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Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

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par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

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8) C, révolutionnaire libéral

Journaliste à Lakom.com (e-journal d'information alternative), C se présente lui-même comme un cyber-activiste. Il se décrit également comme une sorte de révolutionnaire, un démocrate fondamentaliste. Le Maroc a besoin d'acharnés de la démocratie, sans cette conviction et cet acharnement on retombe presque naturellement dans l'ornière de la compromission avec ses propres valeurs, avance-t-il calmement. Au sein du 20 février, C administre avec un autre militant de la coordination de Rabat la page Facebook du mouvement au niveau national depuis la création de cette page début février.

C fait partie des tauliers du mouvement du 20 février, la trentaine passée, il a déjà derrière lui une vaste expérience militante, qui a la caractéristique de ne pas avoir eu lieu dans des structures organisée, mais davantage improvisée, à la manière des récurrences présentées dans les théories du néo-militantisme. Un militantisme sporadique, constitué de micro-collectifs qui s'activent à des moments précis de mobilisations très ciblées, puis disparaissent ne laissant que les membres, dès lors disponibles pour d'autres objectifs, d'autres mobilisations en d'autres lieux. Loin de décrire un type de militant à l'engagement chancelant, puisque non accompagné d'une structure pérenne, C est l'illustration que ce type de militantisme peut s'inscrire dans la durée et faire bénéficier au militant une accumulation d'expériences particulièrement habilitantes, a fortiori dans ce nouveau contexte de mobilisation hybride ayant recours à la fois aux anciennes techniques de mobilisation (grèves, manifestations) et aux nouvelles (flashmob, internet, réseaux sociaux). Du militantisme traditionnel, C en garde tout de même une expérience, et non des moindres, au sein de la section de l'UNEM de Marrakech, ville dont il est originaire et dans laquelle il a débuté ses études d'économie.

Comme tous ceux qui ont pris part à la mobilisation du mouvement MALI, C a, depuis l'été 2009, reçu une sorte de projecteur médiatique sur la figure, caractérisant avec ses << acolytes >> le << groupuscule des déjeuneurs >>. Pendant la période de médiatisation du MALI, C a pris une part active dans la communication des intentions du mouvement. Avec calme et sérénité, on peut le voir, notamment lors d'une émission d'Al-Jazeera (chaîne satellitaire panarabe), énumérer les raisons qui expliquent pourquoi une partie de la population refuse de vivre dans un << Etat théocratique >>, un pays qui ne reconnaît pas la liberté religieuse des citoyens et qui sanctionne même les << impies >> de sanctions

judiciaires (manger publiquement en journée durant le mois de Ramadan au Maroc est, selon le code pénal en vigueur, passible de plusieurs mois d'emprisonnement ferme). Les événements du MALI lui donneront à n'en pas douter ses galons de communicant, c'est aussi son visage qui se fera remarquer. S'exposer à la télévision dans ce genre d'exercice de subversion c'est à coup sûr se condamner à demeurer visible pendant longtemps. Le jeu en vaut-il la chandelle ? C reste mitigé quant aux événements du MALI, il ne regrette pas, mais il a pris ses distances avec le groupe et ses objectifs. Il garde surtout de cet événement la méthode de mobilisation, qui est une véritable réussite : << le passage d'une mobilisation virtuelle à une action concrète », du jamais vu au Maroc. C'est le plus grand enseignement pour lui de cet épisode par ailleurs fort discutable quant à la pertinence de son contenu. Il regrette en effet cette focalisation sur le Ramadan en lui-même, qui, pense-t-il, a fait passer le groupe de jeunes militants pour des gosses capricieux, indisposés par les contraintes momentanées du Ramadan, plutôt que comme de vrais militants de la cause laïque, soucieux d'ériger le principe laïc en projet de société. L'objectif de C n'était pas de faire de la provocation, mais c'est pourtant ce résultat auquel a aboutit la mobilisation MALI.

Au sein du 20 février il est souvent considéré comme le représentant des << indépendants ». Même si de tels groupes étiquetés n'ont aucune existence officielle au sein du mouvement, (pour la raison que le mouvement est officiellement un et indivisible71), en revanche les affinités d'opinions se rassemblent presque naturellement derrière ceux qui semblent représenter le mieux la voix défendue. Derrière ce terme se cache bien des malentendus. S'il est vrai que l'on peut considérer cette catégorie des indépendants comme un << fourre-tout », en réalité il est plus homogène qu'on ne le pense. Il s'agit plus que d'un simple amalgame rassemblant tous ceux qui ne se déclarent pas attachés à tel ou tel parti ou organisation politique. Certes ils ne montrent aucun signe d'allégeance politique qui soit extérieure à la plateforme du 20 février. Pour autant agissent-ils selon cet esprit impartial tant mis en avant ? En réalité, les indépendants qu'on peut penser éparpillés dans cet océan partisan, se comportent comme un groupe à part entière, ce sont en quelque sorte des libéraux anti-partis. Ils

71 A cet égard certains militants tournent en dérision cet impératif de l'unité, faisant remarquer qu'il s'agit du même effort de consensus dont fait preuve le système monarchique pour empêcher la discorde en même temps que répandre l'immobilisme.

sont certes radicaux du point de vue de la rupture avec le système et la culture actuelle du pouvoir, mais ils ne le sont pas sur le point de la doctrine : contrairement à Annahj ou al-Adl wal-Ihssan, qui veulent en finir avec le système monarchique, ces libéraux considèrent, dans la majorité des cas, comme acceptable la persistance d'un monarque si celui-ci n'est pas la clé de voûte d'un système inique, mais un élément symbolique d'unité nationale. De ce fait ils souhaitent simplement mettre en place un système parlementaire. Position quelque peu paradoxale que de défendre un système dont les partis sont les acteurs clés, alors que par ailleurs ils s'excluent de la sphère partisane. C'est qu'au final ils ne rejettent pas le système partisan en soi, mais le contexte marocain particulier qui corrompt la pratique de la politique. Ils n'ont par ailleurs pas de doctrine économique particulièrement révolutionnaire, ils ne rejettent pas forcément le système capitaliste, même s'ils défendent une répartition juste des richesses et des services publics. Ainsi ce ne sont pas des « libéraux » au sens économique du terme, mais bien plutôt au sens politique. La formule par laquelle C se définit politiquement est éloquente et résume bien la position des « indépendants » du 20 février : un « révolutionnaire réformiste » (sic).

Même si aucun individu n'a plus de pouvoir qu'un autre au sein du 20 février, la parole de C est très écoutée, ses interventions dans les AG ne passent pas inaperçues, elles créent l'événement. Le plus souvent dans les AG, C intervient pour défendre l'esprit indépendant du mouvement contre les partis, ou bien la neutralité du mouvement sur telle ou telle question idéologique. Il est certain que cette « indépendance » et cette « neutralité » sont des concepts à signification variables. En reprochant parfois à certains de favoriser leur camp et leur programme, C ne fait rien d'autre que défendre le sien. Cependant qu'il peut, lui, avancer sans masque, doté qu'il est d'une indépendance affichée. Il est libre de se dire favorable à telle ou telle option, sans risquer de se voir reprocher une tentative de récupération, de faire pencher la balance vers une formation politique ou un centre de pouvoir quelconque, puisqu'il est à lui-même son propre référent.

Bien qu'issu d'une famille peu politisée, C a commencé à s'intéresser aux problèmes politiques à 16 ans, et notamment, comme beaucoup de jeunes militants, au travers du conflit israélo-palestinien. Il est frappant à cet égard de voir à quel point les événements du Moyen-Orient continuent à focaliser l'attention et à orienter la socialisation politique

des nouvelles générations. Le conflit israélo-palestinien, les événements libanais ou encore la guerre d'Irak, sont le continuum de la socialisation aux problèmes politiques des générations marocaines post-indépendance. A l'université de Marrakech C rejoint les rangs de l'UNEM, qui était un lieu de tensions politiques entre la gauche radicale et les islamistes. Avant de partir en Allemagne pour suivre des études d'économie politique, C se considérait comme un militant de gauche. A Munich il concentra son investissement militant dans la cause palestinienne. Il revient en 2007 au Maroc avec l'idée de militer autrement, en marge de la politique traditionnelle, et investit le champ du virtuel qu'il considère comme porteur d'un renouveau qui changera radicalement la manière de produire des mobilisations politiques. Il ouvre un blog, dans lequel il concentre ses réflexions sur la liberté d'expression et la défense des droits individuels, notamment en matière religieuse, sujet particulièrement délicat au Maroc. Pour C Internet était le seul endroit où parler librement de cette thématique, qui nulle part ailleurs dans l'espace public marocain ne pouvait résister à des formes de censure et d'autocensure.

Sur le terrain C s'investit surtout dans la défense des prisonniers politiques, et multiplie les campagnes pour défendre la liberté d'expression, souvent dans des cas de soutien à des personnes incriminées pour ce genre de forfait. Il a à cet égard travaillé au sein de l'union national des blogueurs, notamment pour défendre les blogueurs emprisonnés pour outrage à la personne du roi ou pour outrage à l'islam (dans la plupart des cas). Mais il n'a jamais rejoint d'autres organisations, comme l'AMDH par exemple, expliquant que ces structures dites de la << société civile » sont en fait très proches des partis politiques.

En décembre 2010, C participe a un événement qui, selon lui, est arrivé comme un signe de la providence. L'USAID et l'American Democracy Institut ont organisé au Maroc à cette période, des plateformes de rencontres, et des sessions de formation au << eplaidoyer » et aux nouveaux outils numériques, destinés aux blogueurs et aux organisations de la société civile marocaine. Un événement qui, au moment où la Tunisie s'embrasait, a constitué un véritable rendez-vous du cyber-activisme marocain, selon C. Le sort a voulu que cette initiative subversive revienne à l' << empire américain », ironise-t-il. Comme quoi les modalités du militantisme ont bien changé.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984