2. Contexte et état de la question
La littérature scientifique sur les mouvements de
résistance et leurs idéologies est moins abondante. La production
de ce phénomène dans la forme actuelle a été
sujette à des interprétations scientifiques
diverses. Cependant, nombreuses études n'ont pas encore
été menées (du moins au Sud-Kivu) sur ce
phénomène au point d'analyser les aspects fondamentaux, et
dégager, si nécessaire, des lois sociales qui en
découlent.
Dans leur manifestation concrète, les mouvements de
résistance se présentent comme des acteurs sur la scène
politique nationale et locale en quête de la transformation sociale. Leur
existence a progressivement entrainé des mutations dans les structures
des sociétés concernées tant du point de vue des
schèmes conceptuels que de celui des actions visibles. Les processus
sociaux engagés pour la stabilisation du pays obligent les mouvements de
résistance à construire des nouvelles rationalités qui
tiennent compte leur intégration dans la société
nationale, et partant abandonner leur idéologie. Des
considérations idéologiques sur les mouvements de
résistance nées d'une transposition de la pensée
scientifique occidentale confèrent auxdits mouvements de
résistance un statut marginal sinon un rôle perturbateur de
l'équilibre social et de l'ordre politique établi. En
dépit des initiatives nationales et des représentations
idéologiques, les mouvements de résistance existent soit en
latence soit de manière manifeste en tant que système de
pensées ou d'idées.
C'est dans ce contexte d'insuffisance des recherches
scientifiques sur les idées-forces des mouvements de résistances,
et d'émergence des discours idéologiques d'approbation ou de
désapprobation que nous voulons expliquer ce phénomène
dans une approche anthropo-sociologique. Il sera question de produire une
connaissance scientifique en opérant une rupture entre les discours
idéologique et les discours scientifiques. Une telle entreprise
recommande comme préalable la maîtrise de la position actuelle du
problème par la recension des recherches antérieures étant
donné que cette recherche couvre la période de 1996-2009.
Avant d'opérer un élargissement théorique
aux hypothèses émises par Alain Touraine et Muncur Olson sur
respectivement les mouvements sociaux et les actions collectives, il nous a
paru nécessaire de faire mention de quelques études
appliquées traitant sur le phénomène de mouvement de
résistance.
Dans sa thèse de doctorat, Jérôme Lafargue
(1) a analysé les mobilisations collectives et les actions
protestataires dans un contexte de démocratisation. Grace à
l'approche comparative, il a étudié les exemples Kenyan et
zambien. Il a essentiellement focalisé son attention sur les motivations
qui animent les acteurs du système d'action protestataire ainsi que les
représentations qui les traversent. En plus, il a démontré
comment dans les deux cas, les logiques factuelles et patrimoniales l'auraient
importé sous couvert d'un multipartisme en trompe-l'oeil. Situé
dans des processus de démocratisation, les contestations
manifestées ont combiné les dimensions stratégiques et
symbolico-cognitive. La protestation répressive a été plus
observée au Kenya qu'en Zambie tel qu'on peut le lire dans le tableau
des caractéristiques principales des systèmes d'action
protestataire Kenyan et zambien.
La différence des enquêtés dans les deux
exemples suite à la répression au Kenya pendant les recherches
est une limite méthodologique qui se dégage. Par ailleurs, le
tableau des caractéristiques fait ressortir des éléments
comparatifs sans dégager, en définitive, les variables
particulières et communes.
Kabuya Lumuna (2) a mené une étude
sur les idéologies zaïroises. Il a démontré que
celles-ci manipulent la tribu pour capturer les adhérents d'une part, et
cristallise le tribalisme pour en faire une
1 J. LAFARGUE, Mobilisations collectives,
démocratisation et système
OfElftIRClSLRNTtEtEILIl$CElyTIllfRPSELél des exemples Kenyan et zambien,
Thèse de Doctorat en science politique, Faculté de Droit,
G11( FRnRPI} }tNG}llf }stERQ EUQ3}134 G}13 au }EG}s 3
D VG} l'AGRNET11117
2 KABUYA LUMONA, Idéologies zaïroises
et tribalisme (Révolution paradoxale), Thèse de doctorat,
U.C.L, 1985.
ressource nécessaire dans l'espace public. Il a
analysé les idéologies qui ont prévalu à la veille
et au début de l'indépendance du Zaïre qui, à cause
du tribalisme ont conduit à des révolutions sans projet de
formation d'un Etat indépendant fort pour succéder à
l'Etat colonial.
Dans son mémoire de DES, Amuri Misako (3) a
étudié les milices mai-mai du Maniema comme mode de participation
politique à partir de la mise en relation entre le niveau
d'intégration socioéconomique et le niveau d'intégration
politique, entre la pauvreté et le besoin de participation politique,
entre la violence et l'existence politique chez les masses rurales dont
relèvent les milices mai-mai. Après un riche travail
herméneutique ayant abouti au constat que le phénomène est
peu étudié au Maniema, il révèle dans son analyse
dialectique que le déclin de l'Etat a favorisé la
réappropriation de la violence par des entités rurales
qualifiées sans atténuation de subordonné ou
isolé.
Ces considérations tranchées ajoutées
à celles qui attribuent aux communautés rurales la
prédisposition à faire usage de la violence pour s'affirmer ou
s'exprimer semblent contredire l'autonomie relative reconnue à chaque
système social mais aussi son insertion dans le système
global.
Quelques travaux de fin d'études réalisés
par les étudiants de la Faculté des sciences sociales, politiques
et administratives à l'université Officielle de Bukavu ont fait
partie du patrimoine herméneutique de cette étude. Il s'agit des
monographies et mémoires de licence inédits suivants :
P. MWETAMINWA WANGACHUMO, Les guerres armées comme
moyen de changement de régime politique en R.D.C : Analyse des crises
politiques et les événements subséquents de 1996-2004,
Mémoire de licence, FSSPA, UOB, 2003-2004.
3 F.D. AMURI MISAKO, Les Milices Mai-Mai au
Maniema (Août 1998- Juin 2003) : Un mode d'affirmation politique des
masses rurales ?, Mémoire de DES, UNIKIS, 2007-2008.
MWISHA FUKU, Leadership et la lutte armée au
Sud-Kivu. Etude appliquée aux Mai-Mai de Bunyakiri de 1996-2006,
Mémoire de licence, FSSPA, UOB, 2005-2006.
G. ASA WILONDJA, Militarisation et participation politique
des bembe en territoire de Fizi au Sud-Kivu, Mémoire de licence,
FSSPA, UOB, 2007-2008.
ZIHALIRWA NKUBAGIRE, Les groupes armés et la
problématique de développement de la chefferie de Burhinyi,
TFC, FSSPA, UOB, 2005- 2006.
WAKILONGO WAUBENGA, Recours aux armes comme mode de
participation politique en République Démocratique du Congo. Cas
des mai-mai de Bunyakiri 1998-2007, T.F.C, F.S.S.P.A, UOB, 2006- 2007.
Quoique limités aux entités réduites et
à portée plus descriptive, les travaux de fin ce cycle et
mémoires de licence ci-dessus contiennent des informations de terrain
sur la manifestation du phénomène mai-mai.
Sans rompre d'avec les réflexions antérieures
dont les hypothèses émises sont intéressantes, notre
étude, quant à elle, met l'accent sur les idéologies qui
guident les actions protestataires des
mouvements de résistance. Elle s'intéresse
particulièrement aux
fondements et à la nature des actions observables. Par
ailleurs,
l'approche suivie écarte des déterminismes pour
considérer les actions des acteurs ou sujets dans la lutte
contradictoire du contrôle de l'historicité. Les faits empiriques
observés sur le terrain méritent d'être
problématisés.
|