2/ Le renforcement des outils juridiques et des moyens de
répression
Longtemps dominé par le principe de la
compétence nationale, le droit de la mer interdisait aux bâtiments
de guerre d'inspecter par la force en haute mer les navires étrangers
sans le consentement de l'Etat du pavillon, hormis le cas prévu par la
CNUDM (Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer) à son
article 105, dans le cadre notamment de la lutte contre la piraterie.
Toutefois ce texte était insuffisant car les navires
pirates avaient tendance à se réfugier dans les eaux
territoriales d'Etats n'ayant pas la capacité de les y intercepter,
offrant là une impunité de fait. Il a donc fallu renforcer le
texte sur les plans universels et régional.
- sur le plan universel :
Devant la recrudescence des actes de piraterie au large de la
Somalie, le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) a
décidé, en accord avec les autorités somaliennes, de
compléter ces dispositions. La résolution 1816 du CSNU
adoptée le 2 juin 2008 permet désormais aux navires militaires
des Etats coopérant avec la Somalie de poursuivre dans ses eaux
territoriales les navires suspectés de piraterie et d'utiliser tous
moyens nécessaires pour réprimer les actes de piraterie et les
vols à main armée. Cette résolution ne tranche toutefois
pas la question de la compétence juridictionnelle, celle-ci devant
être établie au cas par cas, par la coopération entre Etats
concernés.
De plus, les compétences très larges figurant
désormais dans le droit international ne sont applicables que si elles
sont inscrites dans l'ordre juridique interne des Etats parties. Or, la plupart
des pays ne possèdent pas dans leur arsenal législatif national
d'infraction qualifiée de piraterie.
En France par exemple, l'incrimination spécifique de
piraterie figurait dans une loi du 10 avril 1825 pour la sûreté de
la navigation et du commerce maritime, qui se référait à
l'autorité royale et aux « lettres de marque ou de commissions
régulières ». Ce texte était complètement
obsolète et non conforme aux dispositions du droit international de la
mer applicables en matière de piraterie.
La loi relative à la lutte contre la piraterie et
à l'exercice des pouvoirs de police en mer, votée le 5 janvier
2011, a réintroduit la piraterie dans le droit pénal
français, en l'adaptant aux conventions internationales. Elle
crée un cadre juridique permettant la rétention à bord,
avec l'intervention d'un juge des libertés et de la détention, et
accorde aux commandants les pouvoirs d'un officier de police judiciaire. Il
reconnaît aussi aux juridictions françaises « une
compétence quasi-universelle pour juger des actes de piraterie commis
hors de France, quelle que soit la nationalité du navire ou des victimes
» quand les auteurs sont appréhendés par des militaires
ou fonctionnaires français.
Cependant la question de savoir quel est le dispositif
légal national qui permette les poursuites et le jugement des pirates
sans générer de conflits de lois applicables avec d'autres Etats
reste entièrement posée...
- sur le plan régional :
A l'initiative de la France, des négociations pour
conclure un accord régional « en vue de prévenir,
décourager et éliminer la piraterie » ont
été menées et ont débouché, lors de la
réunion régionale de l'OMI à Djibouti le 28 février
2009, sur l'adoption d'un « code de conduite » liant 20 Etats
affectés par la piraterie somalienne : Afrique du Sud, Arabie saoudite,
Comores, Djibouti, Egypte, Erythrée, Ethiopie, France, Jordanie, Kenya,
Madagascar, Maldives, Maurice, Mozambique, Oman, Seychelles, Somalie, Soudan,
Tanzanie et Yémen.
Ce document, qui devait faire l'objet d'un essai pendant deux
ans avant d'être éventuellement rendu contraignant, prévoit
notamment la mise en place en réseau de trois centres d'information
à Mombassa, Dar Es Salam et Sanaa sur les actes commis, ainsi que
l'ouverture d'un centre de formation régional à Djibouti pour les
agents chargés de la lutte contre ce fléau.
Ce code prévoit notamment d'appeler les Etats
« à prendre les mesures appropriées dans leur
législation nationale pour faciliter l'arrestation et les poursuites
judiciaires contre les suspects de piraterie ». Cela ne va pas
cependant pas sans difficulté, même dans les pays «
occidentaux ».27
27 Cf. Annexe 3 : Nouveau bateau-mère
récupéré, pirates libérés. On dit merci qui
?
- les sanctions :
L'article 107 de la CNUDM autorise les navires militaires
coopérant à saisir d'une part, non seulement le navire pirate,
mais aussi le navire capturé par les pirates, et d'autre part à
appréhender les personnes et saisir les biens qui se trouvent à
bord.
Selon cet article, les tribunaux de l'Etat qui a
opéré la saisie peuvent se prononcer sur les peines à
infliger ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le
navire ou les biens, « sous réserve des droits des tiers de
bonne foi ».
Plusieurs possibilités s'offrent alors aux
autorités de l'Etat dont le navire de guerre a procédé aux
arrestations.28
Ils peuvent, comme la France a eu l'occasion de le faire,
transférer les pirates dans leur pays et les placer en
garde à vue dans le cadre d'une enquête préliminaire.
Juridiquement, ces personnes sont alors expulsées et non
extradées, et le transfert doit être autorisé par le
président de l'Etat dont elles sont ressortissantes. La mise en examen
peut être prononcée pour détournement de navire,
enlèvement et séquestration en bande organisée avec remise
de rançon.
Par ailleurs, des assaillants de navires américains ont
été jugés à New York, tandis que dans un autre cas,
des pirates arrêtés par une frégate française ont
été remis aux autorités kényanes à Mombassa,
en vertu de l'accord signé entre la France et le
Kénya, qui a intégré dans son droit
interne le crime défini par la CNUDEM et accepte de juger et
d'incarcérer les pirates arrêtés dans les eaux
internationales.
Une autre possibilité est d'extrader les
pirates arrêtés : en mai 2009, la marine russe a ainsi
arrêté puis extradé 29 pirates vers la Somalie, l'Iran et
le Pakistan.
Les situations varient selon les circonstances : zone
d'incident (haute mer ou eaux territoriales), pavillon du navire
attaqué, nationalité du navire de guerre, pavillon de
l'opération... et du contexte politique interne des pays dont les
pirates sont ressortissants, de la situation internationale, de la
volonté politique du pays concerné d'accueillir des pirates, des
prises d'otage en cours...
Le rapport Jack LANG constate qu'actuellement, la
plupart des pirates arrêtés sont libérés faute
d'Etat d'accueil pour engager leur poursuite. Ainsi, plus de 90 % des
pirates capturés par les Etats patrouillant en mer sont rendus à
la liberté sans être jugés, selon la pratique dite de
« catch and release », qui, si elle exaspère au plus
haut point les parties prenantes à la lutte contre la piraterie, reste
toutefois majoritaire.
Car s'il existe un consensus pour mettre fin à
l'impunité des pirates, en revanche les principaux Etats engagés
dans la lutte contre la piraterie sont partagés sur les moyens à
mettre en oeuvre pour y parvenir.
L'une des idées avancées serait de créer
un « Tribunal Pénal International de la Piraterie ». Ce projet
a notamment été envisagé par l'Allemagne et la
Grèce. Toutefois les reproches qui sont faits aux tribunaux
internationaux existant pour juger les auteurs de crimes de guerre, de crimes
contre l'humanité ou de crimes de génocides, en particulier pour
la longueur des procédures et les coûts très importants
engendrés, font que cette piste n'a pour l'instant pas été
retenue.
L'autre option serait de renforcer les capacités des
Etats de la région, ce qui semble pour l'instant être le cas, avec
plus ou moins de succès.
Ce qui ressort jusqu'à présent, c'est que si des
adaptations juridiques sont venues combler les lacunes, en renforçant
les compétences gouvernementales et en favorisant les actions
répressives, le principal obstacle à la mise en oeuvre du droit
reste bel et bien la difficulté pratique à exercer le
contrôle et les arrestations. Le bilan des actions reste par
conséquent contrasté.
28 Cf. art. 13 de l'action commune adoptée par le Conseil
de l'Union européenne le 19 septembre 2008.
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