INTRODUCTION
Le phénomène de la piraterie a pris un nouvel
essor dans la dernière décennie avec une recrudescence des
attaques le long des côtes et au large de pays d'Afrique et d'Asie mais
également d'Amérique du Sud.
Les médias ont reporté à l'échelle
planétaire certains actes de piraterie et les esprits ont pu être
marqués par des images souvent spectaculaires et la dimension dramatique
des situations de prises d'otages et de tentatives de sauvetage.
J'ai personnellement été sensibilisée
à la piraterie à l'occasion d'une cérémonie en
mémoire de Sir Peter Blake (navigateur néozélandais
tué par des pirates en Amérique du Sud en décembre 2001),
hommage célébré lors de la remise des prix de la course
internationale de vieux-gréements Cutty Sark Tall Ships' Race à
laquelle j'ai participé en 2002.
Ayant par ailleurs été secourue entre l'Italie
et la Grèce par un cargo transportant du bois et de l'acier entre la
Russie et la Turquie lors d'une croisière à la voile entre
l'Espagne et Israël en 2003, j'ai pu me rendre compte de la
solidarité qui prévaut en mer et j'ai désormais une estime
particulière pour la marine marchande.
Si les règles de la navigation et le principe de
Liberté des Mers ne sont pas des termes abscons pour moi, je remercie en
revanche Monsieur Naji ZENATI, consultant international en transport maritime,
de m'avoir donné par son enseignement au Conservatoire National des Arts
et Métiers une meilleure connaissance des caractéristiques
techniques et des enjeux économiques du transport maritime commercial
international.
J'essayerai dans ce mémoire de rendre compte de la
régénération récente et de l'expansion des actes de
piraterie maritime, des conséquences engendrées sur
l'activité des armateurs et des solutions envisagées au niveau
international pour endiguer le phénomène.
1 Le Monde - 25 janvier 2011 - L'inquiétant rapport de
Jack Lang sur la piraterie.
I- LA PIRATERIE MARITIME, UNE ACTIVITE FRAUDULEUSE EN
EXPANSION
A / Régénération de la piraterie
« moderne » et évolution géographique
Au sens de l'article 101 de la Convention des Nations Unies
sur le droit de la mer, « [o]n entend par piraterie l'un quelconque
des actes suivants :a) tout acte illicite de violence ou de détention ou
toute déprédation commis par l'équipage ou des passagers
d'un navire ou d'un aéronef privé, agissant à des fins
privées, et dirigé : i) contre un autre navire ou aéronef,
ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer; ii)
contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne
relevant de la juridiction d'aucun Etat; b) tout acte de participation
volontaire à l'utilisation d'un navire ou d'un aéronef, lorsque
son auteur a connaissance de faits dont il découle que ce navire ou
aéronef est un navire ou aéronef pirate; c) tout acte ayant pour
but d'inciter à commettre les actes définis aux lettres a) ou b),
ou commis dans l'intention de les faciliter. »
1/ Des zones de piraterie liées à la
pauvreté
Dans les années 70, des attaques de pirates
frappèrent les boat people qui fuyaient le Vietnam. A la
même époque, plusieurs actes de piraterie furent reportés
dans les eaux méditerranéennes, la plupart sur des navires de
tramp battant pavillon grec, panaméen ou chypriote. Selon le Marin du 16
novembre 19792, parmi les navires ayant été
séquestrés, le Gloria L et le Betty « disparurent
» en pleine mer et « réapparurent » sous un
nom et un pavillon différents dans des ports libanais, où ils
tombèrent aux mains de milices armées de différents partis
ou organisations politiques, les pirates ayant auparavant falsifié les
titres de marchandise et vendu le tout à des commerçants
libanais. Le même article souligne que de telles actions de piraterie
s'étaient multipliées, les navires étant la plupart du
temps déroutés pour débarquer la marchandise dans d'autres
ports.
Depuis, les zones d'action ont évolué et se sont
étendues : désormais les pirates mènent leurs attaques
essentiellement en Mer de Chine, dans le
Détroit de Malacca (point de passage stratégique
pour 90 000 navires par an), dans le Golfe du Bengale, dans le
Golfe d'Aden (au large de la Somalie et
jusqu'au Canal du Mozambique), dans le Golfe de
Guinée, dans l'Océan Indien autour des
Seychelles, ainsi qu'au large des côtes du
Brésil et de l'Équateur.
2 Voir Annexe 1 : Affaire de piraterie maritime, Le Marin n°
1690, 16 novembre 1979.
Selon les chiffres du Piracy Report Centre du
BMI3 (basé à Kuala Lumpur, en Malaisie, sous
l'égide de la Chambre de Commerce Internationale de Paris),
chargé depuis 1991 d'enregistrer les actes de piraterie au niveau
mondial, le nombre des attaques a significativement augmenté depuis
2006, et notamment ces dernières années, avec une hausse
de 10 % entre 2009 et 2010. Ainsi, un nombre encore jamais atteint de
marins a été pris en otage en 2010, essentiellement au large de
la Somalie4 (92 % des attaques, avec un total de
43 navires détournés et 1 016 marins
pris en otages).
Les chiffres, peut-être en-dessous de la
réalité, puisqu'il ne prennent en compte que les attaques
déclarées, font état de 53 navires détournés
et de 445 attaques, lors desquelles 1 181 marins ont été
capturés et 8 d'entre eux tués. Au 31 décembre 2010, selon
le BMI, 28 navires et 638 otages étaient encore détenus et
faisaient l'objet d'une demande de rançon.
Sur le site Internet du Piracy Report Centre, il est possible
de connaître les détails des attaques en cliquant sur les points
indiquant les positions sur une carte interactive.
On peut voir ainsi que les pirates somaliens opèrent de
plus en plus loin, menant désormais leurs attaques jusque dans
le canal du Mozambique et jusqu'à une longitude de
72° Est dans l'Océan indien.
D'autres attaques ont eu lieu aux abords du
Nigéria, principalement à proximité du
port de Lagos (ville la plus peuplée d'Afrique après le Caire et
l'un des plus grand ports du continent). En tout, 13 vaisseaux ont
été abordés, 4 se sont fait tirer dessus et 2 autres
tentatives d'attaques ont eu lieu.
Au Bangladesh, où le nombre de vols
à main armée a augmenté pour la deuxième
année consécutive, 21 navires ont été
abordés en 2010, la plupart par des hommes armés de couteaux, sur
des bateaux ancrés dans le port de Chittagong, deuxième ville la
plus peuplée du Bangladesh, port majeur du Golfe du Bengale, connu
surtout pour abriter le plus grand chantier de démantèlement de
navires du monde.
L'Indonésie a aussi connu l'an
passé le plus grand nombre d'attaques armées depuis 2007. 30
navires ont été abordés, 30 attaques ont été
contrecarrées et un vaisseau a été détourné.
15 des navires étaient en route lorsque les attaques se sont
produites.
31 incidents ont également été
enregistrés dans les mers du sud de la Chine, plus du
double en 2010 qu'en 2009. 21 navires ont été abordés, 7
attaques déjouées, 2 vaisseaux se sont fait tirer dessus et 1 a
été détourné. Le dernier trimestre de 2010 a
été plutôt calme, avec seulement un incident
reporté.
À l'origine de la recrudescence de la piraterie ces
dernières années, il y a très vraisemblablement l'absence
de perspectives économiques pour les populations pauvres d'Etats
défaillants, qui voient les bénéfices de la mondialisation
leur échapper, alors que la situation politique et les structures
étatiques ne permettent pas d'assurer le développement qui fait
défaut. Ainsi, l'écart va toujours grandissant entre les
populations pauvres des pays en voie de développement et les populations
riches des pays développés.
- En Somalie, où le taux de
pauvreté est de 81 % selon les critères du PNUD (santé,
éducation et niveau de vie) et où plus de 55 % des habitants
vivent sur une côte longue de 3 898 km, la volonté des populations
de défendre leurs zones de pêche contre la pêche
illégale des bateaux européens et asiatiques qui ne respectaient
pas les eaux territoriales et la Zone Economique Exclusive5 a
très certainement également joué un rôle
déclencheur.
Si l'on ajoute à cette exaspération celle
déclenchée par le dégazage sauvage et l'abandon de
déchets toxiques par des navires étrangers au large des
côtes - dont l'ampleur a été soulignée par le
PNUE6 (Programme des nations Unies pour l'Environnement) - on
comprendra aisément que certains profitent des lacunes des
autorités publiques et de l'insécurité prévalant
pour se tourner vers une activité rémunératrice, bien que
frauduleuse.
3 Bureau Maritime International
4 Communiqué du lundi 17 janvier 2011, Piracy Report
Centre, Bureau Maritime International.
5 Voir Annexe 2 : les zones maritimes en droit international,
source CEDRE.
6 Rapid Environmental Desk Assesment Somalia, p. 133, Programme
des Nations Unies pour l'Environnement, 2005.
Il s'avère également qu'au tournant des
années 2000, pour faire face à la pêche illégale -
notamment asiatique et européenne - le recours à une
société de sécurité britannique pour former des
gardes-côtes et théoriquement contrôler les droits de
pêches, a eu des conséquences néfastes. En effet,
rapidement, cette société n'a plus été payée
et s'est retirée. Les personnes qu'elle a formées seraient
devenues pour certaines des pirates très efficaces.
- Au Nigeria, le
terreau de la piraterie est fertile : situation politique instable,
précarité, chômage, corruption, prévarication,
népotisme... La piraterie est venue s'ajouter au captage clandestin et
illicite de pétrole (oil bunkering) ainsi qu'aux prises
d'otages - notamment d'expatriés - avec demandes de rançon. Ces
exactions relèvent d'activités criminelles à tendance
mafieuse et sont « encouragées par la corruption
régnante et la collusion entre les milieux criminels et les
autorités publiques et militaires »7. Même si
elle y reste sporadique, la piraterie est toutefois problématique pour
les sociétés françaises Bourbon et Total, touchées
par le phénomène. Les tensions et l'insécurité ont
eu pour conséquence de faire baisser significativement la production
pétrolière nigériane (de 2 millions de barils par jour en
2007 à 1,8 million entre 2008 et 2009) et donc les rentrées de
devises, l'activité du Nigéria étant dominée par le
secteur des hydrocarbures dont le pays est mono-exportateur (99 % de la valeur
des exportations, 39 % du PIB, mais seulement 5 % des emplois).
- Dans le détroit de Malacca,
outre une tradition séculaire bien installée dans la
région, ce sont également le chômage et la pauvreté
qui sont à l'origine de la piraterie. Cela a commencé par des
vols à main armée pour s'approprier les biens et les
liquidités à bord des navires marchands. Le vol et la revente de
navires restent exceptionnels. La piraterie y est une activité relevant
de la petite criminalité de gangs de trafiquants.
Dans tous les cas soulevés, les motivations sont
clairement lucratives et n'ont pas de dimension politique majeure ni même
d'objectif terroriste. L'exception qui confirme la règle est l'attaque
du pétrolier Limbourg le 6 Octobre 2002 le long des côtes
yéménites, cité en exemple par le MEDEF dans une note du
15 juillet 2004 sur la sûreté du transport de marchandises. Mais
le lien entre piraterie et terrorisme ne peut pas être
considéré comme pertinent aujourd'hui, même si à
terme, les ressources dégagées pourraient attirer ce type de
mouvance. Il y a eu par le passé des attentats terroristes sur des
navires, mais ceux là visaient le transport de passagers.
Le terme d'« industrie émergente »,
utilisé par M. Jack LANG dans son rapport remis le 24 janvier 2011 au
Secrétaire général des Nations Unies8 me
paraît inadapté et exagéré, même si, comme le
souligne M. Christian MENARD dans son rapport parlementaire sur la piraterie
maritime9 en 2009, « cette activité frauduleuse est
de mieux en mieux organisée et procure à ses différents
protagonistes des ressources économiques importantes ». C'est
ce que nous verrons au point suivant.
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