5) A , militant du PSU
A est le prototype du militant partisan qui appréhende
son parcours comme une vocation, un métier. Son attitude combine dans un
équilibre subtil les convictions (le champ des valeurs) et la
stratégie (le champ des possibles). Très attentif à
l'esprit du moment et aux changements d'atmosphère, à
l'état des rapports de forces en présence, scrupuleux sur la
méthode et la discipline collective. Bien qu'encore jeune, il est loin
pourtant de cet idéalisme juvénile qui s'enthousiasme dans les
moments d'effervescence collective. Pendant les moments où la foule
communie dans la liesse, il garde son sang
froid et son regard semble toujours concentré et inquiet,
prêt à anticiper les opportunités et les revirements
possibles.
A a fait ses armes de militant à l'UNEM, au sein de la
section de l'université de Meknès, ville dont sa famille est
originaire et où il a débuté ses études de sciences
politiques. Après sa licence il s'est installé à Rabat
pour entrer en Master à l'université Mohamed V. Ses années
à l'UNEM ont été son véritable baptême du
feu, c'est dans ce cadre militant qu'il dit avoir appris les ficelles
essentielles du métier : l'organisation, la force du collectif, la mise
au clair des valeurs à défendre, la construction d'une discipline
intellectuelle et d'une cohérence dans les voies d'accès à
l'action. Plus tard délaissant le syndicalisme étudiant, il
entend rejoindre la scène politique proprement dite et prend sa carte au
Parti Socialiste Unifié (PSU). Son engagement au PSU, A le
perçoit comme une étape dans son parcours militant, c'est pour
lui le parti de gauche marocain le plus intègre et le plus
démocrate (le PSU est à l'heure actuelle le seul parti marocain
à officialiser l'existence de courants en interne). Il reconnaît
aisément qu'il se destine à la carrière de politicien,
même s'il ajoute qu'en ce domaine la profession est plutôt mal
perçue dans l'opinion. Qu'à cela ne tienne, il est certain de ses
valeurs éthiques et considère que le métier de politicien
n'est pas promis à demeurer le synonyme de « corrompu »
éternellement. Pour lui c'est en investissant le champ politique avec du
sang neuf, de nouvelles pratiques et de nouvelles idées qu'on peut
changer les choses. Les projets alternatifs, de démocratie directe et de
mobilisation politique non partisane, s'ils sont louables en soi et permettent
de créer quelque chose, un événement cristallisateur, ils
n'auront cependant qu'un temps, car après tout la démocratie ne
peut réellement fonctionner sans partis, c'est-à-dire sans une
institutionnalisation d'une pluralité organisée à
l'intérieur de laquelle prend place le conflit d'idées. A
considère la politique comme un combat de « projets contre projets
», de propositions différentes sur les modalités du vivre
ensemble que le suffrage universel est chargé de trancher. Pour
l'instant affirme-t-il la politique marocaine est loin de ressembler à
cette arène idéale, il s'agit plutôt d'un petit cercle dont
les rivalités apparentes ne sont que le miroir déformé
d'un consensus plus général sur les manières de «
s'arranger » et de composer avec un système non
démocratique. La politique marocaine est davantage une histoire
d'individus et de conflit d'intérêts plutôt que celle de
collectifs et d'idées portés par une majorité.
A est marié depuis peu avec une jeune marocaine qui
porte le voile, qui termine son master en droit international et qui participe
également au 20 février sans pour autant être militante du
PSU comme lui. Pour le moment il continue d'exercer le métier de
journaliste au journal al-Rihân, qu'il combine avec ses activités
au sein du PSU et ses études sur le point de s'achever.
Questionné sur ses origines familiales, A nous révèle le
terrain absolument vierge de son engagement, avançant le
caractère apolitique et par ailleurs plutôt conservateur de son
milieu familiale à Meknès. Il avoue même que son engagement
partisan n'est pas sans poser des soucis à son entourage familial qui ne
comprend guère cet engouement pour la chose politique, synonyme de
complication et de risques pris sans grande chance de rétribution. Mais
A assume cette distanciation, et il nous semble même que cette mise
à distance contribue à fabriquer son image de professionnel de la
politique. Un métier comme un autre qu'il sait ranger dans un
compartiment de sa vie.
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