132 4.2. Rôle contradictoire des mouvements de
résistance dans la
construction de la culture politique démocratique
Tels qu'analysés plus haut, les mouvements de
résistance ont progressivement intériorisé des ambitions
politiques. Leur participation aux processus politiques pendant la transition,
aux élections et après ces dernières le prouve
suffisamment. Le rôle effectivement joué dans ces processus
recèle des contradictions que la présence section se propose
d'analyser.
4.2.1. Participation politique ou
sociétés contre l'Etat
1° Participation politique
Point n'est besoin de revenir sur l'analyse politiste qui se
dégage des actions des mouvements de résistance comme un mode de
participation politiques dans l'espace politique et social national. Les faits
suivants justifient cette perspective théorique et empirique : la
participation aux négociations politiques de Sun City qui ont
débouché sur l'Accord Global et Inclusif en décembre 2001
; la participation dans les institutions politiques et d'appui à la
démocratie de la transition issue de l'Accord sus-évoqué ;
la démobilisation de certains éléments soit volontairement
soit pour cause d'invalidité ou d'âge (mineurs) ; la
création des partis politiques à tendance mai-maiste ; la
participation au processus électoral de 2005-2006.
Par ailleurs, les mouvements de résistance à
travers leur idéologie ont justifié leur action essentiellement
par la défense du territoire national menacé et envahi par les
pays voisins qui exécuteraient l'agenda de balkanisation de la R.D.C.
pour des fins inavouées. Cette vision soutenue par la logique de la
guerre a produit un impact réel notamment dans l'encadrement
idéologique des populations et la lutte
armée contre la progression militaire des forces rebelles
soupçonnés d'être à la solde de
l'étranger.
2° Sociétés contre l'Etat et refus
de la modernité
- Société contre l'Etat
Le concept de « société contre l'Etat
» est utilisé par Pierre Clastres dans une étude
d'anthropologie politique sur les sociétés amérindienne et
indienne. Il démontre la résistance desdits
sociétés à l'événement de l'Etat comme mode
d'organisation du pouvoir moderne. Il note à ce sujet ce qui suit :
« Mais, jusque dans l'expérience extrême du
prophétisme (...), ce que nous montrent les sauvages, c'est l'effort
permanent pour empêcher les chefs d'être de chefs, c'est le refus
de l'unification, c'est le travail de conjuration de l'un, de l'Etat.
L'histoire des peuples qui ont une histoire est, dit-on, l'histoire de la lutte
des classes. L'histoire des peuples sans histoire, c'est, dira-t-on avec autant
de vérité au moins, l'histoire de leur lutte contre l'Etat »
(91).
Tout en regrettant l'archaïsme conceptuel choisi par
Pierre Clastres en utilisant des concepts désuets de l'anthropologie
sociale et culturelle car teintés d'ethnocentrisme
(sociétés primitive, société sans histoire,
société sans Etat), il y a lieu de trouver un
élargissement épistémologique du concept «
société contre l'Etat » dans le cadre de la présente
étude.
Les sociétés rurales ont connu
l'évènement de l'Etat depuis l'époque coloniale. L'Etat
colonial a fonctionné à côté des structures
sociales, politiques et économiques traditionnelles.
L'indépendance n'a pas bouleversé l'ordre politique traditionnel
car le pouvoir coutumier a été
91 P. CLASTRES, Société contre
l'Etat, Paris, Editions de Minuit, 1974, p.186.
maintenu. Comme pendant la colonisation, les
sociétés rurales ont gardé leurs structures. À cet
effet, la vie en communauté est restée organisée par les
coutumes et traditions, donnant une place prépondérante aux
autorités coutumières, à la famille. Dans ces conditions,
la position de l'Administration a été dans la pratique,
fragilisée au point de jouer fondamentalement deux rôles : un
rôle représentatif de l'Etat au village et un rôle de
prélèvement des impôts sur les activités
agricoles.
Cette position marginale de l'Etat devant les structures
politiques et sociales paysannes fonctionnelles et dominantes a
été renforcée par le dysfonctionnement de l'Etat qui, en
toute évidence, n' a pas assuré ses fonctions essentiels
vis-à-vis des communautés rurales. L'autoprise en charge rurale a
influencé le développement des mouvements de résistance
dans le but de se protéger contre la menace extérieure ou des
communautés voisines.
Dans cette perspective, les communautés rurales du
SudKivu se comportent en sociétés contre l'Etat dans la mesure
où elles cherchent à entretenir les M.R comme structure
permanente de sécurisation communautaire et non l'armée nationale
d'une part et n'assimilent pas l'ordre politique et administratif
institué par l'Etat en valorisant les coutumes et traditions locales.
- Refus de la modernité
La modernité est fondamentalement définie par
rapport au triomphe de la raison dans la conception et la production de la
société. Dans la révisitation que fait Alain Touraine sur
le concept de la modernité, il retient cette signification tout en la
critiquant et en l'élargissant tel qu'on peut le lire dans les
considérations suivantes :
« si la modernité ne peut pas être
définie seulement par la rationalisation et si, inversement, une
vison de la modernité comme flux incessant de changement fait
trop bon marché de la logique du pouvoir et de la
résistance des identifiés culturelles, ne doivent-il pas clair
que la modernité se définit précisément par cette
séparation croissante du monde objectif, créé par la
raison en accord avec les lois de la nature, et du monde de la
subjectivité, qui est d'abord de l'individualisme, ou plus
précisément celui d'un appel à la liberté
personnelle ? La modernité a rompu le monde sacré, qui
était à la fois naturel et devin, transparent à la raison
et crée. Elle ne l'a pas remplacé par celui de la raison et de la
sécularisation, en revoyant les fins dernières dans un monde que
l'homme ne pourrait plus atteindre ; elle a imposé la séparation
d'un sujet descendu du ciel sur terres, humanisé, et du monde des
objets, manipulés par les techniques. Elle a remplacé par
l'unité d'un monde créé par la volonté divine, la
raison ou l'histoire, par la dualité de la rationalisation et de la
subjectivisation » (92).
Selon lui, deux principes fondent la société
moderne : l'action rationnelle et la reconnaissance des droits universels
à tous les individus (93).
A travers les mouvements de résistance et le «
maimaisme », il s'observe un rejet de la modernité. Cette
dernière est un système de pensées dont la
démocratie, les droits de l'homme, la morale, l'Etat font partie des
idéaux. En effet, le « mai-maisme » voit dans le pouvoir
traditionnel, les coutumes une valeur transcendantale qu'il faut
protéger contre la démocratie et l'Etat. Les droits de l'homme ne
trouvent une signification que dans la société culturellement
définie. La religion occidentale est totalement abandonnée dans
le mai-maisme en faisant recours à la religion africaine, à la
cosmogonie noire. Pourtant, depuis d'un siècle, les religions
occidentales s'efforcent de conquérir la sphère religieuse des
sociétés rurales dans la Province du Sud-Kivu. Le
christianisme dominant dans cette partie du pays, n'est il pas
une religion de façade pour s'intégrer à l'ordre national
et international et non une identité religieuse impliquant des
terminismes de pensées et d'action.
Cependant, si la modernité semble être
rejetée comme idéaux, il ne l'est pas pour autant de ses produits
issus de la technique ou de la technologie. Ainsi, les mouvements de
résistance utilisent les armes à feu, les moyens de communication
(téléphone, internet, radio et télévision, ...).
C'est un usage de la modernité par nécessité.
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