui est largement repris par les islamistes. Par ailleurs, la barbe, la djellaba et la calotte ne sont nullement équivoques, et appartiennent au champ sémiotique islamiste. Quant au drapeau amazigh, qui apparaît sporadiquement dans les manifestations du 20 février, il est évidemment la représentation des groupements autonomistes de culture berbère (que l'on retrouve dans toutes les coordinations du 20 février).

Pour illustrer la physionomie des manifestations et montrer comment chaque sous groupe cohabite dans le même cortège en s'autorisant quelques signes de distinction, l'attitude observée des militants d'al-Adl est significative. Le groupe des adlistes est celui le plus homogène dans les manifestations de Rabat. Même s'il ne fait pas d'esclandre et qu'il reste même discret, sa suprématie numéraire est objectivement patente. Le groupe défile en rang serré, donnant à la queue de manifestation une attitude très ordonnée qui contraste avec la tête de cortège composée de groupes denses mais labiles et irréguliers, et qui font davantage penser à un amas d'électrons libres qu'à des groupes disciplinés. La posture manifestante adliste semble emprunter des usages

corporels acquis dans l'espace de la pratique religieuse. La prière collective des musulmans met en scène des rangs de fidèles alignés et parfaitement synchrones. Cette pratique de la prière alignée semble être reprise comme par analogie dans la mise en mouvement des corps du groupe adliste au sein des cortèges du 20 février, offrant une impression frappante d'unité et de discipline qui permet à la fois de consolider la force interne du groupe et projeter l'expression de son identité au sein de l'espace public. Cet élément de distinction est le seul à être mis en scène par les adlistes. Au-delà de l'orchestration des corps, aucun élément de type vocal ou accessoire (banderoles...) ne vient se distinguer dans le cortège ou contrarier l'esprit d'ensemble des marches organisées par le mouvement du 20 février. Cependant avec une acuité plus fine on peut noter des points d'insistance qui, sans pour autant contrarier l'esprit du mouvement, viennent marquer des identifications particulières. Après la mort de Kamal al-Omari (survenue le 2 juin des suites de blessures infligées par la police marocaine) un militant adliste de la ville de Safi, le portrait de ce martyr n'a cessé d'emplir les cortèges manifestants, notamment à Rabat. La photographie en noir et blanc du corps supplicié du défunt sous l'épitaphe << shahîd harakat `achrîn febraîr » (martyr du mouvement du 20 février) a fait l'objet d'une multiplication d'apparitions sous formes d'affiches cartonnées. Si l'ensemble du mouvement du 20 février a bien reconnu le martyr et le célèbre comme il se doit, ce sont cependant les adlistes qui insistent sur sa mise en visibilité dans les cortèges, dans une logique de << martyrisation » qui n'est pas partagée par tous les militants. Pour les militants d'Annahj et d'al-Adl wal-Ihssan, la martyrisation et la confrontation au régime suivent une logique stratégique. La mobilisation doit aller crescendo afin de pousser le régime à la faute, le forcer à sortir de son attitude passive ; pour eux la seule manière de faire changer les choses consiste à multiplier les sorties publiques et se confronter au régime par le biais de son service de sécurité. Comme l'explique M. Emperador << la récurrence des manifestations se fonde sur l'hypothèse pratique qu'un enchaînement de "violences" fera réagir les autorités, pour le meilleur ou pour le pire »57. Une vision stratégique qui n'est pas du goût de tous les militants du 20 février. Certains, comme les militants de l'USFP ou du G3, la confrontation avec le régime dans la rue ne peut pas être la forme axiale du mouvement, mais simplement une forme d'incarnation. Un versant constructif doit, pour eux,

57 Emperador Montserrat, op.cit. p35

nécessairement trouver à se localiser sur le terrain social. C'est l'idée de la réactivation des « comités de quartier », comme forme alternative d'occupation de l'espace public.

De février à août 2011, il y aura eu à Rabat une somme considérable de manifestations de rue orchestrées par la coordination locale du 20 février. A raison d'au moins une manifestation hebdomadaire (chaque dimanche) on peut compter un total de 25 manifestations du mouvement du 20 février à Rabat durant cette période. Mais en rapportant toutes les formes auxiliaires d'apparitions publiques, on peut aisément doubler ce chiffre. Ajoutées à la mobilisation févrièriste les manifestations régulières des diplômés chômeurs, le centre ville de Rabat n'a pratiquement pas connu un seul jour sans manifestation ou sit-in durant cette période. Les marches militantes font donc entièrement partie du paysage urbain de Rabat. Mais il faut noter toutefois que ces marches ne sont jamais très importantes au niveau du volume de participants ; elles ne rassemblent guère plus qu'un millier de personnes voire deux.

En matière de manifestation toutes les coordinations du mouvement sont libres pour les organiser avec la forme et le rythme qu'elles souhaitent. Seulement, une fois par mois (autour du 20 de chaque mois en guise de rappel de la date du 20 février) des manifestations sont synchronisées au niveau national. Du fait de leurs dimensions nationales celles-ci sont plus vastes et importantes que les autres. Elles attirent souvent à cet égard un public plus large que celui que forme l'effectif assidu des manifestations dominicales ordinaires. Ainsi chaque date de l'avant dernier dimanche de chaque mois est à chaque fois le moment d'un bilan de parcours de la mobilisation févriériste. La date du 20 mars par exemple a été un moment crucial pour le mouvement car ce jour de mobilisation suivait le discours royal du 9 mars. Alors que les militants du mouvement s'attendaient à une baisse de fréquentation, ce fut le contraire. Le 24 avril fut également une date charnière pour le mouvement, c'est certainement le jour de mobilisation le plus important de la période. A Rabat, le départ de la manifestation du 24 avril s'est tenu dans le quartier populaire de Yacoub al-Mansour (le cortège est parti du stade pour rejoindre la gare routière). Le cortège rassemblait un spectre très large de mouvements et de sensibilités politiques : ce fut la première fois que les salafistes sont sortis au côté des févriéristes. La forte affluence de cette journée est due à l'organisation d'une importante sensibilisation la veille dans les quartiers populaires de la ville.

Jusqu'à la fin avril les effectifs des manifestations n'ont fait qu'augmenter. Mais à partir du mois de mai, les manifestations du mouvement 20 février ont commencé à subir la répression des forces de l'ordre. La raison en est que le mouvement a tenté de sortir un peu plus des sentiers battus pour pointer du doigt les points flous et sensibles du régime. L'organisation le 15 mai d'une manifestation à Témara (à quelques kilomètres au sud de Rabat) sonne la fin de l'attentisme du côté du régime. A Témara les févriéristes ont l'intention de protester contre un centre de détention, dont le mouvement (et d'autres ONG des droits de l'homme) suspecte le caractère secret et politique. Pour le mouvement, ce lieu est le symbole de la persistance des pratiques des années de plomb avec lesquelles il faut rompre. Mais le régime n'admet pas qu'une telle limite soit franchie. Il faut dire également que le régime est en alerte sécuritaire depuis l'attentat de Marrakech perpétré le 28 avril, de sorte qu'après cette date les services de sécurité reçoivent des ordres plus musclés pour calmer l'état d'agitation que connaît le pays. Toujours est-il que pour cet événement du 15 mai le régime en premier lieu dénie l'existence d'un centre de détention secret, et dans un second temps interdit formellement les manifestants de se rendre sur les lieux de l'hypothétique prison.. L'interdiction n'est pas suivie et la répression a lieu. Des blessés et des arrestations ont été signalés, mais pas de morts, le régime tient à essouffler le mouvement pas à fabriquer des martyrs susceptibles de nourrir la haine populaire contre lui. Cette riposte du régime (même si elle n'est pas la première, le 13 mars des militants de Casablanca ont subi le même sort) inaugure une étape de répression afin d'affaiblir le mouvement. Il faut attendre la manifestation du 5 juin (organisée au niveau national par le comité de soutien pour condamner les violences du régime) pour que la violence policière s'estompe. Mais lors de la manifestation du 19 juin (qui suit le discours du roi du 17 juin), alors que la coordination de Rabat souhaite organiser une manifestation dans un quartier populaire (à Taqadoum), une nouvelle sorte de répression s'abat sur le mouvement, non plus directement de la main des policiers, mais par le biais de groupements << contre-révolutionnaires ». Appelés communément << baltagia » (casseurs, voyous), ces individus ont attaqué violemment le cortège du 20 février sous les slogans de << vive le roi », << A bas le mouvement 20 février » etc... Après cette manifestation du 19 juin, les << baltagias » vont apparaître systématiquement au moment des manifestations du mouvement du 20 février. Organisés, unifiés sous diverses sortes d'emblèmes, d'appellations et de couleurs, ces << royalistes », particulièrement présents sur Rabat, vont prendre le relais des forces de l'ordre dans la stratégie d'étouffement du

mouvement févriériste, en limitant la violence physique. Beaucoup moins nombreux, les « légitimistes » bénéficient cependant d'un appui logistique et matériel conséquent de la part du régime. D'une manière particulièrement visible après l'appel du roi à voter « oui » au référendum, les groupements légitimistes vont devenir l'instrument de propagande du régime pour occuper la rue de manière à affaiblir la portée du mouvement contestataire. Une semaine après l'événement de Taqadoum, le 26 juin la manifestation du 20 février revenue sur des lieux plus conventionnels (le centre ville de Rabat), se retrouve entenaillée entre les force de l'ordre et les « royalistes ».

Voici le compte rendu factuel avec les éléments les plus saillants de cette manifestation du 26 juin.

A l'initiative de la coordination locale, une manifestation est organisée sur la place centrale Bab al-had (centre ville de Rabat). Le rassemblement est rapidement bloqué par la police, qui encercle le cortège de part et d'autre de l'avenue Ibn Toumart, l'empêchant de suivre son trajet habituel vers le parlement (avenue Mohamed V). L'avenue Mohamed V en question est quant à elle déjà occupée par des cortèges de partisans du « oui » au référendum (surveillés et encadrés par aucune force policière), notamment les compagnies de taxis défilant à grands coups de klaxon, avec des affiches à l'effigie du roi, des drapeaux du Maroc, des slogans royalistes.

Une présence importante des partisans du roi est à noter sur la place Bab al-had. Tout un matériel militant de communication a visiblement été mis à leur disposition : t-shirt appelant, en arabe et en français, à voter oui au référendum, banderoles, affiches dénonçant le mouvement 20 février, et autres affiches accusant l'organisation al-Adl wa al-Ihssan de corruption, de trahison et de manipulation (20fev = al-adl wa al-ihssan). Des attaques ad hominem envers Nadia Yassine sont à noter également (« Nadia Yassine la coquine », « Nadia Yassine la libertine »).

Les forces de l'ordre forment une barrière empêchant les protagonistes de se rencontrer frontalement, cependant qu'elles cèdent à l'évidence beaucoup de terrain aux légitimistes, de sorte que la double barrière formée par la sûreté nationale, en devient rapidement une seule.

Manière d'atteindre la figure du monarque, sans le montrer et sans le désigner directement : Une grande affiche brandie dans la manifestation « 20fev » du 26 juin représente sous la forme d'un organigramme 3 personnes désignées comme les principales personnifications du makhzen : Mounir Majidi, Fouad al-Himma, et Mohamed Moatasim, tous trois réunis par des embranchements qui convergent vers un point d'interrogation, le commentaire du dessin : « qui est derrière eux ? » Sous entendu le roi. Mais la case censée recueillir la figure du roi est bien laissée en noir avec un point d'interrogation blanc en son centre.

Nous souhaitons pour illustrer plus profondément le déroulement d'un rassemblement du mouvement 20 février, prendre pour exemple celui du 30 juin, qui a la particularité de ne pas se dérouler un dimanche, mais un jeudi, à la veille du référendum (un jour décisif donc pour le régime) et enfin de fonctionner sur le principe de la « flashmob » : sorte d'apparition inopinée, rapidement décidée, censé prendre le régime au dépourvu.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984