Mouvements de résistance et culture politique au Sud-Kivu. Mise en évidence des fondements idéologiques et des actions revendicatrices.( Télécharger le fichier original )par Philippe KAGANDA MULUME-ODERHWA Université officielle de Bukavu - Diplôme d'études supérieures en sociologie politique 2009 |
CONCLUSIONLes mouvements de résistance au Sud-Kivu ont évolué. Ils tirent leur origine à la fois du contexte historique et conjoncturel marqué par les conflits à caractère politique et/ou ethnique. En fait, leur existence semble avoir été influencée par les crises sociales (conflits entre groupes ethniques) et les crises politiques (guerres entre la R.D.C. (ex Zaïre) et le Rwanda, rebellions internes : A.F.D.L. et R.C.D.) ainsi que l'incapacité de l'Etat congolais à garantir l'intérêt général et l'autorité de l'Etat. Ces mouvements de résistance ont exercé leur pouvoir politique et militaire dans plusieurs zones ou entités de la province du Sud-Kivu grâce à diverses ressources matérielles, humaines, financières et symboliques appuyées par des stratégies. 88
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Catégories |
Fréquences |
% |
Protection du territoire |
90 |
100 |
Protection des valeurs |
10 |
11,1 |
Recherche de la liberté et du bonheur |
50 |
55,5 |
Lutte contre l'injustice |
25 |
27,7 |
Ce tableau indique les fréquences des catégories qui fondent le choix d'adhérer dans un mouvement de résistance. Les interviews ayant été semi-directives, les sujets enquêtés exprimaient plusieurs raisons. Tous les sujets engagés directement dans les mouvements de résistance ont justifié leur présence par la défense du territoire. Dans le même ordre d'idées, ils ont parlé de la recherche de la liberté et du bonheur (55,5 %) suivie de la lutte contre l'injustice (27,7 %) et la protection des valeurs traditionnelles (11,1 %).
1° Protection du territoire
Les groupes humains comme les individus qui les composent se définissent par rapport à leurs terres, créant ainsi des liens mythiques et ontologiques. La terre joue à la fois le rôle identitaire et le substantiel.
Les mouvements de résistance au Sud-Kivu se sont illustrés pendant la période où les troupes étrangères du Rwanda, du Burundi et de l'Ouganda ont envahi le territoire congolais. Leur présence dans plusieurs villages ainsi que les discours de recolonisation, pillages des ressources, annexion, balkanisation, domination ont entrainé une psychose au sein des communautés, et en même temps, incité à l'auto-défense.
Le sentiment d' « envahisseur » ou de « pillard » a été développé entre communautés paysannes locales. En effet, les communautés ethniques ou claniques dont les éléments armés opéraient sur les terres des communautés rurales voisines étaient suspectées d'ambition expansionniste ou de domination. Ce climat de méfiance justifie en partie la création des mouvements de résistance dans plusieurs chefferies de la Province du Sud-Kivu.
A titre illustratif, la présence des « Katuku » venus du Nord-Kivu a conduit à la création de Mai-mai de Bunyakiri ; celle de Mai-mai Zabuloni a poussé les Bafulero et Bavira à créer le groupe Mai-mai Yakulumba ; celle du groupe Mai-mai de Bunyakiri a conduit à la formation des groupes Mudundu 40 à Walungu et Kabare, Simba Mai Mai à Kabare, Mai Mai Shikito à Mwenga, Raiya Mutomboki à shabunda, etc. Toutefois, ces mouvements de résistance étaient solidaires en cas d'attaques venues des troupes étrangères.
La territorialité exprimée ici se limite aux terres ethniques, claniques voire familiales et non à l'ensemble du territoire national. Les périmètres protégés sont souvent délimités en fonction des critères culturels et non géopolitiques.
2° Recherche de la liberté et du bonheur
La présence non désirée des troupes étrangères sur le territoire congolais a enfreint sur la liberté des citoyens (70). Les soumissions doublées des traitements dégradants et inhumains infligés aux populations par celles-ci traduisent l'absence de la liberté dans les contrées occupées par les forces rebelles occupantes avec leurs alliés. Il
70 Dans le sens philosophie, la liberté est la faculté d'agir selon la volonté en fonction des moyens dont on dispose sans ttre entravé par le pouvoir d'autrui. Dans le même prolongement, le sens politique la considère comme l'état d'une personne ou d'un peuple qui ne subit pas de contraintes, de soumission, de servitudes exercées par une autre personne, par un pouvoir tyrannique ou par une puissance étrangère. La liberté est une valeur abstraite et normative de l'action humaine et une réalité concrète et vécue.
www.toupie.org/dictionnaire/liberte.htm du 05/03/2010
A.LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 14e éd, Paris, P.U.F., 1983, pp.558-567.
en est de même des autres groupes armés étrangers (Interahamwe, FDLR, Rastas, ...) ou nationaux (Mai-mai), tous qualifiés de « forces négatives » par le langage politique. Les témoignages enregistrés auprès des sujets enquêtés relèvent concrètement des faits suivants : travaux forcés (transport sur la tête ou au dos des armes et munitions, vivres et autres objets) la torture, l'exploitation sexuelle des mineurs, tueries, l'obligation des tributs, barricades,...
La notion de bonheur telle qu'exprimée par les enquêtés est sémantiquement inopérante d'autant plus qu'elle ne signifie pas « un état de satisfaction complète de toute les tendances humaines » (71) mais plutôt réjouissance (« raha » en swahili).
Le taux considérable (55,5 %) d'expression de cette catégorie confirme également la prédominance d'un pressentiment de domination, de soumission, d'inhibition de la liberté et les activités expressives de la vie du groupe social (mariage, rites divers, etc.).
3° Lutte contre l'injustice
Cette variable comprend deux volets : juridique et politique. Le premier fait allusion aux actes d'injustice, de violation des droits de l'homme évoqués précédemment, et qui sont consécutifs à l'état d'occupation militaire, de soumission. Le second réfère aux insatisfactions enregistrés à l'issue du premier processus de réunification de l'armée nationale après l'Accord Global et Inclusif de décembre 2001.
D'une part, certains anciens chefs militaires Mai-mai n'ont pas été satisfaits des grades militaires leur attribués au sein de Forces Armées de la RDC. D'autre part, nombreux militaires ont déserté les lieux d'affectation après le brassage. Les sujets interrogés ont avancé le motif de non payement de leurs soldes et la non intégration réelle. A cet effet,
71 P. FOULQUIER, Dictionnaire de la langue philosophie, Paris, P.U.F., 1969, p.74.
nombre d'éléments insatisfaits sont retournés dans leurs villages et entités d'origine pour réorganiser les troupes et reprendre les activités militaires. Il s'agit, en fait, d'une guerre contre le système national et non les troupes étrangères dont la présence n'était plus effective au Congo après la « réunification » du pays, corolaire de l'Accord Global et Inclusif. La reprise des activités militaires par les mouvements de résistance Mudundu 40, Simba Mai-mai, Mai-mai shikito, Mai-mai Kapopo tire sa source dans ce motif essentiellement subjectif.
40 La protection des valeurs culturelles
Un taux relativement faible de sujets d'enquête ont inscrit la protection des valeurs culturelles comme soubassement de leur idéologie. En effet, les troupes étrangères, particulièrement celles rwandaises ont, à leur entrée sur le territoire congolais, détruit les sièges traditionnels des autorités coutumières en brûlant et en profanant des symboles traditionnels. La plupart de chefs coutumiers (Bami) ont été contraints au déplacement vers des villes du pays ou à l'étranger fuyant les menaces et exactions.