II- IMPACT SUR LES ARMATEURS ET MOBILISATION
INTERNATIONALE
A- Les différentes options pour les armateurs
1/ Les surcoûts liés à la piraterie
Les exactions commises par les pirates rendent les principales
zones touchées dangereuses pour les hommes et coûteuses pour les
armateurs.
Les échanges commerciaux, qui se font pour 90 %
par voie maritime (soit 7,5 milliards de tonnes transportées),
sont affectés, et les armateurs, déjà affaiblis par la
baisse du trafic mondial du fait de la crise financière et
économique de 2007-2008, sont confrontés à ce
problème supplémentaire.
En effet, la route maritime Asie/Moyen-Orient/Europe est l'une
plus fréquentées au monde et est stratégique pour
l'approvisionnement de l'Europe. Cette route traverse quatre détroits
internationaux : Malacca (sud-est de l'Asie) et Bab el Mandeb (à
l'embouchure du Golfe d'Aden) sont potentiellement dangereux, alors que
Gibraltar et le Pas de Calais (Dover Strait) sont paisibles (si l'on
exclue l'intensité du trafic...).
Les détroits internationaux sont
généralement propices aux échanges entre pays riverains et
peuvent créer des activités économiques locales intenses.
Ce sont aussi des points stratégiques habituellement surveillés
par les États riverains. Ce n'est toutefois malheureusement pas le cas
au niveau de Malacca et de Bab el Mandeb, où la faible activité
maritime locale des États riverains créé peu de richesse,
d'autant plus que la ressource halieutique est en partie « pillée
» par les navires de pêche étrangers.
Face à l'insécurité
générée par les attaques, les armateurs sont donc
confrontés à un choix douloureux :
- faire fi des menaces qui pèsent sur
leurs flottes dans les zones de piratage, en considérant que les sommes
qu'ils pourraient perdre du fait d'une demande de rançon et de
l'immobilisation prolongée du navire, ainsi que de la perte probable de
la marchandise, ne sont pas assez importants au regard des sommes
rapportées annuellement ;
- ou au contraire, décider de
dérouter leurs navires et de contourner ces zones dangereuses,
en passant dans le cas de la route Asie/Moyen Orient/Europe par le Sud de
l'Afrique, ce qui entraîne une perte de temps, une consommation accrue de
carburant et une augmentation des coûts de fonctionnement des navires,
donc une perte de rentabilité, qui viendra amoindrir leurs
ressources.
Malgré le danger menaçant les marins, la
circulation sur les routes maritimes habituelles reste un enjeu
économique majeur. Dans ces conditions, le choix est fait la
plupart du temps de ne pas détourner les navires et engage les
armateurs à différents surcoûts :
- les rançons :
Progressivement, la capture des marins s'est affirmée
comme un objectif privilégié des pirates en raison de leur
valeur d'échange, chiffrée entre un et deux millions de
dollars par marin en 2008-200917. En effet, contrairement
au recel de la marchandise ou à l'exploitation d'un navire volé,
l'enlèvement offre l'avantage de la simplicité d'une manne
financière directe ne nécessitant pas de faire appel à des
réseaux marchands parallèles.
17 p. 26 du rapport de M. Christian Ménard.
Une vision cynique et strictement comptable de la prise
d'otages a démontré que la rançon
espérée dépend fortement de la nationalité du marin
et de l'identité de son employeur : selon l'ISEMAR, «
un capitaine américain semble avoir plus de chance de salut qu'un
matelot chinois dont l'emploi est stigmatisé par une certaine
précarité ».
L'institut cite ainsi l'exemple d'un vraquier ukrainien et
contrôlé par des intérêts grecs, à bord duquel
24 membres d'équipages ont été gardés prisonniers,
dont plusieurs gravement malades, et que les propriétaires semblaient
avoir totalement abandonnés pendant 5 mois. En panne faute de carburant,
les perspectives de sortie de crise parurent longtemps compromises, avant le
paiement d'une rançon inespérée de plusieurs millions de
dollars.
Ainsi en 2009, le montant total des rançons
versées aux pirates somaliens a été évalué
à 82 millions de dollars18 (presque trois
fois plus qu'en 2008...). C'est beaucoup, si l'on se rapporte budget du
Puntland, qui s'élève à 15 millions de dollars,
mais c'est très peu en comparaison avec les sommes en jeu dans
le transport maritime transitant par le Golfe d'Aden. En effet,
entre 22 000 et 25 000 navires empruntent le canal de Suez chaque
année pour rejoindre la mer Méditerranée et 2
millions de tonnes de marchandises, dont 3,3 millions de barils de
pétrole, transitent chaque jour à travers cette zone (soit
potentiellement 330 millions de dollars à un cours approximatif de 100 $
le baril en février 2011)...
- les primes de risque versées aux
équipages :
Dans la mesure où les armateurs choisissent de ne pas
dérouter leurs navires, ceux-ci (du moins les leaders du marché),
préfèrent payer des primes de risques à leur
équipages. Ainsi, CMACGM (3ème armateur mondial), en tant que
membre du IMEC19, confirmait fin 2008 sa décision d'instaurer
un bonus de risque pour ses officiers et équipages lors
du passage du Golfe d'Aden, face à la recrudescence des actes de
piraterie dans cette zone.
Selon un communiqué du groupe du 3 décembre
2008, le bonus devait se traduire par un doublement du salaire de base
des navigants durant le passage dans ce secteur à risque,
sachant que 65 navires du Groupe CMA-CGM y transitent chaque mois.
L'armateur rappelait à cette occasion qu'« un
dispositif de sécurité très rigoureux comprenant de
nombreuses mesures pour prévenir et lutter contre d'éventuelles
attaques » avait été mis en place, « bien que
la très grande majorité de ses porte-conteneurs, d'une
capacité comprise entre 4 000 et 11 000 EVP, de par leur vitesse (24
noeuds en moyenne) et leur franc bord important, soit moins vulnérable
que d'autres navires ».
Bien que ce ne soit pas le cas de toutes les compagnies,
CMA-CGM a voulu compenser financièrement les dangers encourus par ses
équipages, en même temps qu'il décidait de maintenir le
passage par le Golfe d'Aden. Selon les chiffres recueillis par le
député Christian MENARD, la prime de risque versée
aux équipages est en moyenne de 3 500 dollars par voyage.
Pour un mois, soit 65 passages, le surcoût estimé
du fait du versement de primes de risques à partir de décembre
2008 était donc de 227 500 dollars par mois, soit 2 730 000 dollars par
an au total pour les porte-conteneurs de CMA-CGM.
- les primes d'assurance :
Aux primes de risques versées aux équipages
viennent s'ajouter les surcoûts des primes d'assurances,
difficiles à évaluer, car il existe plusieurs
marchés avec leur propre appréciation du risque. En outre, les
éventuelles surprimes applicables ne font pas l'objet de publications
officielles pour des raisons de concurrence et elles varient de plus en
fonction de l'appréciation du risque proprement dite ainsi qu'en
fonction de la situation particulière de chaque armateur.
Ainsi, les polices françaises, pour lesquelles les
attaques de piraterie entrent dans le cadre du risque
18 Source : Groupe de contrôle sur la Somalie établi
en application de la résolution 1853 de l'ONU.
19 International Maritime Employer's Commitee
normal, diffèrent des polices britanniques, selon
lesquelles la piraterie est assimilée à un risque de guerre.
Depuis début 2009 cependant, la Lloyd's de Londres, première
bourse mondiale d'assurance, s'est adaptée en proposant des polices
spéciales pour le risque de piraterie qui comprennent le remboursement
de la rançon, le paiement des frais légaux ou l'acheminement de
l'argent aux ravisseurs. Mais ces polices ne semblent s'appliquer
qu'au-delà de la zone des 500 milles et les armateurs doivent par
ailleurs se protéger contre le manque à gagner dû à
l'immobilisation de leur navire.
Les estimations en matière de coûts d'assurance
diffèrent donc, vraisemblablement pour les raisons citées plus
haut. En effet, selon le rapport mensuel de novembre 2008 du Bussiness
Monitor International cité dans le rapport de M. MENARD, le
montant des primes d'assurance pour les navires transitant par le Golfe d'Aden
aurait été multiplié par dix. Selon le rapport de
M. LANG, ces primes n'auraient été multipliées que par
quatre. Le seul élément sur lesquels les deux parlementaires
s'accordent est que la zone est désormais classée en zone de
guerre.
Malgré la difficulté de disposer d'une
évaluation générale de la hausse du coût des
assurances pour la route passant par le Golfe d'Aden, on peut cependant
relever, pour les assurances « Corps », des surprimes dites
« risque de guerre » pour la zone du Golfe d'Aden d'une valeur
située entre 0,020 % et 0,075 % de la valeur du navire.
20
Le rapport annuel 2010 de BRS conseille aux armateurs
« de souscrire une assurance couvrant les risques de kidnapping et de
rançon, spécifiquement prévue à cet effet, qui,
outre le paiement de la rançon, permettra de se couvrir contre les
risques de perte de rançon, d'assistance médicale pour
l'équipage, de coût de transfert et d'hébergement, de
salaires, de responsabilité juridique, etc. De telles assurances peuvent
être souscrites sur la base d'un voyage ou sur une base annuelle et
toutes zones. »
Les deux tableaux ci-après décrivent quelques
éléments des surcoûts engagés par les deux grands
armateurs CMA-CGM (n° 3 mondial) et Maersk (n° 1 mondial) :
Surcoût de la piraterie pour CMA CGM
Consommation carburant supplémentaire 20 millions de dollars
par an
Prime de risque versée aux équipages 3 500 dollars
par voyage
Route de contournement 5 millions de dollars par an
Source : GDI (2S), conseiller CMA CGM).
Surcoût de la piraterie pour MAERKS
Coût des marchandises à destination et + 50 à
100 dollars par en provenance des ports de l'Afrique de container
l'Est
Coût des marchandises transitant par le + 25 à 50
dollars par Golfe d'Aden container
Montant des primes d'assurance + 10 à 20 000 dollars
par
navire par trajet
20 L'assurance Risques de guerre est actuellement
bénéficiaire pour les assureurs bien qu'il y ait eu une
concurrence féroce sur les primes en 2009. Cette compétition a eu
lieu à une période à laquelle les risques ont
culminé, principalement en raison de la piraterie dans le Golfe d'Aden,
l'Oc éan Indien et le Golfe de Guinée (rapport annuel 2010
BRS).
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