I- Méthodologie de la recherche
Nous tentons dans cette recherche à répondre
à la question suivante : Jusqu'à quel point, le vécu de la
guerre du juillet 2006, peut-il avoir des répercussions actuelles sur
les capacités attentionnelles et mnésiques des enfants du Sud du
Liban, appartenant à la tranche d'âge 8-12 ans ?
Problématique
En réalité, la guerre au Liban est une situation
à laquelle on ne pourra jamais échapper. En juillet 2006, le
dernier conflit armé israélo-libanais, qui a duré
trente-et-un jours, a laissé un bilan dramatique de pertes humaines et
matérielles. Comme toutes les guerres, cette violence extrême nous
a laissé des séquelles socio-psychologiques, économiques
et environnementales, ainsi que la haine, le non-respect, la peur de l'autre ou
de l'avenir, la difficulté à négocier, etc.
Des enquêtes sur les types des évènements
liés à la guerre, ainsi que les actes de violence
personnalisée, pouvant avoir des conséquences différentes
sur la santé mentale des enfants et des jeunes, étaient
essentiels, en gardant à l'esprit que les réponses à de
tels incidents de l'exposition peuvent se manifester dans une gamme de doux
à de graves troubles psychologiques, ou bien à une absence totale
de troubles (Baker & Shalhoub- Kevorkian, 1999).
Toute guerre peut être considérée comme un
ensemble d'épisodes stressants, causant des troubles psychologiques,
neuropsychologiques, comportementaux, cognitifs, langagiers, moteurs,
neurologiques, etc. Le syndrome le plus mis en évidence parmi ceux-ci
est le syndrome du stress post-traumatique, connu surtout par le PTSD. Comme
définition, cet état de stress post-traumatique a
été décrit après la guerre de Vietnam, et
appelé au début « la névrose de guerre ». C'est
une réaction à un traumatisme physique ou psychique, une
scène à laquelle on a assistée ou on a subie. Il y a un
intervalle libre avant l'apparition du trouble. Le patient va présenter
des flash-back des traumas, des troubles du sommeil, états de vigilance,
etc.
Selon le DSM IV, ce trouble atteint 0.5 à 2 % de la
population ; les femmes sont plus atteintes que les hommes. On peut avoir une
rémission totale et sans rechute. Le diagnostic du PTSD selon ce
même manuel est le suivant :
- Le sujet a été exposé à un
évènement traumatique.
- La reviviscence de ce trauma.
- Évitement persistant des stimulis associés au
traumatisme et émoussement de la réactivité
générale.
- Présence de symptômes traduisant une activation
neurovégétative : irritabilité ou accès de
colère, insomnie ou hypersomnie, difficultés de concentration,
hypervigilance, réaction de sursaut exagérée.
Il existe une relation de cause-à-effet entre la guerre
et les manifestations stressantes. Selon McNally (1993), Saight et al. (1996),
parmi les facteurs qui provoquent le stress posttraumatique chez les enfants,
la guerre a été associée avec le taux le plus
élevé. Malgré cela, nous n'attardons pas beaucoup sur la
présence du PTSD chez les enfants sélectionnés pour cette
recherche, et nous ne considérons pas que ces derniers soient
psychopathologiques, car ces derniers ont vécus la guerre depuis quatre
ans et demi ; même si la question de la durée des symptômes
est aussi assez controversée.
Les différences dans les rapports sur la gravité
des symptômes à long terme peuvent éventuellement
s'expliquer par un certain nombre de facteurs qui diffèrent selon les
études, notamment la gravité initiale à court terme des
symptômes, le milieu psychosocial après le traumatisme, et la
continuité des perturbations (Jones & Kafetsios, 2002 ;
Kuterovac-Jagodic, 2003). Ce qui répond à la
réalité du terrain du Sud du Liban, où un danger permanent
persistait, ainsi que plusieurs attaques ont survenu après le
cessez-le-feu, et des bombes à fragmentation existaient toujours.
Nous trouvons certains auteurs affirmant que les effets des
expériences de guerre sont persistants (Elbedour, ten Bensel, &
Bastien, 1993 ; Stein, Comer, Gardner & Kelleher, 1999). Tandis que
d'autres suggèrent également qu'une fois la guerre
terminée, il y a une diminution naturelle des symptômes
post-traumatiques (Laor et al. 1997 ; Punamaki et al., 2001).
Parmi des enfants irakiens âgés de 4 à 8
ans, réfugiés en Suède, 21,4 % souffrent d'un PTSD, tandis
que 30,9 % présentent un PTSD incomplet. La prévalence du PTSD
est fortement liée à la gravité de l'exposition : 37,5 %
chez les enfants sévèrement exposés contre 11,5 % chez les
enfants faiblement exposés. L'étude de suivi témoigne de
la stabilité de l'affection : deux ans et demi plus tard, la
prévalence du PTSD est de 20,6 % (Almqvist & al., 1997).
Par ailleurs, des inégalités sont à noter
dans la persistance des troubles. Kessler et al. (1995) trouvent une
durée moyenne du PTSD évoluant entre trois et cinq ans selon que
les victimes ont pu ou non disposer d'un traitement médical, et une
symptomatologie toujours présente pour un tiers d'entre elles
après dix ans de l'évènement.
Dans le méme esprit, une étude d'investigation
des symptômes traumatiques (Stein & al., 1997) observe que chez 43,3%
des sujets présentant un PTSD, ce dernier est dû à une
expérience traumatique remontant à plus de dix ans. En plus, une
étude menée sur Détroit indique que 26 % des victimes
récupèrent en moins de six mois, 40 % en moins d'un an, et qu'un
tiers d'entre elles présentent l'affection à cinq ans. La
durée du PTSD est significativement plus longue chez les femmes et chez
les victimes directes (Breslau & al., 1998).
Le PTSD des enfants dépend davantage de ce traumatisme
individuel que d'un effet de contagion des symptômes parentaux, notamment
maternels (Ahmad & al., 2000). Les plus fréquents symptômes
d'après-guerre, notés dans une étude menée
auprès de 40 enfants (3-12 ans) du Haut-Karabagh après
l'installation d'un cessez-le-feu (entre 1994-1996), sont la peur de
l'obscurité et des avions (43.2%), la peur des bruits forts (27%), les
pleurs fréquents (24.32%). D'autres symptômes sont moins
fréquents, comme l'irritabilité (13.5%), l'agressivité,
l'angoisse de séparation, les cauchemars et le réveil en sursaut
(16.2%), et l'asociabilité et le comportement de retrait (10.5%).
Au Liban, des recherches antérieures menées au
cours des phases de plusieurs types de conflit prolongé, classent
l'exposition à la guerre comme suit : la perte d'un parent, la
séparation, les blessures physiques, les bombardements, les
enlèvements, la démolition de la maison, et le
déplacement (Macksoud & Aber, 1996 ; Derkarabetian,
1984 ; Macksoud, 1992 ; Cheminenti et al., 1989 ; Assal & Farrell, 1992 ;
Fayyad et al., 2001).
Des observations cliniques (Zohrabian, 2006) auprès
d'enfants libanais ayant vécu la dernière guerre de juillet 2006
ont mis en relief :
1- une angoisse de séparation excessive
2- une hyperactivité
3- une agressivité importante
4- une incapacité à exprimer les
émotions
5- une asociabilité
6- un évitement de toute nouvelle situation.
Dans le cadre d'une étude auprès des enfants du Sud
du Liban, qui ont vécu la guerre de juillet 2006, des classes d'EB5, les
résultats étaient les suivants (Bouchedid, 2008) :
- 84.1% : Je comprends tout ce qui est dit à moi.
- 79.9% : Je suis presque toujours à l'heure et n'oublie
pas ce que je suis censé faire - 76.1 : Je suis suffisamment bien dans
les classes de mathématiques
- 65.3 % : Je fais toujours mes devoirs à temps.
- 63.6 % : J'oublie souvent de faire des choses. L'école a
été facile pour moi.
- 60.9% : je fais beaucoup de soucis avant quelque chose nouvelle
que je démarre. - 47.8% : La plupart du temps, je cours plutôt que
je marche.
- 43.1% : Je ne peux pas attendre des choses qui viennent, comme
les autres enfants peuvent.
- 35.0% : Je saute d'une activité à une autre.
- 26.8 % : des enseignants se plaignent que je ne peux pas rester
assis, et il est difficile pour moi d'obtenir de bonnes notes.
- 24.9% : J'ai répété une année
à l'école.
- 20.4% : En raison de mes problèmes d'apprentissage,
je reçois une aide supplémentaire, ou que je suis dans une classe
spéciale à l'école. Je ne peux pas garder ma concentration
sur quelque chose
- 15.4 % : À un moment donné, j'ai eu des
problèmes de langage.
- 10.6 % : La lecture a été difficile pour moi.
Cependant, différents types de traumatismes sont
liés de façon différentielle aux conséquences sur
la santé mentale. Certains, comme la guerre, peuvent avoir un effet nul
ou modéré sur la santé mentale des enfants, ou bien
peuvent avoir des effets dévastateurs. A ce jour, seulement quelques
études ont essayé d'évaluer l'impact d'un
évènement spécifique sur la symptomatologie et
l'ajustement de l'enfant (Macksoud & Aber, 1996).
Heuyer (1948) groupe les conséquences de la guerre en
trois grandes catégories : les conséquences intellectuelles et
scolaires, les conséquences affectives, et la délinquance
infantile et juvénile. Au niveau intellectuel et scolaire, Heuyer note
que le niveau mental est peu touché par les incidences de la guerre. En
revanche, le niveau scolaire des enfants qui ont été victimes de
guerre a nettement baissé.
Concernant ce qui nous intéresse des séquelles,
les individus qui ont vécus une guerre présentent des
altérations cognitives allant des déficiences dans le
fonctionnement global de la mémoire, à des difficultés
plus spécifiques. Il est difficile de savoir si des mécanismes
communs peuvent tenir compte de ces diverses difficultés cognitives
(Moore, 2009). Une étude, en 2002, effectué au département
de psychologie de « Hebrew University » à Jérusalem, a
évalué le fonctionnement cognitif après dix jours
d'exposition à la guerre. Quarante-huit survivants ont été
évalués pour des symptômes de stress post-traumatique,
d'anxiété, de dépression, et de dissociation
immédiate et retardée de la mémoire, de l'attention, de
l'apprentissage et du QI (Psychiatry research, vol. 110, 2002).
Puisque chaque enfant vit les situations différemment,
selon son caractère et son histoire personnelle, des dissemblances dans
la sévérité des critères pourraient engendrer des
différences dans les résultats des tests cognitifs.
Selon Censabella (2007), les fonctions exécutives sont
tout un ensemble de processus dont la fonction principale est de faciliter
l'adaptation de la personne aux exigences et fluctuations soudaines de
l'environnement et, en particulier, aux situations nouvelles.
En effet, les retentissements post-guerre ont
été associés à des troubles cognitifs impliquant la
mémoire et l'attention. L'association entre la déficience
cognitive et les symptômes est inconnue, mais cette corrélation
peut entrainer une dégradation du traitement des souvenirs traumatiques.
A noter que la guerre peut causer des manifestations comme
l'anxiété, dont les aspects cognitifs ont été
largement étudiés (Eysenck, 1997), mettant en évidence ses
effets sur les capacités de mémoire de travail (Ikeda, 1996), et
sur les ressources attentionnelles (Sarason, 1988).
Les personnes souffrant d'une atteinte du système
exécutif rencontrent, au quotidien, des difficultés à
s'adapter sur le plan familial, social et professionnel et à
gérer des situations nouvelles. Les altérations qu'elles
présentent peuvent toutefois survenir chez des personnes sans
lésion cérébrale mais dans une moindre mesure.
Des liens sont trouvés entre l'attention et la
mémoire : les processus attentionnels interviennent entre la
mémoire sensorielle et la mémoire à court terme, de
travail. Pour notre présente étude, nous choisissons d'explorer
uniquement deux fonctions cognitives : l'attention et la mémoire, qui
sont liés entre elles.
En effet, il reste inconnu si les déficiences
cognitives sont considérées des caractéristiques d'un
vécu traumatique aigu. Très récemment, dans une
enquête, les fonctions neurocognitives ont été
examinées chez des individus exposés à un seul traumatisme
(n = 21), d'autres ayant un PTSD aigu (n = 16), ainsi qu'un groupe d'individus
jamais exposés à un traumatisme (n = 17). Un certain nombre de
déficits dans les domaines cognitifs de la mémoire, des
ressources attentionnelles, des fonctions exécutives et de la
mémoire de travail, était trouvé dans le groupe ayant
reçu un diagnostic de stress post-traumatique aigu et non parmi les
autres groupes (Lagarde G, 2010).
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