1.2 L'utilisation des services de santé modernes
dans les pays africains
Dans des contextes où l'offre de services de
santé modernes est peu importante et les ressources sanitaires plus ou
moins accessibles, l'émergence de questionnements relatifs à
l'utilisation de ces services peut a priori sembler paradoxal. En effet d'une
part, les besoins sont immenses et les services trop rares pour y
répondre convenablement, et d'autre part, l'on constate, lorsqu'on
implante des services censés répondre à ces besoins, que
les populations ne les utilisent pas autant que l'on pourrait s'y attendre.
L'utilisation des services de santé est diversifiée du fait de la
pluralité de l'offre et de la relative indépendance des
utilisateurs vis-à-vis des prestataires. Dans ce contexte, il est
très difficile sinon impossible de se faire une idée
générale de la répartition et de la séquence de
l'utilisation des services offerts par les différents prestataires. Dans
une analyse systématisée de plus de cent études sur
l'utilisation des services de santé en pays en développement,
Haddad et Fournier rapportent qu'à la suite d'une plainte, environ une
fois sur deux on ne recherche pas d'aide extérieure mais quand cela est
le cas, les services de santé modernes, privés ou publics, sont
utilisés par la moitié des plaignants. Sinon, les patients ont
recours à la médecine traditionnelle ou à une ressource du
secteur informel.
1. 3 Les facteurs associés à
l'utilisation des services de santé modernes
Différentes méthodes sont employées pour
étudier les facteurs susceptibles d'influencer l'utilisation des
services de santé. Les études corrélationnelles analysent
les associations et les covariances de l'utilisation avec une ou plusieurs
variables qui peuvent référer aux individus, à leur
maladie et/ou dispensateurs de services. Les liens de causalité
entre ces variables et les comportements d'utilisation sont
extrapolés à partir des associations empiriques
observées.
Il a été proposé de regrouper en trois
grandes catégories les facteurs associés à l'utilisation
des services de santé :
· Caractéristiques des sujets : on y trouve
d'abord des caractéristiques sociodémographiques telles que
l'âge, le sexe, l'éducation, la taille de la famille, le statut
familial, l'ethnie et la religion. Les facteurs économiques comme le
revenu sont une autre composante retenue. Enfin, l'on retrouve des
caractéristiques sociopsychologiques : l'interaction avec le
réseau social, le degré d'acculturation et la
réceptivité à l'innovation ;
· Caractéristiques de la maladie et des
perceptions qu'en ont les patients. On y retrouve le caractère chronique
ou aigu et sévère ou modéré de la maladie,
l'étiologie attribuée à celle-ci et les
bénéfices attendus (en termes d'amélioration de
l'état de santé) de l'utilisation de telle ou telle ressource de
santé ;
· Caractéristiques des services offerts et les
perceptions qu'en ont les patients. Il s'agit de facteurs susceptibles
d'encourager ou de rebuter des utilisateurs potentiels. On y retrouve
l'accessibilité géographique, l'acceptabilité des
dispensateurs de services, de l'attrait lié à la qualité
attendue, les coûts d'utilisation.
Les caractéristiques individuelles influençant
l'utilisation des services de santé sont : l'âge, le sexe. Les
caractéristiques culturelles concernent le niveau d'instruction,
l'ethnie et la religion.
Les caractéristiques du ménage concernent la
taille de la famille, le nombre d'enfants, les attributs de chef de famille et
d'autres composantes familiales ont été liés à
l'utilisation des services de santé. L'éducation formelle (ou la
scolarisation) est l'un des principaux moyens d'exposition à la culture
occidentale. Ainsi, à mesure que les populations sont
scolarisées, l'on peut s'attendre d'une part à un renforcement de
l'utilisation des soins de santé modernes, d'autre part, à une
réduction de l'utilisation des médecines traditionnelles. On
attribue fréquemment la sous-utilisation des formations sanitaires
modernes et notamment des services préventifs à un manque
d'éducation des personnes desservies.
L'acculturation, la transition culturelle : le contact avec
les valeurs, les idées et les techniques de la culture occidentale a
entraîné des changements considérables dans les
sociétés traditionnelles et, selon les seuls dispensateurs
modernes appartenaient au réseau public, la présence d'une
télévision conduisait à un renforcement de l'utilisation
des formations
sanitaires publiques au dépens des pratiques
médicales traditionnelles. En revanche, l'acculturation n'induit aucun
changement dans les conduites thérapeutiques traditionnelles, ce qui
traduit la persistance d'attitudes pluralistes de recours aux soins.
Les innovateurs ou « adopteurs précoces »
peuvent se définir comme des personnes qui adoptent des croyances, des
attitudes ou des comportements nouveaux bien avant les autres membres du groupe
social. Les théories de l'innovation suggèrent que ces personnes
vont par un effet d'entraînement influencer les autres individus de la
collectivité. Dans le champ de la santé, cela signifie que
certains individus vont être des précurseurs dans l'utilisation de
nouvelles thérapeutiques et en particulier de la médicine
moderne.
Différents facteurs sont susceptibles
d'interférer avec le niveau d'éducation. Il peut s'agir de
l'acculturation, du niveau de revenu ou de la couverture sociale. Comme dans le
monde occidental, les couches les moins éduquées sont souvent
plus démunies. La plus grande utilisation des services de santé
modernes chez les personnes scolarisées peut donc en partie s'expliquer
par des capacités d'utilisation supérieure.
La mesure du revenu des ménages dans des
sociétés où le salariat reste l'exception et où la
prise en charge des individus est largement assumée par le groupe de
référence constitue une difficulté d'importance.
L'estimation directe des revenus monétaires est souvent difficile
à réaliser et c'est habituellement par des mesures indirectes
comme le statut ou la classe sociale des individus qu'il va être
approché. Dans quelle mesure les capacités de mobilisation des
ressources, le revenu monétaire ou le statut socio-économique
vont-ils influencer les comportements d'utilisation ? Cette question fait
l'objet d'une attention particulière du fait de ses conséquences
sur les politiques de santé. Le revenu n'est pas une importante
barrière à l'utilisation des services. Il n'y a pas de liens
entre le revenu et l'utilisation des services sur le fait que quel que soit le
système de santé et quels que soient les dispensateurs de
services utilisés, les populations, même très pauvres, ont
toujours eu à payer quelque chose pour leur santé. Le second
point de vue consiste au contraire à souligner les
inégalités en termes d'utilisation entre les différentes
classes de revenu et de statut social.
Des observations concordantes militent en faveur d'une diminution
de la fréquence des abstentions thérapeutiques à mesure
que s'élève le niveau de revenu ou le statut socio-
économique. Par exemple au Zaïre
(République Démocratique du Congo), ce sont principalement les
plus pauvres qui ne se font pas soigner quand ils sont malades.
Les dépenses de santé des individus ou des
ménages varient avec le statut socio-économique. En Ethiopie, il
a été observé une corrélation négative entre
le revenu et l'abstention thérapeutique. En Indonésie, les
chercheurs ont rapporté des résultats semblables et ont conclu
que « le revenu est une barrière importante au traitement ».
Ils remarquent également que les plus riches parcourent de plus grandes
distances pour se faire soigner, sans que leurs déplacements prennent
plus de leur temps que ceux des pauvres.
Le recours à la médecine moderne est clairement
associé au revenu ou à la classe sociale et les
inégalités dans l'utilisation des services de santé
peuvent être considérables. Des études
réalisées dans différents contextes montrent que les
couches sociales élevées sont les principales utilisatrices des
services modernes publics et privés.
Des recours moins fréquents à la médecine
traditionnelle sont parfois associés à des revenus ou à
des statuts sociaux plus élevés
Les soins de santé modernes sont toujours plus
utilisés par les bénéficiaires de l'assurance maladie. En
revanche, le recours à l'autotraitement est habituellement plus rare
chez les assurés sociaux et il en est de même pour l'utilisation
des services de praticiens traditionnels. Enfin, lorsque la couverture
médicale s'étend à des dispensateurs de services
privés, la tendance à plus utiliser ces services est
évidente.
Cette littérature renforce la thèse selon
laquelle le revenu est une des principales barrières à
l'utilisation des services de santé modernes. En effet, la couverture
médicale peut être assimilée à un revenu additionnel
qui procure un accroissement des capacités individuelles et familiales
d'utilisation des services de santé modernes.
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