II- LES INCONVÉNIENTS DU MODÈLE
a) La question de la gouvernance
1) Le risque de privilégier l'infrastructure au
détriment de la superstructure
La stratégie d'ouverture sur l'économie mondiale
est comme nous l'avons vu l'une des caractéristiques de la
réussite macro-économique des pays émergents.
L'industrialisation par promotion des exportations en est une des facettes, par
laquelle les pays émergents cherchent à exporter des produits
transformés plutôt que des produits primaires. Pour réussir
cette stratégie, ils recourent aux capitaux étrangers, notamment
les Investissements Directs Etrangers (IDE), pour développer des
transferts de technologie.
Le recours aux Partenariats Public-Privé participent de
la même démarche. L'avantage retiré des ressources
privées leur permettant d'épargner leurs budgets publics est
malheureusement parfois contrecarré par la structure en actionnariat des
entreprises privées, qui fera tôt ou tard valoir ses
impératifs de rentabilité.
Le partenaire privé pourra alors être
amené à vouloir imposer « son modèle » et mettre
en porte-àfaux l'autorité publique, qui aura toutes les peines du
monde à se désengager. La question sousjacente est celle de la
souveraineté et du contrôle de la gouvernance.
Selon Marx, qui a opposé l'infrastructure d'une
société (son mode de production) et sa superstructure, qui
comprend l'organisation juridique (le droit), l'organisation politique (l'Etat,
les partis), le système de valeurs (la religion, l'idéologie,
etc.), une superstructure caractérise tout mode de production, mais elle
en est le reflet, la conséquence15.
Comme pour les IDE « classiques », le revers de la
médaille peut aussi être une aggravation de la dépendance
technologique à laquelle ils devront faire face, parfois le gaspillage
de ressources mais également parfois indirectement les affres des crises
des marchés financiers, s'ils sont devenus trop tributaires de ces
derniers, dont les conséquences seront une amère
désillusion et le regret de s'être engagés dans la voie du
capitalisme.
En Malaisie, le Premier Ministre Mohamad Mahatir, au pouvoir
de 1981 à 2003, a dénoncé, selon ses termes, le «
comportement néocolonialiste » du FMI et refusé son aide en
préservant du même coup la souveraineté de son pays. Il n'a
pas eu à le regretter, car ses résultats ont été
nettement meilleurs que dans de nombreux pays en développement sur la
même période.
2) Une privatisation des gains contre une socialisation des
dettes ?
15 Dictionnaire d'économie et de sciences sociales,
Hatier, 2006.
Si l'adage des opposants au libéralisme
économique peut paraître quelque peu galvaudé, il trouve
néanmoins une place de choix dans l'arsenal sémantique des
pourfendeurs du Partenariat PublicPrivé, parfois à raison.
En effet, les déconvenues rencontrées dans les
pays développés, comme par exemple la lourdeur des remboursements
des emprunts contractés à des taux d'intérêts
supérieurs à ceux qu'auraient pu obtenir l'Etat, font leur chemin
médiatique16 et véhiculent leur image
négative.
Cet inconvénient, qui doit en théorie être
évité par une bonne maîtrise du volet financier du
partenariat par l'autorité publique, ne peut toutefois pas être
complètement écarté. Les organisations
multilatérales et les structures d'Aide Publique au
Développement, qui peuvent, au moins en partie aider les pays
émergents en garantissant leurs emprunts, monnayent ce rôle.
En France, l'Agence Française de Développement
et plus particulièrement sa filiale Proporco, qui se concentre sur le
secteur productif des entreprises, les systèmes financiers, les
infrastructures et le capital-investissement, font l'objet de critiques acerbes
dans le monde du développement.
Effectivement, l'institution financière, qui a pour
mission de favoriser les investissements privés dans les Pays Emergents
et en Développement, reste avant tout une banque, avec des objectifs de
rentabilité. Conséquence de la crise financière de 2008,
qui a asséché les financements publics, Proparco a
enregistré des résultats records en 2009, dépassant le
milliard d'euros d'engagements, soit une croissance de l'activité de 42
% par rapport à 2008. Et son bilan a avoisiné les 2 milliards,
plus du double de celui de 200717.
Pierre Jacquet, Directeur de la stratégie et chef
économiste de l'AFD, a rappelé opportunément que
« nombre d'opérations imposées de l'extérieur
n'ont pas contribué à la consolidation de la « culture
» des PPP dans les pays en développement ».18
Selon lui, « les partenaires locaux doivent comprendre que les
entreprises, nationales ou étrangères, ne sont pas philanthropes.
La qualité et la durabilité de leurs opérations
dépend de leur profitabilité. La politique de tarification doit
à la fois permettre aux opérateurs, publics ou privés, de
recouvrer les coûts, tout en rendant les services abordables pour les
populations défavorisées. Il y a là aussi un rôle
pour les agences d'aide, qui pourraient par exemple envisager de prendre en
charge par l'APD une partie de la facture ».
Ce n'est toutefois pas le cas. Et Thierry Paulais, responsable
de la division du développement urbain à l'AFD19,
suggérait quant à lui en 2006 de concentrer les subventions et
prêts très concessionnels sur les pays les plus pauvres, qui n'ont
pour beaucoup aucune capacité d'investissement, et d'encourager les pays
émergents, avantagés par leur croissance, à investir dans
les infrastructures en se finançant sur les marchés des capitaux
privés ou auprès des bailleurs de fonds internationaux à
des conditions relativement proches de celles du marché.
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