3.1.2. Axe politico-historique
L'axe politico-historique permet de retenir des variables
suivantes : l'effondrement de l'Etat, l'éclosion des survivances
révolutionnaires, le pouvoir politico-militaire.
10 L'effondrement de l'Etat congolais
L'affaiblissement de l'Etat congolais à la suite d'une
mauvaise gouvernance s'est matérialisé dans l'incapacité
de celui-ci à apporter des réponses aux problèmes de la
société et à assurer le fonctionnement normal des
institutions. En plus d'une crise idéologique
remarquable, il a été noté les
conséquences suivantes : la dégradation sensible de conditions de
vie des populations, la corruption, la concussion, le détournement au
sein des institutions politiques et de l'administration publique, la
détérioration des infrastructures socio-économiques de
base, le chômage élevé, etc.
Les débâcles successifs des forces armées
nationales devant les forces militaires rebelles et leurs alliés entre
les années 1996-2000 ont permis aux mouvements de résistance
à se manifester comme forces de << sécurisation » des
populations et de << défense » de l'intégrité
territoriale.
Dans l'ouvrage Effondrement de l'Etat
(72), le concept de l'effondrement de l'Etat est d'une richesse
heuristique certaine. L'accent est mis sur l'incapacité de l'Etat
à accomplir ses fonctions. L'Etat repose sur trois fonctions à
savoir : l'Etat est autorité souveraine, il est une institution ; il est
le garant de la sécurité d'un territoire et de sa population. Les
indicateurs de l'effondrement de l'Etat sont ainsi exprimés dans les
considérations ci-dessous :
«Si l'Etat s'effondre, c'est qu'il ne s'acquitte plus de
ses fonctions de base qu'il doit remplir telles qu'elles sont analysées
dans les diverses théories. Les centre de décision du
gouvernement est paralysé et impuissant ; on ne légifère
plus, l'ordre n'est plus maintenu et la cohésion sociale se rel~che
(...). L'Etat symbole d'identité n'est plus capable de conférer
un nom à ses populations, non plus qu'un sens à l'action de la
société (...). Son territoire ne jouit plus de la
sécurité et des approvisionnements nécessaires qu'une
organisation centrale souveraine doit normalement lui assurer (...).
Institution politique dotée
72 y. ZARTMAN, Effondrement de l'Etat,
d'autorité, il a perdu sa légitimité qui
est en quelque sorte mise à l'écran ; il a donc perdu le droit
d'ordonner et de conduire les affaires publiques (...). Système
d'organisation socioéconomique, son équilibre d'échange et
de production est anéanti ; les populations ne le soutiennent plus, il
n'a plus de pouvoir sur elles et n'est plus capables de leur apporter quoi que
ce soit. Incapable de fonctionner, ne possédant plus aucune source de
légitimité, qu'elle soit traditionnelle, charismatique, ou
institutionnelle, il n'a plus le droit de gouverner » (73).
Il précise aussi que
« D'une part, l'effondrement de l'Etat est une rupture du
bon gouvernement, de la loi et de l'ordre. Entité responsable de la
prise de décisions, de leur application et de leur exécution,
l'Etat n'est plus en mesure de décider, ni de faire respecter ses
commandements. L'effondrement de la société, d'autre part
constitue une rupture totale de l'harmonie sociale ; génératrice
des institutions de cohésion et de maintenir, elle ne sait plus
créer, rassembler ni exprimer les soutiens et les demandes qui forment
les fondements de l'Etat (...). Ce sont là deux aspects de la
décomposition ; à eux deux, ils se brisent les liens et les
imbrications entre l'Etat et la société. L'échange normale
de demandes et de réponses s'atrophie ; les processus politiques de
légitimation populaire sont écartés ou
détournés ; la vie politique et l'économique se
rétrécit, se localise ; enfin, le centre s'éloigne des
rouages de la société » (74).
Les faiblesses de l'Etat congolais s'étaient
avérées particulièrement criantes et ce, dans tous les
domaines. En 2007, nous avons analysé les forces et faiblesses de seize
Gouvernements de transition en R.D.C entre 1990-1997. On peut lire dans la
conclusion ce qui suit :
<< (...) l'on est loin de retrouver une action
gouvernementale tendant à instaurer une culture politique
démocratique et à consolider l'économie nationale, et
partant, améliorer les conditions de vie des citoyens. Il s'était
plutôt observé une instabilité politique et
institutionnelle permanente délibérément entretenue par
les acteurs politiques laissant libre cour à l'effondrement de l'Etat.
>>(75).
Devant cet effritement de la mission régalienne de
l'Etat, les
mouvements de résistance ont assuré à des
communautés locales ou
tribales la sécurité des personnes et de leurs
biens, substituant ainsi à
l'Etat dans un contexte crisique que G. Muheme présente
comme suit : << A nouveau, le mois d'ao~t 1998, la révolte dite
des Rwandais-Banyamulenge a fait de Bukavu le lieu par
excellence des revendications tutsi sur l'appartenance aux ethnies du
Congo(...). Il va falloir attendre dix mois d'occupation avant que le Rwanda ne
reconnaisse sa présence militaire au Kivu a déclaré, un
mois après l'Ouganda, un cessezle-feu le vendredi 28 mai 1999, à
minuit. L'intention ne se concrétisera pas. (...)
>>(76).
75 P. KAGANDA MULUME-ODERHWA, « Evaluation
critique du rôle des Gouvernements de la transition dans le
développement politique et économique de la R.D.C.( 1990-1997) in
Analyses Sociales, vol.X, numéro unique, Octobre 2007, p.
67.
76 G. MUHEME, Op. Cit., p. 8.
Outre le rôle militaire, les mouvements de
résistance ont réussi une orientation idéologique des
populations se trouvant sous administration des rebelles-qualifiés de
"traitres"- et leurs alliés-qualifiés d'envahisseurs- Ils ont,
avec l'appui de la société civile, réussi à
véhiculer le patriotisme, le nationalisme dont ils étaient le
porte-étendard pendant la période de guerre.
Les fonctions militaire et idéologique ont
été accomplies avec beaucoup des limites et déviations.
Elles ont changé la cible après les années 2000 en
s'opposant aux institutions politiques en place. Par ce fait, les mouvements de
résistance venaient de modifier leur but et s'ouvrir aux ambitions
politiques dans le système politique national.
2° Eclosion des survivances historiques
révolutionnaires et conflictuelles
Les représentations de mouvements de résistance
au SudKivu sont aussi fondées sur les survivances
révolutionnaires de premières rebellions décrites dans le
chapitre précédent. Pour le cas du Sud-Kivu, il s'agit de la
rébellion muleliste qui a laissé des traces idéologiques
dans le territoire de Fizi et d'Uvira, dont se servira Laurent
Désiré Kabila pour mobiliser les gens à adhérer
dans son mouvement rebelle en 1996. Cet acquis historique a poussé tous
les autres mouvements de résistance formés à Bunyakiri,
Kabare, Walungu, Mwenga, Uvira à garder le commandement
général à Fizi pour coordonner les activités
militaires contre la rebellions du RCD en appui au Gouvernement de
Laurent-Désiré Kabila et de son successeur, Joseph Kabila. A
l'exception de Fizi et dans une moindre mesure Uvira, toutes les autres
contrées de la Province du Sud-Kivu ont connu le phénomène
de résistance vers les années 1997.
terres entre certains peuples du Sud-Kivu (alors organisations
politiques traditionnelles) et les banyarwanda (peuple rwandais de
l'époque). C'est ce qu'on peut lire dans certains ouvrages ou la
tradition orale (expressions, épopées, chansons, etc.). Par
exemple, la tradition orale shi (à travers les épopées,
légendes) enseigne aux jeunes générations les guerres
traditionnelles qui ont opposé les Bashi aux Banyarwanda, et les
invitent à pus de vigilance car ces dernies représentent toujours
un danger. Cette pensée peut être trouvée dans le
956ème provrbe retenu
par Kagaragu en ces termes : « Eyonera Omuhanya, e Rwanda
ehubuka ». elle se traduit en français « la
vache qui ravage le champ du malheureux vient du Rwanda », et
s'interprète que la malchance atteint toujours le malheureux, même
quand elle vient de loin77.
Dans le même ordre d'idées, on peut lire dans les
lignes proposées par Paul Masson ce qui suit :
« Malgré les nombreuses dissensions
intérieures qui minaient la vie politique des descendants de
KabareKaganda établis au Bushi, les Rwanda (sic.), pourtant brillants
soldats, ne purent se (sic.) les soumettre. Les invasions et inflitrations(sic)
furent innombrables, surtout s'il faut compter toutes les razzias et
expéditions de brigandage que les Watutsi opéraient sur la rive
ouest. Jamais cependant, le pays ne fut entièrement conquis. Les Bashi
retrouvaient toujours, au milieu de leurs disputes de famille ou des
misérables famines, la solidarité nécessaire pour
repousser les voisins belliqueux qui convoitaient leurs champs et
pâturages. On peut même presque dire que, au cours des derniers
règnes, cette solidarité devint un véritable sens
national.
Quelques fois occupé, souvent défait par le Rwanda,
le Bushi ne fut jamais soumis»(78).
77 KAGARAGU NTABAZA, Emigani Bali Bantu Proverbes
et maximes des Bashi, 4èmé éd., Bukavu, Libreza,
1984, p. 123.
78 P. MASSON, Trois siècles chez les
Bashi, 2ème édition, Bukavu, La Presse
congolaise, 1966, p.102.
3° Le pouvoir politico-militaire
Le pouvoir politique et le pouvoir militaire constituent aussi
le fondement des idées dans les mouvements de résistance. La
direction politique ou le commandement militaire au sein des M.R a amené
certains acteurs à pouvoir gouverner certaines entités rurales
sur les plans administratif, économique, militaire. Les processus de
réunification entamés à l'issue de l'Accord global et
inclusif a permis à certains dirigeants politiques et militaires
d'améliorer leurs statuts sociaux dans la structuration sociale
nationale, notamment au sein des institutions politiques nationales et de
l'armée nationale régulière.
A titre exemplatif, nous relevons quelques postes
occupés par certains leaders des mouvements de résistance au
Sud-Kivu au sein des institutions politiques de la transition.
Tableau n° 8 : Représentation des mouvements de
résistance au sein des institutions politiques et d'appui à la
Démocratie
Institutions
|
Postes
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Nombre
|
Gouvernement
|
- Ministre de développement rural
- Ministre de l'agriculture
|
1
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|
- Vice Ministre aux transports et
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|
communication
|
1
|
|
- Vice ministre au travail et
|
|
|
prévoyance sociale
|
1
|
|
- Ministre de l'Economie
|
1
|
Commission vérité
et réconciliation
|
2e rapporteur
|
1
|
Commission
|
1er rapporteur
|
1
|
Electorale indépendance
|
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A ces rangs et fonctions politiques s'ajoutent des grades
militaires comme le grade de général attribué à
certains chefs miliciens principalement à Bunyakiri et à Fizi.
Nous citons les généraux Padiri Bulenda, Lwecha, Dunia, etc.
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