4.1.2. Forces et faiblesses du « mai-maisme »
A l'instar d'autres idéologies, le « mai-maisme
» aligne des forces et faiblesses. Ces dernières ne lui
enlèvent pas sa nature idéologique.
1° Forces
Nous retenons comme forces de l'idéologie mai-mai les
catégories suivantes : la mise en valeur du contexte de crise, la
manipulation des symboles et valeurs traditionnelles, le rôle
hégémonique.
- La mise en valeur du contexte de crise
Le << mai-maisme » a pris un essor
considérable pendant la période de crise profonde au sein de
l'Etat congolais. C'est effectivement au moment de la présence des
troupes étrangères sur le sol congolais en appui aux
différentes rebellions que le mai-maisme s'est confirmé comme une
vision contraire à l'impérialisme, à la domination
civilisatrice au 20e siècle finissant et au pillage des
richesses nationales. L'influence psychologique du << mai-maisme »
lui a permis de canaliser les opinions tant en milieu rural qu'en milieu
urbain. En plus, ce contexte d'instabilité a légitimé le
mai-maisme comme << stratégie sécuritaire » et la
<< violence protestataire ou révolutionnaire »90
utilisée comme moyen d'action.
- Le rôle hégémonique
substitutif
Les situations conjoncturelles liées aux guerres,
notamment l'occupation des vastes étendues du territoire national par
des mouvements rebelles et leurs alliées, et par conséquent la
partition de facto du pays, n'a pas permis à l'Etat congolais d'exercer
sa fonction
90 J. NIMUBONA, « La résolution des
conflits au Burundi : Processus, acteurs, enjeux et incertitudes » in
Afrique des Grands- lacs. Sécurité et paix durable,
Butare, Ed. de l'Université Nationale du Rwanda, 2004 p. 149
idéologique. Le vide créé par ce fait a
permis au "mai-maisme" de substituer à l'Etat dans son rôle
hégémonique. Les populations sous administration des rebellions
ont développé un mythe sur le "mai-maisme"
considéré à ce moment comme le seul recours
idéologique pour protéger le territoire national. Dans les zones
rurales, l'adhésion et le soutien au mai-maisme ont été
réels tandis que dans la ville de Bukavu ceux-ci n'ont été
que virtuels. Toutefois, les enquêtes démontrent que les
mouvements de résistance ont bénéficié des appuis
divers de la société civile sous diverses formes (vivres, habits,
argent, médicaments, conseils).
- La manipulation des symboles et valeurs
traditionnelles.
La symbolique « nation » placée au centre des
idées des mouvements de résistance a valu à leur
idéologie un droit de cité sur le plan national et local. Quant
aux valeurs traditionnelles, leur congruence avec les schèmes culturels
des populations locales (rurales et urbaines) a renforcé la confiance et
mobilisé les soutiens en termes d'adhésion ou d'appuis
matériels.
- Le choix de la lutte armée comme moyen
d'action.
Le « mai-maisme » a réellement rempli sa
fonction praticosociale en adoptant la voie de l'arme pour barrer la route
à l'occupation du territoire qui se pratiquait par la même voie.
Cette expression praxéologique a rapporté au « maimaisme
» plus de considération que les idéologies exclusivement
théoriques dominantes dans les milieux urbains.
2° Les faiblesses
Les faiblesses du « mai-maisme » sont entre autres
une structuration désarticulée, les conflits internes,
l'insuffisance des ressources financière et matérielles, la
prédominance des croyances magico-superstitieuses, la confusion entre le
local et le national,
l'insuffisance des cadres instruits, l'absence des relations avec
l'extérieur, l'ouverture à la manipulation et à la
récupération politiques.
- Une structuration désarticulée
Les organisations qui incarnent le "mai-maisme" ont
opéré sans une coordination d'ensemble. Elles étaient
éparpillées et parfois isolées. Toutefois, il faut
souligner que les opérations militaires contre le RCD étaient
coordonnées dans une structure appelée Opération Sud-Sud
(O.P.S.S) regroupant toutes les forces dites résistantes de l'Est
appelée d'abord secteur opérationnel Est (SOE) puis SOSE (Secteur
Opérationnel Sud-Est). Cette coordination, n'a pas fait longtemps suite
aux malentendus entre mouvements de résistance, lesquels étaient
fondamentalement liés aux conflits d'intérêts.
Par ailleurs, il convient de relever le caractère
contingent des objectifs qui ont variés selon les circonstances : lutter
contre les agresseurs rwandais, protéger l'unité du pays,
protéger les populations civiles et autochtones contre toute menace,
protéger les communautés et leurs terres contre les
velléités des communautés voisines, etc.
- L'insuffisance des ressources financières et
matérielles
L'insuffisance des moyens financiers et matériels est
un aspect limitatif du « mai-maisme » surtout dans sa dimension
axiologique et de diffusion. En effet, la diffusion d'un système de
pensées est fonction des moyens mis en oeuvre. Le mai-maisme est
resté une idéologie trop localiste faute des capacités
d'expansion sur d'autres horizons. Point n'est besoin de démonter de
nouveau que les mouvements de résistance ont manqué les moyens
matériels et financiers pour réussir leur but. Cette faiblisse
est bel et bien reconnu par tous les 14 chefs des mouvements de
résistance interrogés à cette fin.
- La prédominance des croyances
magico-superstitieuses
Le « mai-maisme » met l'accent sur le culte de la
magie et de la superstition. Des telles pratiques cherchent à poursuivre
des buts pratiques en utilisant des moyens métaphysiques dont la logique
de l'action est difficile à démontrer. La négligence des
entrainements militaires au profit des rituels magico-superstitieux a des
effets négatifs sur la qualité des éléments des
troupes. Les pertes en vies humaines lors des combats ont fait fuir certains
combattants rescapés. 7/76 ex combattants ont estimé que «
les fétiches » sont une tromperie car nombreux de leurs compagnons
mouraient au front malgré le rituel d'invulnérabilité.
- Confusion entre le local et le national
Comme démontré plus haut, les mouvements de
résistance ont oeuvré dans les limites culturelles de leurs
communautés et non sur les frontières nationales. Ce qui rend le
"mai-maisme" une idéologie localiste et non nationaliste dans la
pratique. Cela est d'autant défendable car on ne peut affirmer que la
multiplicité non coordonnée signifie une vision nationale. C'est
plutôt, nous semble-t-il, une division du travail non conventionnelle
consacrant une configuration localiste du "mai-maisme".
- L'insuffisance des cadres instruits
Le mai-maisme n'est pas l'émanation des cercles
d'érudition mais plutôt des ruraux caractérisés par
un faible niveau d'instruction. Les recherches empiriques font état d'un
niveau moyen d'instruction de 3e secondaire pour les chefs de mouvements de
résistance et de 4e primaire par les combattants. Ce niveau
d'instruction situe les responsables à une immaturité
intellectuelle criante et à l'illettrisme ne pouvant pas leur permettre
de concevoir et d'appliquer une structuration fonctionnelle et efficace. A cet
effet, il y a lieu d'établir une corrélation entre le faible
niveau d'instruction constaté ainsi que la
prédominance des pratiques superstitieuses et la structuration
désarticulée.
Jusqu'en 2008, à l'occasion de la conférence de
Goma, tous les mouvements de résistance opérationnels n'avaient
pas encore intégré la branche politique. La contrainte d'en avoir
leur imposée par les organisateurs les a conduits à constituer
des branches politiques formées en général par des cadres
universitaires. Le clientélisme et la précipitation, l'influence
de la parenté et surtout l'opportunisme ont caractérisé le
choix desdits cadres politiques à cause des promesses des postes
politiques et administratifs ainsi que les avantages financiers liés
à la participation à cette conférence. Les branches
politiques ont joué un rôle représentatif dans la
conférence et au sein du programme Amani sans faire preuve d'un impact
idéologique dans de leurs mouvements de résistance respectifs.
- L'absence des relations avec des formatons
politicoidéologiques étrangères
Le mai-maisme privilégie des relations au niveau local
et national mais ne s'est pas ouvert aux organisations
politico-idéologiques extérieures. Ceci peut être
justifié par la valorisation des principes ésotériques,
l'insuffisance des moyens matériels et financiers, le manque des cadres
engagés. Seul l'ancien mouvement de résistance Mai-Mai Padiri a
prétendu avoir entretenu des relations avec le parti socialiste belge
spécialement dans le cadre d'ouverture en attendant la
coopération idéologique et matérielle.
- La manipulation et la récupération
politique
politiques menées tantôt par le Pouvoir
légal tantôt par la société civile tantôt par
le mouvement rebelle du R.C.D., tantôt des communautés tribales.
La manipulation a consisté à influencer le « mai-maisme
» à travers les mouvements de résistance pour servir les
intérêts idéologiques, politiques ou matériels des
autres forces politiques et communautés. En effet, deux sujets
d'enquête qui ont oeuvré au sein du Bureau de coordination de la
société civile ont reconnu qu'il a existé des liens
directs entre les mouvements de résistance et la société
civile mais, précisent-ils, dans le but de les organiser et de les
soutenir matériellement à travers des bienfaiteurs. Huit sur
quatorze mouvements de résistance nous ont déclaré qu'ils
ont des relations avec des structures ecclésiastiques catholique et
protestante locales ainsi qu'avec certaines personnalités du monde des
affaires dans le cadre de l'assistance matérielle. Les deux anciens
mouvements de résistance ( Mai-mai de Bunyakiri et Mai-mai de Fizi) et
six actuels mouvements ont déclaré avoir entretenu des bonnes
relations avec le Gouvernement et l'Armée nationale pour plusieurs
motifs : offensive contre la rébellion du R.C.D., traque de la mutinerie
de Mutebusi, combat contre les F.D.L.R., etc. Avec les communautés
rurales, le mai-maisme a été utilisé pour alimenter les
conflits dans les luttes ouvertes à Fizi et Uvira, en particulier.
Quel que soit l'objectif, l'infiltration du mai-maisme par des
influences extérieures, le fragilise et son autonomie de pensée
et d'action est fortement réduite.
La récupération politique est la
conséquence de la manipulation. Les deux ont contribué à
la transfiguration politique des mouvements de résistance, et partant,
à l'affaiblissement du « maimaisme ». Deux processus ont
été déclenchés à ce sujet : la
création des partis politiques à partir du « mai-maisme
» et l'intégration des troupes dans l'armée nationale. La
première étape (transition instituée par l'Accord Global
et Inclusif) a vu naître quelques formations politiques à tendance
« mai-maiste », à savoir les patriotes résistants
Mai-Mai
(P.R.M.), le mouvement Mai-Mai (MMM), le PANAM ainsi que
l'intégration des combattants dans l'armée et la
démobilisation des autres. Les partis politiques créés ont
participé aux élections de 2006. Cependant, à la suite
d'un manque de suivi et d'encadrement des structures de base par les leaders
mai-mai qui ont occupé des fonctions élevées pendant la
transition, il y a eu la désagrégation des bases existantes et la
désintégration des acteurs individuels. La seconde étape
(après les élections) est celle en cours, et qui oblige les
mouvements de résistance à la reconversion politique et à
l'intégration dans l'armée nationale. A ce stage, leurs
formations politiques ne sont pas encore constituées officiellement et
l'intégration dans l'armée se trouve à l'étape du
regroupement et de la formation dans des centres.
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