109 3.2. ACTIONS PROTESTATAIRES ET REVENDICATRICES
DES
MOUVEMENTS DE RESISTANCE
Le phénomène de mouvements de résistance
s'est manifesté aussi à travers des actions posées par les
acteurs impliqués, et exprimant ainsi la dimension praxéologique
de toute idéologie. C'est dans ce sens que Guy Rocher affirme que
l'idéologie a une fonction conative, elle pousse ou incite une
collectivité à l'action, ou du moins dirige celle-ci en
fournissant des buts et des moyens. Les actions retenues dans cette
étude après les recherche empiriques sont à la fois
d'ordre militaire et politico-administratif.
3.2.1. Opérations militaires et actes de
violation des droits de l'homme
1° Opération militaires
- Combats contre les autres forces
Les 14 chefs de mouvements de résistance
rencontrés ont reconnu l'engagement permanent de leurs troupes dans des
combats armés contre soit les forces militaires
étrangères, soit les forces rebelles, soit les forces
armées régulières, soit les milices
étrangères (F.D.L.R., Interahamwe, F.D.D., FNL,...), soit les
forces militaires d'autres mouvements de résistance.
Les opérations militaires effectuées
s'inscrivent dans le cadre de l'offensive ou la contre offensive dont la
finalité est de conquérir des espaces ou de protéger le
territoire déjà conquis contre les menaces de toute autre force.
D'autres opérations militaires ont visé à mette hors
d'état de nuire les groupes armés étrangères en
activité sur le territoire congolais (F.D.L.R., Interahamwe, F.D.D.,
PASTAS) semant la terreur au
sein des populations par des actes de viol, vol, tuerie,
déportation, tortures, etc.
Outre les chefs militaires interrogés, 48
ex-combattants ont confirmée trois sources d'armement des mouvements de
résistance, à savoir : l'approvisionnement par le gouvernement,
la récupération des armes abandonnées par l'ennemi vaincu
au combat, le don ou l'achat d'armes auprès d'autres groupes
armés (nationaux ou étrangers). En effet, les mouvements de
résistance en lutte contre la rébellion menée par le
R.C.D. ont bénéficié d'un appui en armement de la part du
Gouvernement congolais dans le but d'anéantir la progression de celui-ci
à en croire les chefs militaires interrogés. Tous les mouvements
de résistance sur lesquels portent notre étude n'ont pas
reçu les armes du Gouvernement car nombreux n'existaient pas encore.
Toutefois, leurs chefs militaires, à l'exception de celui du mouvement
de résistance Raia Mutomboki faisaient partie de
précédents mouvements de résistance. Les dons et achats
auprès des groupes armés étrangères ou nationaux
prouvent l'existence de la collaboration entre tous les groupes armés
opérationnels. Il faut noter qu'en dépit des
intérêts particuliers à chaque groupe armé au
Sud-Kivu, il y avait un ennemi commun, la rébellion du R.C.D. et son
allié principal, le Rwanda. Ce qui a justifié des coalitions en
cas d'attaques par l'ennemi commun.
- Violences interethniques ou tribales
Certains mouvements de résistance ont participé
activement dans les conflits interethniques au Sud-Kivu. Car leur existence se
justifierait notamment par la protection des groupes ethniques. Tous les
groupes mai-mai de territoires de Fizi et d'Uvira ont participé dans les
violences ethniques au motif de protéger leurs communautés.
Dans les deux territoires ci-haut citées, quatre
groupes ethniques sont en conflit fondé sur l'occupation de l'espace :
Bavira, Bafulero, Bubembe et Banyamulenge. Ces derniers sont
considérés par la
mémoire collective de trois autres groupes comme des
<< envahisseurs », des << étrangers » dont les
droits sur les terres qu'ils occupent seraient ambigües, et partant non
acquis.
Par ailleurs, le soutien en hommes de troupes apporté
par le groupe éthique Banyamulenge aux rebellions de l'A.F.D.L. puis du
R.C.D., l'occupation forcée de certaines fonctions administratives,
politiques et militaires, ainsi que les comportements jugés de <<
représailles », d'« humiliation », de <<
conquête » ou de << torture » ont développé
une attitude de xénophobie des autres groupes ethniques de la Province
du Sud-Kivu envers les banyamulenge.
Cette attitude de rejet mutuel et de conflit est encore
présente jusqu'à ce jour tant dans la pensée collective
que dans les luttes interethniques où les mouvements de
résistance sont engagés. En date du ..., notre séjour
à Lemera en territoire d'Uvira pour raison d'enquête a
été écourté à la suite des combats apposant
le mouvement de résistance N'yikiriba aux forces de F.R.F. à
cause d'une partie des terres ancestrales de la chefferie de Bufulero dont les
Banyamulenge voudraient s'approprier à en croire le chef de
localité de Kigwena-Rubanga en groupement de Lemera, Collectivité
de Bafuliro.
2° Actes de violation des droits de l'homme
Nous ne saurions identifier les actes de violation des droits
de l'homme retenus particulièrement à charge des mouvements de
résistance dans les zones à forte présence des groupes
armées. Les statistiques que nous avancerons dans l'argumentaire ne
concernent pas exclusivement les mouvements de résistance
étudiés mais plutôt toutes les forces militaires en
présence. Cette analyse globalisante tient au fait que tous les chefs
des mouvements de résistance interrogés ainsi que les
autorités coutumières et notables ruraux ont
déploré plusieurs actes de violation
des droits de l'homme de la part des mouvements de
résistance sans spécifier ni les quantifier.
- Tueries et massacres
Dans les zones occupées par les mouvements de
résistance il a été déploré plusieurs cas
des tueries et massacres soit commis par eux-mêmes, soit à la
suite des combats avec d'autres groupes armés. D'autres
éléments dits incontrôlés des mouvements de
résistance ont été impliqués dans les tueries dans
certains villages à la suite de la résistance ou vigilance des
populations pendant une opération de vol ou de viol, d'un
règlement de compte pour un conflit foncier ou un conflit matrimonial
(opposition autour de la dot ou du divorce). Les 34 autorités
coutumières ont confirmé ce fait tout en les attribuant aux
éléments isolés et aux mouvements de résistance
comme structure. Il y a eu des victimes connus et inconnus dans les villages
occupés.
Citant la chefferie de Burhinyi, la monographie de Zihalirwa
Nkubafire dénombre 82 cas de tueries et massacres des populations dans
ladite chefferie pour le seul mois de mars 1999. Nous avons trouvé
également d'autres chiffres avancés par Mwetaminwa Wangachumo
(82) dans son mémoire de licence en citant plusieurs sources.
Nous pouvons retenir :
- Janvier et février 1999 : enlèvement des civils
à Burhale, Mushinga, Lubone et Mulangba.
- 01-03 janvier 1999 : 28 personnes tuées dans la
chefferie de Ngweshe
82 MWETAMINWA MWANGACHUMO, les guerres
armées comme moyen de changement de régime politique en RDC :
Analyses des crises politiques et les événements
subséquents. De 1996-2004, Mémoire, FSSPA, UOB, 2003-2004, pp
101-107.
- 17 mars 1999 : 146 personnes tuées à Budaha dans
la chefferie de Burhinyi.
- 24/08/1998 : 451 personnes tuées à Kasika dans le
territoire de Mwenga
- En 1999 : 818 personnes tuées à Fizi.
Les mouvements de résistance ont fait
l'enrôlement des enfants. Une étude publiée par La
coalition pour mettre fin à l'utilisation d'enfants a
révélé que tous les rapports des experts de Nations Unies
font état de l'enrôlement des enfants, y compris les filles, par
les groupes armés maimai.83
- Extorsions, vols et viols
Plusieurs cas de vol sont déclarés par les
autorités coutumières contres les mouvements de
résistance. Il s'agit des extorsions des bétails et volailles,
des produits alimentaires voire manufacturés, des habits et ustensiles
de cuisine, etc. Ces cas d'extorsion ont appauvri les milieux ruraux
occupés par les mouvements de résistance, et ont
découragé les paysans aux activités agricoles. Par
conséquent, plusieurs villages ont connu la rareté des produits
agricoles ne fût-ce que pour la sécurité alimentaire
locale. Alors que les autorités coutumières ont parlé des
vols destructeurs, les chefs des mouvements de résistance ont reconnu le
fait en le qualifiant de « extorsion par nécessité ».
Deux de quatorze chefs des mouvements de résistance ont estimé
qu'il s'agit plutôt d'une auto rétribution pour le rôle de
protection des populations et de défense du territoire national. Des
propos contradictoires émaillent les déclarations fournies par
les chefs des mouvements de résistance, et poussent à affirmer
que les vols sont
83 COALITION POUR METTRE FIN A L'UTILISATION D'ENFANTS
SOLDATS, Le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats par les Mai-Mai
: une pratique profondément ancrée et persistante,
Février 2010.
réellement le fait du groupe et non des individus
isolés et incontrôlés. En effet, la rupture entre les
interdits (y compris celui le vol) et le vol par nécessité
justifié par les communautés et les chefs des mouvements de
résistance est révélatrice de cette contradiction.
S'agissant des viols, les autorités coutumières,
les chefs des mouvements de résistance comme les ex-combattants
reconnaissent l'existence desdits actes en les minimisant d'une part, et en les
attribuant sans ambages aux éléments incontrôlés. Le
viol est considéré par les mouvements de résistance comme
une violation flagrante des interdits. Selon leur schème de
pensée, tout auteur du viol doit mourir au front ou dans toute autre
circonstance non élucidée suite à la « colère
des ancêtres ». La philosophie des mouvements de résistance
nourrie des représentations traditionnelles sur la femme,
considère cette dernière comme pourvoyeuse de malheur et source
d'anéantissement de la force mystique protectrice. En dépit de
rejet institutionnel du viol par les mouvements de résistance, la
communauté internationale à travers les ONG internationales et
locales, le gouvernement de la R.D Congo retiennent la Province du Sud-Kivu
parmi celles les plus touchées par le phénomène de viol.
Les mouvements de résistance sont cités par plusieurs
organisations des droits de l'homme comme un des auteurs des actes de viol. Les
statistiques avancées sont trop parlantes. En effet, en 2007 et 2009 il
a été dénombré respectivement 2773 et 2980 cas de
viols au Sud-Kivu selon OCHA84. Dans une étude menée
en 2004 sur le viol au Sud-Kivu, nous avons démontré la
gravité de ces actes et leurs impacts psychologiques et culturels sur
les populations victimes. Les enquêtes empiriques ont relevé que
les groupes armés mai-mai font partie des auteurs des viols. Ces
derniers sont en définitive un élément perturbateur de
l'équilibre familial et de la culture tout
entière(85).
84 www .populationdata.net
85 P. KAGAGANDA MULUME-ODERHWA « Violences
sexuelles envers la femme et instabilité de la famille en période
de guerre en R.D.C. » in Analyses Sociales, vol IX, numéro
unique, Janvier-Décembre 2004, p. 149.
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