CONCLUSION
Ce chapitre vient d'élucider les fondements
idéologiques des mouvements de résistance au Sud-Kivu et les
actions entreprises pour ce faire. Les valeurs traditionnelles symboliques et
cosmiques, le contexte historique et politique sont mis a profit pour former un
système de pensées qui guide les actions de résistance
sous forme de contestation ou protestation contre les institutions
légales, la rébellion du R.C.D., les forces
étrangères ou tout autre groupe militaire ennemi.
119 CHAPITRE QUATRIEME :
CULTURE POLITIQUE DANS L'IDEOLOGIE DES MOUVEMENTS
DE RESISTANCE
INTRODUCTION
Ce chapitre est une analyse de la culture politique
véhiculée par l'idéologie des mouvements de
résistance. Il analyse les possibilités d'une
autodétermination de la société congolaise à
travers l'idéologie de mai-mai. Pour y parvenir, nous allons tenter,
dans la première section, de définir l'idéologie de
mouvements de résistance avant d'analyser, dans la seconde section, le
rôle controversé que ces derniers jouent pour la construction de
la culture politique démocratique au Sud-Kivu en particulier et en RDC
en général.
4.1. DEFINIR LE « MAI-MAISME » COMME IDEOLOGIE
Le néologisme « mai-maisme » signifie tout
simplement l'idéologie des mouvements de résistance.
L'appellation « mai-mai », du reste préférée par
les mouvements de résistance est, selon leurs chefs respectifs,
chargée de sens sur le plan historique et exprimerait, la force,
c'est-à-dire l'invulnérabilité à cause de la
protection des ancêtres.
En affirmant l'existence du « mai-maisme » comme
idéologie, nous voulons lui attribuer le sens retenu par
la sociologie
contemporaine telle que présentée par Guy Rocher
en ces termes : « (...) on peut dire que les sociologues contemporains
emploient généralement ce terme pour désigner un
système d'idées et de jugement, explicite et
généralement organisé, qui sert à décrire,
expliquer, interpréter ou justifier la situation d'un groupe ou d'une
collectivité et qui, s'inspirant largement de valeurs,
propose une orientation précise à l'action
historique de ce groupe ou de cette collectivité »
(86).
Le sens d'Althusser repris par Jean Etienne précise ceci
:
<< (...) les idéologies sont définies
comme des systèmes de représentation du monde, nécessaires
à toute société, possédant << une logique et
une rigueur propres » et qui permettent aux hommes de donner un sens
à leur activité dans la société (fonction
praticosociale) » (87).
Guy Rocher détermine les éléments de toute
idéologie, déduits de la définition qu'il propose :
<< 1° L'idéologie revêt une forme
qu'elle est explicite et verbalisé ; elle prend ainsi le
caractère d'une << doctrine », au sens large du terme ; cette
systématisation exige que des aspects de la situation soient mis en
relief, qu'un accent particulier soit mis sur certains liens entre des
éléments de la situation, ce qui donne à
l'idéologie ce que F. Dumonrt a appelé non syncrétisme ;
<<
2° L'idéologie fait abondamment
référence à des valeurs, dont elles s'inspirent et qu'elle
organise dans le schème de pensée qu'elle formule ; F. Dumont dit
qu'on pourrait considérer l'idéologie comme « la
rationalisation d'une vision du monde (ou d'un système de valeurs) ;
<<
3° L'idéologie a une fonction conative, elle
pousse ou incite une collectivité à l'action, ou du moins dirige
celle-ci en fournissant des buts et des moyens » (88).
Le << mai-maisme » est alors un système
d'idées ou de représentations qui justifient et guident les
actions des mouvements de résistance en R.D Congo. A l'instar de toute
idéologie, il « construit une
86 G. ROCHER, Introduction à la Sociologie
: l'action sociale, Montréal, éd. HMH, 1968, p.127.
87 J. ETIENNE et alii, Op. Ci., p.239.
88 G. ROCHER, Op.Cit, pp. 127-128.
image de la société, désigne les forces
et les ensembles tenus pour fondamentaux >>89. Il importe
d'abord de définir de manière extensive de système
d'idées (sans prétendre en faire une doctrine) avant d'en donner
les forces et faiblesses ainsi que la situation actuelle face aux
mécanismes nationaux d'inhibition voire de disparition des mouvements de
résistance.
4.1.1. Particularité et orientation
idéologique du « mai-maisme »
1° Particularité du système
d'idées
D'emblée, d'aucuns peuvent être tentés de
considérer le « mai-maisme » comme un ensemble d'idées
dispersées, sans cohérence interne. Cette tendance est souvent
influencée par le caractère oral, et souvent avec un prisme
ethnocentriste traduit par « le traditionnel >>. Cette conception
n'est pas soutenable dans la mesure où l'oralité ne signifie pas
l'absence de la cohérence d'une part, et le traditionnel ne revoie pas
sémantiquement à l'irrationnel.
Il nous semble que le « mai-maisme >> reste un
système d'idées cohérent traduisant les
rationalités et logiques des acteurs. Les particularités
suivantes peuvent lui être attribuées pour soutenir son statut
idéologique.
a) Objet
Le « mai-maisme » a pour objet le nationalisme et
l'égalité. Le nationalisme signifie, ici, la valorisation de la
Nation, de l'Etat comme un acquis qu'il faut protéger à tout prix
contre toute menace extérieure ou tout pouvoir arbitraire. Cela justifie
ainsi le patriotisme comme principe du « mai-maisme ».
L'égalité signifie la répartition équitable des
ressources nationales et la participation de tous à la gestion de la
société. Le « mai-maisme >> actuel fait une rupture
avec les anciennes rebellions
89 P. ANSART, Les Idéologies
politiques, Paris, P.U.F., 1974, p. 14.
dont il est l'émanation du fait qu'il s'oppose à
tout impérialisme extérieur, et défend
l'égalité en faveur des masses rurales isolées et
abandonnées par le pouvoir politique. Les mouvements de
résistance contactés se réclament suivre les idées
politiques de personnalités historiques et idéologies suivantes :
Lumumba ( héros de l'indépendance du Congo), Alvaro
1er et 2ème, Sina Nguvu ( opposition à la
pénétration portugaise dans le Royaume Congo et à la
traite des noirs), MAU-MAU du Kenya, Simon Kimbangu, Bushiri du mouvement
Kitawala. Notons que 7 chefs militaires ont déclaré
incarné les idées de Laurent-Désiré Kabila tout en
les situant dans le prolongement de Lumumba.
Cet objet est transmis lors de la socialisation,
précisément dans les enseignements sur les grandes figures de la
résistance africaine contre la domination de l'Occident, les chansons
révolutionnaires dont voici un extrait :
Congo niya wa congomani
Congo niya wa congomani
Tu ungane wote kwaku gomboa inchi yetu
Ogopa Mungu ni mwanzo wa hekima
Tuna kataa unyanyasi na uvamizi wowote
b) Valeurs
Le « mai-maisme » prône certaines valeurs,
notamment : la nation, l'égalité, la justice, le respect des
traditions, la démocratie. L'idéologie mai-mai milite pour
l'unité de tous les congolais. Il met l'accent sur
l'égalité des chances, c'est-à-dire la prise en compte de
toutes les couches sociales dans la planification nationale et le traitement
équitable devant la loi. La valeur de la justice insiste sur le partage
équitable des ressources sans discrimination. Le respect des traditions
et le recours aux valeurs traditionnelles pour la construction d'un Etat fort.
Ainsi, un accent particulier est accordé aux religions traditionnelles.
La
démocratie implique la participation de tous les citoyens
à la gestion de la société.
c) But
Le but poursuivi par l'idéologie mai-mai est
d'empêcher toute action de domination des populations congolaises.
L'élimination des groupes ethniques n'a pas été
vérifiée pour le cas du Sud-Kivu comme but des mouvements de
résistance. C'est plutôt le conflit à caractère
foncier et/ou politique qui à plusieurs circonstances, a poussé
les communautés des territoires de Fizi et d'Uvira dans la lutte ouverte
en se servant des mouvements de résistance.
d) Moyens d'action
Le « mai-maisme » prône la lutte armée
comme mode d'expression. Tous les mouvements de résistance actuels ont
choisi la voie de la violence, la lutte armée comme moyen d'action pour
atteindre leur but.
e) Ressources
Deux types de ressources ont été
identifiés dans l'idéologie mai-mai : les ressources symboliques
ainsi que les ressources humaines et matérielles.
- Ressources symboliques
Les ressources symboliques sont constituées de tous les
idéaux culturels mis en évidence par le « mai-maisme »
pour se donner une identité propre et mobiliser l'adhésion. Parmi
les symboles, l'on note les pratiques magico-religieuses et la notion. Il
convient de souligner que les moyens symboliques sont les points forts de
l'idéologie mai-mai.
- Ressources matérielles et humaines
Comme indiqué au premier chapitre, l'idéologie
mai-mai a utilisé les moyens matériels et humains. Si les
ressources humaines ont dans une certaine mesure été importantes,
il n'en a pas été autant pour les ressources matérielles
et financières qui, par contre, sont faibles par rapport au but
poursuivi.
- Stratégies
Les stratégies d'action qui se profilent au sein du
« maimaisme » sont, d'une part, la socialisation partisane à
travers les rites, les chansons, les enseignements ; la voie médiatique
ainsi que la préparation militaire par les exercices aux combats ; et
d'autre part, l'occupation politico-militaire des espaces par la lutte
armée.
- Portée
Le « mai-maisme » est une idéologie à
portée nationale. Elle s'adresse à la société
congolaise et relève, de ce fait, des idéologies nationales selon
la classification du sociologue Guy Rocher.
2° Nature du « mai-maisme »
L'idéologie mai-mai est essentiellement politique. Ses
idées fondamentales constituent une vision sur les fonctions de l'Etat,
précisément sa mission régalienne et ses fonctions
sociales, économiques. A ce titre, elle s'oppose à toute attitude
passive de l'Etat devant une menace extérieure d'une part, et aux
inégalités sociales et politiques des sociétés
rurales, d'autre part.
Partant de ces caractéristiques du "mai-maisme" et au
regard des observations empiriques, nous pouvons dégager les forces et
les faiblesses de l'idéologie mai-mai.
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