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Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

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par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

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6) Y, militante de la Voie démocratique (Annahj Addimocrati)

Y fait partie des quelques militants du 20 février qui militent au sein du parti d'extrême gauche Annahj Addimocrati. Elle est également une militante active de l'AMDH, et à ce titre a participé activement au lancement du mouvement avec l'équipe des jeunes de l'organisation au début du mois de février.

Les antécédents de la contestation de 2011, Y les voit dans les mobilisations de 2006 à 2008 avec les coordinations contre la hausse des prix, dans lesquelles elle a pris part. Mais également dans les comités de jeunes pour la défense des détenus politiques, notamment durant l'année 2007. Mais jusqu'alors elle n'avait milité qu'avec des camarades de mêmes sensibilités, des « gauchistes » dit-elle, pas forcément de son parti, mais en tout cas des militants révolutionnaires. Il faut rappeler que le champ de l'extrême gauche marocaine est très éclaté, et que les militants d'obédiences léniniste, maoïste, trotskiste, ou encore conseilliste, ne sont pas tous représentés dans des partis, mais investissent différents lieux, notamment le secteur associatif et le syndicalisme étudiant. Au sein du 20 février, la grosse nouveauté pour elle a été de faire avec un spectre immense de différentes tendances politiques. C'est déjà pas bien facile, dit-elle,

de se mettre d'accord entre gauchistes, alors dans les coordinations du 20 février, c'est un véritable casse-tête.

Comme d'autres radicaux du 20 février, elle refuse de revendiquer une « monarchie parlementaire », et préfère avancer le « changement constitutionnel », qui a le mérite de ne pas se prononcer sur le type de régime souhaité, façon quelque peu détournée de refuser la forme monarchique que les révolutionnaires d'Annahj ne peuvent que difficilement reconnaître, le dessein d'une république a davantage leur préférence. Et puis précise-t-elle, le type de régime que l'on veut, ce n'est pas au 20 février de le proposer, mais aux forces de propositions politiques, c'est-à-dire les partis, sanctionnés par les suffrages. Mais pour cela il faut que les élections soient transparentes, et qu'elles conduisent la majorité à un réel pouvoir. Pour le moment ce n'est pas le cas, le makhzen fait tourner une grosse machine de propagande, il a ses pions dans tous les instances de pouvoirs, dans tous les grands partis, en face de ça le mouvement de protestation essaye tant bien que mal de construire quelque chose d'alternatif. David contre Goliath ça émeut les gens, mais au final ils se rangent derrière Goliath, et tant pis pour la légende.

Pour Y le mouvement du 20 février n'est ni un mouvement politique, ni un mouvement social, il s'agit d'un mouvement de contestation généralisée qui investit trois domaines : l'économique, le social, et le politique. Le politique est certes prééminent, car il conditionne le changement dans les deux autres domaines, mais au sein du 20 février la question se pose réellement de savoir si l'on est un mouvement politique, c'est-à-dire une force de proposition. Pour certains c'est le cas, le 20 février est une alternative politique, qui fort de sa plateforme expose une autre manière de faire du politique. Mais pour Y, le 20 février est une force de contestation, et bien que moment indispensable en politique, le moment de la contestation doit porter en elle les conditions de formation d'une force de proposition sans laquelle elle perd sa prérogative. Le moment de la proposition répond à d'autres nécessités, qui ne peuvent reposer uniquement sur un bout de papier avec des formulations à l'emporte pièce. Le 20 février ouvre une porte pour le changement, mais ce changement il ne peut pas en être l'architecte en chef, ce sont les partis qui selon Y sont les seuls à remplir ce rôle. On imagine aisément la teneur des débats en AG quand cette vision rencontre celle des « indépendants », soucieux quant à eux de tourner la page de la vieille politique et d'en d'exclure les partis.

Mais il ne faut pas se tromper, pour les militants d'extrême gauche, le mouvement social, le mouvement des masses, est le moment principal de constitution d'une force de changement politique. Cependant le pouvoir central est toujours perçu in fine comme l'objectif essentiel, et que seule une avant-garde éclairée peut en remplacer la substance oppressive par un projet émancipateur et socialiste. Cette approche idéologique est toujours d'actualité, l'idée d'un changement par le haut continue d'animer les approches majoritaires au sein de l'extrême gauche, mais il est aussi un point de fracture séparant Annahj Addimocrati des dissidents gauchistes sans étiquette. Nous y reviendrons plus loin. Pour Y les conditions ne sont pas réunies pour opérer un renversement du pouvoir à l'instar de ce qui s'est passé en Egypte et en Tunisie. On n'a pas ce soulèvement massif qu'ont connu ces pays, dit-elle, alors plutôt que faire chuter le régime par le haut, on essaye de le déshabiller par le bas. Mais s'empresse-t-elle d'ajouter, la Tunisie et l'Egypte ont-elles fait une révolution ou bien n'ont-elles fait que chuter leur président ? Il ne faut pas se tromper, on peut appeler révolution des événements qui ne révolutionnent rien du tout, mais qui ne changent que l'apparence, aussi spectaculaire et brutal que cela soit. Au Maroc on n'a pas de président à faire tomber, avance-t-elle, c'est un avantage et un inconvénient. On sait que le gouvernement n'a aucun pouvoir propre, mais le contester c'est s'en prendre à un régime tout entier, c'est pour ça que le 20 février s'est focalisé sur le terme de Makhzen. C'est un mot qui résume toutes les tyrannies et toutes les injustices du régime monarchique marocain. Mais le sort à réserver au système monarchique n'est pas clair au sein du 20 février, ni sa chute ni sa conservation ne remportent l'unanimité au sein du 20 février, et à cet égard il y a des positions qui ne sont pas conciliables. Par contre et paradoxalement tous les févriéristes s'accordent sur la nécessité de combattre le Makhzen. Ce terme rassemble avec une facilité surprenante, ajoute-t-elle, et en concentrant toute la contestation en ce point de focal il réussi à mettre tout le monde d'accord, alors qu'au final il ne fait rien d'autre que de dénommer le système monarchique lui-même.

Y débute son engagement militant en même temps que ses études de mathématiques à l'université de Casablanca, au sein de l'UNEM. Quatre ans de syndicalisme étudiant, dont elle gardera des souvenirs mitigés, les structures de l'UNEM manquant d'organisation et de vision. Pendant l'année 2006, elle fait son entrée au Annahj Addimocrati et à l'AMDH. Questionnée sur les raisons qui ont présidé à son choix de rejoindre le parti, elle avance une période de réflexion pendant laquelle elle a comparé

les partis de gauche. A l'issu de cette période, Y se rapproche d'Annahj, séduite par son programme et sa cohérence. Comme il est de rigueur dans le mode d'entrée dans ces organisations fortement surveillées par le régime, Y est restée pendant une période temporaire avec le statut de « sympathisante >>. Période durant laquelle, le militant fait ses preuves, apprend le fonctionnement de l'organisation, s'acculture et s'imprègne de son éthos. Une fois atteint le statut de membre, cela ne donne guère d'autre pouvoir que celui de pouvoir s'investir davantage dans les comités ou dans le secrétariat national. Car en effet, les militants adhérents n'ont pas de pouvoir individuel sur la prise de décision, la structure ne fonctionnant pas sur des modalités électorales. Les décisions prises par le parti ne se font pas par voix de vote mais suivant un processus plus complexe. Le secrétariat national ne fait qu'appliquer les décisions prises par les congrès. Et durant ces congrès les décisions sont prises à l'unanimité, suivant le règle intangible du « convaincre ou se faire convaincre >>. Selon Y, cette forme de démocratie directe, sans vote, par cette exigence d'unanimité que chacun doit s'efforcer de susciter, est l'idéal. Cette impératif de l'unanimité est le point qui rapproche le plus les modalités de prise de décision du mouvement du 20 février avec celles d'Annahj Addimocrati. Sommet du fonctionnement démocratique pour certains févriéristes, cette méthode est considérée comme un faux-fuyant pour d'autres, un pis-aller dont il faudra à terme se défaire, pour retrouver un fonctionnement par vote.

Concernant son milieu familial, Y mentionne ce contexte particulièrement militant dans lequel elle a grandi. Ces premières expériences associatives de jeunesse elle les doit d'ailleurs directement à son père qui l'a fait entrer dans des associations de jeunesse proche de l'USFP. Si les origines de son engagement militant soulignent ce fait statistique qui place la famille comme le principal site de socialisation politique, le parcours de Y indique également comme le souligne L. Mathieu « [qu'] on n'hérite pas de dispositions sociales comme on hérite d'un patrimoine matériel, car ce qui est transmis subit des distorsions, adaptations et réinterprétations au cours de la transmission >>68. En effet bien que socialisée dans un environnement familial de gauche, Y ne fera pas les mêmes choix partisans que ses parents. Son père est un ancien militant de l'USFP et y reste très attaché, sa mère est militante associative, et un de ses oncles milite au PADS. On le voit le choix de Y de rejoindre Annahj Addimocrati

68 Mathieu Lilian, Les ressorts sociaux de l'indignation militante, Sociologie, Vol.1, 2010/3, p306

n'était pas joué d'avance par une sorte de détermination filiale. On le remarque assez bien à travers les exemples de militants mis en exergue, si le milieu familial joue un grand rôle dans la manière de doter l'individu d'une conscience politique, rien ne vient en revanche déterminer le lieu exact dans lequel cet engouement politique trouvera à se situer. Dans la famille de Y, il n'y a pas de conflits ouverts entre ses parents et elle au sujet de son orientation partisane, simplement des discussions apaisées. Ses parents comprennent ses choix, et réciproquement.

Au sein d'Annahj, Y occupe des postes à responsabilité. D'abord au sein du comité national de la jeunesse du parti, mais aussi au sein du comité local de Rabat. A l'AMDH elle est membre du comité central, mais également du comité des jeunes et du comité des femmes.

Nul besoin de mentionner qu'avec un tel bagage militant, la voix de Y compte énormément dans le mouvement du 20 février. Elle occupe d'ailleurs de manière récurrente des postes stratégiques au sein du mouvement, notamment au sein du comité d'information. Bien que le mouvement ait mis un point d'honneur à promouvoir le turnover des comités à chaque assemblée générale, l'efficacité de ces comités d'organisation est fortement dépendante des compétences de certaines personnes ressources comme Y.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius