6) Tansikiyate et démocratie horizontale :
nécessité ou projet ?
Il nous reste à évoquer le fonctionnement des
tansikiyates du 20 février, et notamment celle de Rabat. Rappelons que
le mouvement s'est organisé de telle sorte qu'une prise de pouvoir par
une force politique particulière soit rendue impraticable.
Premièrement en refusant l'existence d'une entité
représentative du mouvement au niveau nationale (principe d'autonomie et
de décentralisation), deuxièmement en n'acceptant la
représentation d'aucune structure dans le mouvement (les militants
investissent le 20 février en qualité de « citoyens »),
et troisièmement en interdisant l'usage du vote en AG.
Alors que les manifestations dominicales de Rabat rassemblent
un cortège composé en moyenne de 2000 personnes (sur le base de
nos observations faites entre juin et juillet) et un éventail
d'âge très large, les assemblées générales
(AG), quant à elles, ne sont composées que d'une soixantaine de
personnes dont la moyenne d'âge se situe entre 16 et 35 ans. Ce «
jeunisme » caractéristique des AG provient de la volonté
initiale des fondateurs de créer un mouvement dirigé par la
« jeune génération », perçue, à tort ou
à raison et en tout cas sous l'influence directe des
événements tunisien et égyptien, comme la population la
plus apte à changer le système. Révolutionner le
régime suppose en effet de changer au préalable les
méthodes de lutte et le personnel préposé à cette
lourde tâche. La virginité supposée de la jeunesse serait
donc cette qualité indispensable pour se débarrasser en premier
lieu des obstacles idéologiques et méthodologiques imbibant la
culture de l'ancienne génération de militants. Cette
exclusivité du pouvoir décisionnel réservée
à la jeunesse a justement produit la dichotomie du mouvement
décrite plus haut (un mouvement de jeunes épaulé par un
comité d'appui). Mais ce monopole du pouvoir par la jeunesse
relève de l'accord tacite avec les structures associatives et partisanes
et leurs dirigeants, et ne repose pas sur des règles précises (il
n'y a pas de chasse au vieux, ni de filtrage au faciès !). A ce propos,
il faut bien le dire, quelques rares individus présents dans les AG
contrarient la juvénilité d'usage, puisqu'il arrive en effet que
quelques quadragénaires investissent parfois les lieux.
Depuis le début du mouvement du 20 février,
l'assemblée générale de ses membres est l'instance
où se prennent les décisions. Celles-ci concernent
essentiellement l'organisation des manifestations et des divers rassemblements
publics hebdomadaires, la composition des comités (comité de
manifestation, de communication, de slogans, de veille...), ainsi que les
grandes lignes stratégiques à adopter. Le plus souvent en AG les
militants s'accordent sur un programme de manifestations mensuel, que les
comités sont chargés de rendre effectif.
Dans les premières semaines de la mobilisation, les AG
de la coordination de Rabat ont lieu au siège de l'AMDH, mais plus tard
d'autres lieux vont servir de QG pour les assemblées du mouvement, comme
le siège du syndicat UMT ou celui de la CDT, tous deux situés au
centre ville de Rabat. Après les manifestations de rue, l'AG est le
deuxième lieu où se rencontrent les militants. Un
troisième lieu de rencontre militante est à mentionner. Ce
troisième espace de rencontre équivaut à la face
immergée de l'iceberg févriériste : le lieu pluriel des
rencontres informelles. En effet ce troisième lieu est celui où
les militants de chaque tendance se rencontrent pour discuter dans un «
entre soi » des modalités stratégiques, des
opportunités politiques, ou simplement faire des bilans et
réfléchir ensemble sur les aspects positifs et négatifs
qui se dégagent des événements. Ce sont aussi des moments
où l'on essaye de convaincre en aparté untel ou untel de choisir
telle ou telle position, de souscrire à telle ou telle tendance qui se
profile au sein du mouvement. Bien que ce soit des moments inidentifiables et
des lieux imprécis, tout à fait informels, ils sont cruciaux pour
les militants févriéristes. Ils y trouvent en effet de quoi
échanger et exprimer ce qu'ils ne peuvent faire en AG pour cause de
bienséance (les AG sont des espaces décisionnels fragiles, un mot
de trop, un faux-pas et l'ont peut facilement, en heurtant une
sensibilité, bloquer le mouvement). C'est ainsi que les cafés
populaires du centre ville font bien souvent office de lieu de rendez-vous pour
les groupes de militants. Le café de l'hôtel Balima, exactement en
face du Parlement, est particulièrement fréquenté par les
militants du 20 février. Les terrasses de ce café accueillent
quotidiennement des groupes de jeunes militants qui semblent s'agrandir au fil
des heures et palabrer infiniment, commentant la presse, la prochaine
manifestation où la dernière AG.
Alors que pendant les manifestations tout est
réglé à l'avance, et tout semble se
dérouler comme un rituel répétitif, les AG sont bien
plus anarchiques, bruyantes et
cacophoniques parfois. Si la manifestation est le lieu
où tout le monde est unanime et synchrone, l'AG est celui où la
divergence règne mais où tout le monde doit finalement parvenir
à se mettre d'accord. C'est donc un lieu où l'on fabrique du
collectif, et où bien souvent on s'évertue plutôt à
le réparer, à rafistoler les points d'accrochage. Si
l'adhésion collective est l'objectif final, celle-ci ne s'obtient pas
sans épreuves tumultueuses. L'absence de l'usage du vote comme outil de
décision rend le processus de mise au diapason collective lent et
laborieux. La modalité choisie est celle de l' « unanimité
sans vote », c'est-à-dire que l'AG ne finit que lorsque la
totalité des membres s'accordent sur les thématiques mises
à l'ordre du jour (l'ordre du jour étant décidé en
début d'AG). Un bureau chargé de superviser l'AG est mis en place
au tout début de celle-ci, et une personne en particulier (le
modérateur) est chargée à chaque AG de distribuer la
parole et de veiller à ce que les temps de parole ne soient pas
dépassés. En général une minute de parole est
accordée à chacun des militants désirant intervenir sur
les sujets soulevés. A raison d'une cinquantaine de participant en
moyenne dans les AG de Rabat, dont le tiers prend en général la
parole (dépassant évidemment à chaque fois la minute
allouée) et sur trois, quatre ou cinq thématiques
différentes ; sans compter les tours de paroles qui suivent les
décisions, le déroulement d'une AG est nécessairement
très long. A titre d'exemple l'AG du 25 juillet, particulièrement
houleuse à cause d'une dissension interne liée à des
accusations mutuelles d'instrumentalisation, a rassemblé une soixantaine
de personnes et a duré plus de cinq heures (de 18h à 23h environ,
au siège de l'UMT).
A l'intérieur de ces AG, le participant a
indéniablement l'impression de peser dans la décision,
d'être un élément important car toujours capable de
provoquer une instabilité, et non d'être un participant auxiliaire
dont le principal rôle serait d'avaliser des décisions qui sont
prises de toute façon ailleurs et qui ne souffrent d'aucune
possibilité de remise en cause. Cette instabilité, toujours
susceptible d'être causée par un élément
isolé, génère cette responsabilité
éprouvée collectivement. Par ailleurs plus l'organisation grandit
et prend en cohérence, plus l'individu participant gagne en importance
en devenant l'architecte indissociable de cette mise en cohérence
collective. Il serait illusoire de croire que les AG mettent tous les
participants d'accord, au regard du large spectre idéologique que
connaît le mouvement, cela relève de l'utopie. Simplement il y a,
fortement présente, une culture du compromis qui, posée en
postulat de la stabilité du mouvement, invite les militants à
composer avec les desiderata de
chacun. Le consensus et les facilités
décisionnelles sont rendus possibles par une forte adhésion
individuelle et par un moment très porteur, celui du contexte du
printemps arabe. Nous ne sommes pas dans l' << affirmation de soi »,
mais dans la mise à disposition de soi (de ses compétences, de
ses réseaux) au sein d'une action collective locales aux visées
nationales, et dont les perspectives sont incertaines. Les mêmes
personnes, un an plus tôt, n'auraient sans doute jamais pu se mettre
d'accord sur des questions qui sont actuellement tranchées aujourd'hui.
C'est un moment de syncrétisme dans le champ contestataire marocain, et
dont les jeunes militants sont les artisans moteurs. Evidemment cette culture
du compromis ne règle pas tout, les divergences apparaissent tout de
même de manière récurrente.
La modalité décisionnelle adoptée par les
coordinations, souvent érigée en emblème comme
l'incarnation de la forme démocratique optimale, semble pourtant au
final moins voulue que subie. L'acéphalie et l'horizontalité sont
toutes deux avancées comme les éléments centraux de
l'identité du 20 février, comme autant de signes ostensibles
marquant la rupture avec les façons de faire bureaucratiques et
inégalitaires prévalant dans les partis, mais en
réalité ces éléments idéalisés sont
surtout des pis-aller. Il s'agit davantage d'un fonctionnement minimaliste
visant avant tout à préserver la virginité
idéologique du mouvement des prédations partisanes et de
l'influence du nombre présagé de chaque tendance, que d'une pure
volonté de dépasser une modalité démocratique
considérée comme désuète. Il y a en effet dans ce
processus horizontal qui se veut démocratique, une évidente part
d'arbitraire et d'inégalité d'accès à la
décision. Comme le formulent pertinemment P. Corcuff et L. Mathieu
<< se réclamer d'un fonctionnement « horizontal » et
« en réseau » ne suffit pas à garantir l'égal
accès de tous à la prise de parole et à la
décision, lesquelles ont toutes les chances d'être
réservées aux seuls individus disposant d'une compétence
militante suffisante pour se sentir autorisés à intervenir dans
les débats et, ce faisant, de produire des rapports de
dépossession et de domination d'autant plus efficaces qu'ils sont
niés »45. Le pouvoir existe toujours, on peut le
diluer mais pas l'abolir. Le mouvement du 20 février est en train
d'expérimenter dans un même moment l'alternative au pouvoir et ses
limites organisationnelles. Partout où l'on souhaite échapper aux
problématiques liées à la
45 Corcuff Philippe et Mathieu Lilian , Partis et
mouvements sociaux : des illusions de « l'actualité » à
une mise en perspective sociologique , Actuel Marx, 2009/2 n° 46,
p72
question du pouvoir (comme structure opérationnelle et
doctrinale) celles-ci reviennent en force immanquablement et peut-être
plus violemment.
Chaque AG est une sorte d'enceinte où les paroles
militantes expertes rivalisent de formules pour emporter l'adhésion du
grand nombre, les corps et les paroles charismatiques s'incarnent chez des
leaders que tout refuse à reconnaître comme tels. Alors que les
militants en herbe tentent de donner une tournure performative à leurs
paroles, que l'horizontalité démocratique du mouvement leur
autorise presque. L'AG de Rabat du 25 juillet (au siège de l'UMT) est
emblématique de cette théâtralisation des paroles et des
corps. Effet cathartique peut-être de cette agora où l'on donne en
spectacle la dissension dans une sorte d'intrigue en attente de sa
résolution annoncée. Axée ce jour là sur la
problématique de l'indépendance du mouvement, la polémique
qui remplit la salle suit la tenue de réunions organisées
à la seule initiative d'al-Adl et d'Annahj, suspectés de vouloir
court-circuiter les décisions prises lors de l'AG du 11 juillet, qui
disposait notamment de l'organisation de la prochaine manifestation en date du
31 juillet. Dans leur volonté d'occuper un maximum l'espace public,
certains militants de la coordination de Rabat en désaccords avec ces
positions organisent deux AG (le vendredi 15 juillet et le lundi 18) toutes
deux boycottées par une grande partie des févriéristes de
Rabat continuant, quant à eux, de se référer aux
décisions initiales du 11 juillet. Ce lundi 25 juillet, après
deux manifestations (17 et 24 juillet) auxquelles a participé
massivement la coordination de Salé, et qui ont été
boycottées par beaucoup de militants de la coordination de Rabat,
l'heure est au règlement de compte. L'AG qui débute fait
apparaître au grand jour les différences idéologiques et
stratégiques, qui naguère n'étaient qu'en suspend,
pudiquement cachées derrière un voile de bienséance. Au
bout d'une heure le ton monte, on s'échauffe de toutes parts. Le
modérateur de la séance, à la manière d'un chef
d'orchestre faisant face à une mutinerie de musiciens, s'égosille
au milieu de l'auditoire, tente de faire taire les bavards, et de faire cesser
les imbroglios. On accuse ici les leaders « autoproclamés » de
prendre des décisions individuelles (O. Khlifi, militant de Salé
qui est la coqueluche de la presse, avait fait la veille une déclaration
à titre individuel qui engageait le mouvement dans son ensemble alors
qu'aucun membre n'est autorisé à prendre des décisions
individuelles au nom du 20 février). On accuse ailleurs des groupes de
vouloir secrètement récupérer le mouvement par quelques
pernicieuses combines. Certains pointent du doigt les islamistes d'al-Adl
wal-Ihssan, les accusant de vouloir utiliser la coordination de Salé
pour influer sur les décisions de Rabat et de pousser
à la provocation du régime. Les islamistes accusent les «
athées » du MALI de vouloir étouffer la présence et
les sacrifices concédés par les adlistes, afin de garantir une
essence laïciste au mouvement. Certains veulent multiplier les sorties
publiques du mouvement, augmenter la pression sur le régime quand
d'autres militants (indépendants en l'occurrence) veulent
impérativement une clarification des positions du mouvement avant
l'organisation d'une manifestation supplémentaire. On en vient parfois
aux mains, on s'attrape par le col à quelques reprises, front contre
front on essaye d'intimider les rivaux du regard. Et puis contre toute attente
tout finit bien, peu à peu tout s'apaise, les énervés vont
prendre l'air, on se met à rire et à se prendre par
l'épaule, on se tempère, quelques individus viennent calmer
l'assistance et les camarades encore campés sur leurs positions. Et
finalement la coordination réunie en AG finit par prendre des
décisions pour que la réunion se termine au bout de cinq heures :
On annonce une manifestation prévue pour le 31 juillet, un
communiqué de presse pour le mercredi 27 juillet (que le comité
de communication sera chargé de rédiger), et un programme
spécial pour le mois du Ramadan (qui advient en août) basé
sur des rassemblements publics réguliers après l'iftar et la
tarawih.
Ainsi dans le mouvement du 20 fevrier, il y a toujours des
modalités décisionnelles, mais celles-ci reposent sur quelque
chose qui ne suffit jamais par lui-même : l'échange, la
transparence et la confiance. Sans dispositif contraignant, une structure peut
vaciller rapidement, car elle est tiraillée par des forces qui ne disent
pas leur nom (la paranoïa peut s'installer et remplacer la confiance). Une
petite défaillance dans le système tacite, peut provoquer de
grands dommages pour la stabilité du mouvement (comme l'illustrent l'AG
du lundi 11 juillet et celle du 14 juillet).
La question du leadership du mouvement du 20 février
est un autre grand thème dont il faut dire quelques mots. Cette question
a fait couler beaucoup d'encre dans la presse marocaine, nourrissant autant de
questions légitimes que de fantasmes. Dans une société
marquée par la force d'attraction de personnages charismatiques,
où le pouvoir s'incarne et s'illustre par des visages,
l'acéphalie du mouvement du 20 février provoque
l'incompréhension voire le soupçon. Deux exemples tirés
des événements orchestrés par le mouvement du 20
février peuvent être mis en exergue pour illustrer la
manière dont l'impératif de l'acéphalie et la lutte contre
les ambitions individuelles est gérée.
Saïd Benjebli, est un jeune militant marocain, ancien
détenu et ancien militant d'al-Adl wal-Ihssan, et qui a fait parti des
premiers cercles de févriéristes. Alors qu'il s'imposait comme
une des figures motrices du mouvement, il a lancé le 17 avril de sa
propre initiative un appel à constituer un mouvement structuré au
niveau national et dont manifestement il briguait le leadership. Son initiative
a été condamnée sans appel par les coordinations du 20
février, et il s'est soudainement retrouvé tout seul, interdit de
prise de parole dans les AG, et désormais
décrédibilisé. Une sanction qui est tombée comme un
avertissement pour les éventuelles tentatives individuelles de
court-circuiter les instances collectives dans le but avoué ou non de
prendre le contrôle du mouvement. Un autre exemple d'application des
règles « anti-césaristes » du mouvement se
présente le dimanche 26 juin pendant une manifestation à Rabat.
Alors que la police bloque le cortège dans l'avenue Mohamed V,
Abdelhamid Amin, figure charismatique de l'AMDH et d'Annahj Addimocrati, prend
subrepticement la parole au mégaphone et à gorge
déployée appelle à un sit-in. Les jeunes militants
févriériste de la coordination de Rabat lui reprocheront plus
tard ce vieux réflexe de leader, dont F. Vairel nous explique les
usages46, mais qui n'a plus court sous les drapeaux du 20
février. Les jeunes de la coordination sont attachés à ce
que ce soit eux qui prennent les décisions et les initiatives pour
parler en public dans les manifestations organisées par le 20
février. Bien d'autres litiges liés au leadership sont apparus au
cours de la mobilisation et pourraient être mentionnés. Mais si
les ambitions individuelles de certains sont avérées, la
paranoïa du mouvement l'est aussi certainement, causée par
l'ambiguïté même de son fonctionnement. Rien ne permet
véritablement à l'intérieur d'un mouvement qui postule
l'autogestion et la démocratie directe, de distinguer
l'inévitable part du quiproquo ou de la maladresse (dans ce contexte de
flou réglementaire) de celle de l'instrumentalisation
délibérée.
On le voit, la démocratie directe et l'organisation
horizontale du mouvement sont autant d'éléments structurant
l'identité du collectif févriériste que des instruments
servant de palliatifs à son manque d'homogénéité
idéologique et stratégique parmi ses membres, et pouvant bien
souvent se retourner contre l'efficacité même du mouvement.
46 Vairel Frédéric, L'ordre
disputé du sit-in au Maroc, Genèses, n°59, 2005/2, p
47-70
Fouad Abdelmoumni résume bien la tension
présente au sein du 20 février entre ce désir de
construire des alternatives politiques et l'impératif de baser la
mobilisation sur des modalités d'action efficientes, des principes
crédibles et un collectif solide. « On a besoin d'agoras dans
lesquelles l'essentiel est la prise de parole, la libre expression
individuelle, dans un cadre horizontal où chaque parole de citoyen
compte de manière égale. Mais il serait naïf de
prétendre que la gestion d'une lutte sévère pour changer
une telle situation politique puisse se faire sans des organisations solides et
structurées. Les coordinations sont nécessaires, mais ce n'est
pas suffisant. Il faut des organisations qui transcendent le local. Et cela ne
se fera pas sans l'implication des forces sociales traditionnelles. Il faut des
espaces de délégation, il faut que des grandes décisions
puissent se prendre à la majorité. L'organisation actuelle du 20
février n'est pas une modalité optimale de la démocratie.
Mais il y a un processus d'apprentissage à l'oeuvre, et donc un
processus de fabrication du collectif où on commet des erreurs, car
l'apprentissage c'est faire des erreurs et les corriger >> 47
Ainsi contrairement à son intention initiale le
mouvement du 20 février a davantage pris la forme d'un mouvement de
<< militants >> que de << citoyens >>, dans le sens
où des militants, certes jeunes mais déjà
positionnés, sont venus investir un créneau protestataire rendu
possible par les échos familiers provenant de Tunisie et d'Egypte. En
voulant reconstituer les éléments ayant prouvé leur
efficacité chez les pays voisins, le mouvement a certes réussi
à s'égrainer sur l'ensemble du territoire marocain, et a
inauguré indubitablement un renouveau des formes de mobilisations
protestataires, en s'émancipant des structures et des modalités
opératoires traditionnelles, mais cependant sans jamais réaliser
la massification attendue, l'avènement d'une volonté
générale aussi crédible que celles observées dans
les cas tunisien et égyptien. Fouad Abdelmoumni résume ainsi la
situation actuelle et les perspectives de mutation : << L'objectif
sera désormais de transcender totalement la petite minorité
agissante, car si le mouvement ne dépend que des militants «
professionnels », il y a de fortes chances pour qu'il stagne et
s'empêtre dans les rivalités, réduisant
inévitablement sa force de frappe et sa capacité d'influencer
l'orientation des réformes à venir ».
47 Interview de Fouad Abdelmoumni, militant de l'AMDH
et membre du comité national d'appui, réalisée à
Rabat le 15 juillet 2011
Enfin il faut signaler que l'idée initiale d'appeler le
citoyen à prendre en charge son avenir et en insérant le
mouvement dans une logique << localiste », a réveillé
au bout de quelques mois de mobilisation, quelques << structures
endormies » dans le corps social. A Rabat la réactivation par la
coordination du 20 février des << comités de quartier
» dans les zones les plus défavorisées de la ville, est sans
doute le signe que des mutations du mouvement et des formes d'adaptation aux
contraintes et aux limites des actions jusque là menées, sont en
marche. Un travail d'observation et d'analyse reste à mener dans ce
domaine.
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