B/ Types de bateaux attaqués et modus
operandi
1/ Un type de navire particulier est-il ciblé
?
Selon une étude de l'ISEMAR13, «
contrairement à certaines idées reçues, les navires
symboles du commerce maritime mondial (les pétroliers et les
porte-conteneurs) ne sont pas forcément les premières cibles
». Ainsi, les chercheurs de l'Institut Supérieur d'Economie
Maritime de Nantes-Saint Nazaire ont été frappés par la
répartition relativement similaire entre les types de navires
constituant la flotte mondiale et ceux attaqués. Les « general
cargos », très représentatifs de la flotte mondiale, font
toutefois exception en étant comparativement moins attaqués.
L'Institut attribue cela au fait que ces derniers sont moins susceptibles de
croiser au large de l'Est de l'Afrique, en raison de leur présence
moindre sur la route Est-Ouest.
L'institut a également cherché à savoir
si certains pavillons ou certains intérêts financiers
étaient davantage ciblés que d'autres. Il semblerait toutefois
qu'il n'en soit rien. En effet, en se basant sur une comparaison entre les
navires attaqués et l'origine de leur pavillon, on peut constater une
répartition des navires cibles en adéquation sensible avec la
répartition observée au sein de la flotte mondiale. Ainsi, la
majeure partie des attaques ont lieu à l'encontre des vraquiers (26,8 %
en 200914).
A l'exception de quelques réseaux, notamment en Mer de
Chine, qui ciblent et revendent la marchandise, le plus souvent, la cargaison
ne constitue pas le critère déterminant dans le choix du navire
qui sera attaqué car, comme nous le verrons dans la partie du
mémoire consacrée aux conséquences économiques,
c'est la prise d'otages qui intéresse les pirates.
Devenu aujourd'hui le premier trafic en valeur, devant les
trafics énergétiques, les biens manufacturés
conditionnés en conteneurs n'attirent donc pas forcément les
pirates, d'autant moins que la manutention des conteneurs nécessite
d'être équipé.
10 Le PNUD (Programme des Nations Unies pour le
Développement) a constaté qu'une part des pirates était
issue des populations pastorales, venant de l'intérieur des terres, et
non seulement des populations côtières.
11 Source : EUNAVFOR (European Union Naval Force)
12 Christian Ménard, Député du
Finistère.
13 Note de synthèse n° 128 - Piraterie : perturbation
de l'économie maritime ? ISEMAR, octobre 2010.
14 Cf. Tableau ISEMAR p. 8 de ce mémoire.
2/ Organisation et économie des pirates - modus
operandi des attaques en mer :
Comme le souligne l'ISEMAR, « un navire devient le
plus souvent une cible privilégiée au mouillage, dans un port,
lorsqu'il navigue à vitesse réduite. Pourtant, on constate de
plus en plus fréquemment des attaques sur des navires croisant
très au large des côtes ».
Dans le cas des eaux somaliennes, le recoupement des
différentes sources d'information laissent penser que, comme nous le
verrons plus avant, la présence de forces navales
internationales dans les eaux de la Corne de l'Afrique a un effet dissuasif sur
les attaques côtières. Comme il est plus difficile de
repérer des activités illégales en haute mer, la logique
mène vraisemblablement les pirates à opérer de plus en
plus loin des côtes.
Dans ces conditions, le modus operandi change aussi :
de frêles esquifs ne sont plus suffisants. Ainsi, selon le Capitaine
Munkundan, Directeur du Piracy Report Centre, au large de la Somalie, les
pirates forcent les équipages de navires de pêche ou de commerce
dont ils ont pris possession à faire route vers d'autres navires,
utilisant les premiers (bateaux-mères) comme bases pour
attaquer les seconds.
Dans ce contexte, certains navires sont
particulièrement exposés en raison de leurs
caractéristiques nautiques (franc-bord bas, souvent
inférieur à 5 mètres, vitesse inférieure à
10 noeuds, manoeuvrabilité réduite, type de propulsion faible ou
défaillant). C'est pourquoi, selon Christian MENARD,
Député du Finistère, les porte-containers constituent une
cible facile car, du château, l'équipage n'a pas la
possibilité de contrôler visuellement tous les accès au
bâtiment. Les thoniers, qui peuvent être utilisés comme base
pour attaquer de plus gros navires, sont également des bâtiments
très vulnérables car ils sont bas sur l'eau, disposent d'une
rampe arrière et sont incapables de se dégager lorsque le filet
est déployé.
Selon l'ISEMAR, la capacité des navires à
manoeuvrer pour éviter et repousser les attaques est également
conditionnée par leur âge et leur
état général. La probabilité d'une
panne ou d'une vitesse réduite en raison de l'usure augmentent de ce
fait sensiblement les probabilités de ciblage par les pirates.
C'est donc bien de la vulnérabilité du navire,
le cas échéant, et de l'habileté et de l'organisation des
pirates, que dépendra la capture des navires, indépendamment de
la marchandise ou du pavillon.
- le système économique et financier
:
Sur le plan financier, toutes les dépenses
engagées sont comptabilisées par les pirates. La pratique du
crédit est courante et les dettes sont respectées. Lors du
versement de la rançon, chacun récupère son dû. Il
existe même un système d'amendes pour faire respecter
l'organisation de la vie sociale à bord des bateaux.
- A terre, les pirates établissent des camps
temporaires à proximité des zones de mouillage des bateaux
piratés. Ils ne sont en revanche pas toujours installés dans les
villages car la population ne les accepte pas automatiquement,
particulièrement si les chefs de clans (Elders15), ne les
soutiennent pas.
- En revanche, l'une des difficultés étant
d'entretenir et de nourrir les otages, les populations des côtes font
venir leurs parents et leurs amis du centre du pays pour les aider dans les
activités d'attaque puis de gardiennage des bateaux et des
otages16.
- Si le versement d'une rançon a lieu, il l'est
généralement en liquide. Cette rançon est alors
comptée à bord puis répartie entre tous les participants
à l'opération les différents « ayants droit ».
Le partage se pratique « un peu comme pour la pêche »
: 50 % pour la main d'oeuvre, c'est-à-dire les hommes qui ont
mené l'action (ce qui peut représenter jusqu'à 80
personnes), 30 % pour le commanditaire, 15 % pour l'interprète, les
commerçants et plus globalement les intermédiaires et 5 %
réservés pour les familles des pirates morts.
- L'essentiel de l'argent est dépensé sur place
mais peut aussi servir pour financer le départ d'un membre de la famille
à l'étranger. Il semble également exister quelques
filières pour financer des constructions immobilières à
l'étranger.
Ainsi, la piraterie n'est plus un phénomène
lointain qu'on regarderait comme une résurgence des temps passés,
quand celle-ci se pratiquait dans les Antilles françaises ou
britanniques, avec l'assentiment des puissances européennes, qui s'en
servaient comme d'un outil politique actif dans leurs luttes de
suprématie maritime et colonisatrice.
Aujourd'hui, du fait des inégalités
économiques grandissantes, des territoires entiers se livrent à
toutes sortes de trafics et commerces illégaux, dont la piraterie est
l'une des expressions les plus visibles et les plus
médiatisées.
15 p. 12 du rapport de M. Jack Lang : « A Garacad,
les Elders s'opposent aux pirates et font valoir auprès de la population
les effets néfastes de la piraterie (alcool, prostitution), contraires
aux préceptes de l'Islam. D'autres chefs de clan préfèrent
se rallier aux pirates (plutôt que de se les aliéner), voire les
soutenir (pour bénéficier d'une part de leurs recettes).
»
16 p. 10 du rapport de M. Jack Lang : « Le PNUD a
constaté qu'une part des pirates était issue des populations
pastorales, venant de l'intérieur des terres, et non seulement des
populations côtières. »
Dans un contexte de mondialisation, les échanges
commerciaux ont augmenté exponentiellement et s'effectuent
principalement par voie maritime. Alors qu'une paix relative régnait sur
les océans depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la piraterie
« moderne » s'est intensifiée, grâce aux avantages qu'en
tirent les populations littorales, et menace les acteurs du transport maritime,
ce qui ne va pas sans poser de questions, comme nous allons le voir
ci-après.
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