5 Conclusion Générale
Le développement durable est passé depuis les
deux dernières décennies du statut d'utopie de
préservation des richesses naturelles, prônée par quelques
groupes minoritaires, à un concept plus concret communément
adopté, à tous les niveaux, pour définir une
stratégie de développement plus soutenable dans l'avenir.
Au-delà de la vague écolo-solidaire (plus ou moins
justifiée) inondant notre quotidien, le monde des entreprises est aussi
vu investi de la diffusion de cette idéologie par le biais une action
volontaire nommé responsabilité sociétale des entreprises
(RSE), visant à gérer durablement de ses ressources et ses
relations avec les parties prenantes. En tant que premier employeur mondial et
par les externalités qu'il crée, le tourisme n'échappe pas
à ce mode de gestion plus responsable, dont la montée en
puissance de l'écotourisme est le symbole. Cette nouvelle pratique
touristique se distingue cependant par ses zones de diffusion, les principaux
acteurs écotouristiques se situant essentiellement dans les PED, voire
PMA (Costa Rica, Equateur, Nicaragua, Namibie par exemple). Les principes de
l'écotourisme donnent une explication à ce
phénomène :
« Voyage et visite environnementalement
responsables dans des espaces naturels relativement calmes dans le
but d'apprécier la nature [...], qui promeuvent la conservation,
créent de faibles impacts et participent activement à
l'amélioration socio-économique des populations
locales. » [Ceballos-Lascurain, 1996]
Beaucoup de PED basant leur économie sur une
exploitation des ressources naturelles, laquelle est souvent prédatrice,
les caractères écologiquement responsable et soutien du
développement socio-économique local de l'écotourisme
paraissent relativement bien adaptés à ces pays.
Le cas de Madagascar est particulièrement
représentatif de cette situation. La Grande Île est un des pays
des plus pauvres de la planète, en proie à des conflits
politiques récurrents - élections présidentielles
contestées (2009), rivalité ethniques (merina/côtiers) - et
à des difficultés économiques profondes - sortie
douloureuse du marxisme-léninisme (1972), mise sous tutelle par le FMI
et la Banque Mondiale (1983). Le manque ou le mauvais état des
infrastructures (communications, éducation, santé) accentue
encore l'état d'enclavement de certaines régions et
l'insularité des communautés vivant sur le territoire. Conscient
de la gravité de la situation, le Gouvernement a officialisé son
engagement à lutter contre la pauvreté à travers plusieurs
documents directeurs, gages de financement par les institutions
financières internationales (IFI) : les Documents
Stratégiques pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP) ou
son successeur adopté en 2005, le Madagascar Action Plan (MAP). Ce
dernier se présente sous forme de 8 engagements, respectueux des
Objectifs pour le Millénaire du Développement (OMD) de l'ONU,
dont l'Engagement 6.8 fait du tourisme une activité motrice pour le
développement, surtout par le biais d'un écotourisme de haute
qualité.
Le potentiel touristique malgache est extrêmement fort,
mais encore peu exploité. L'incroyable biodiversité des
espèces (près de 90%) et la diversité des
écosystèmes de Madagascar sont mondialement connues ; la
plupart des touristes (55%) viennent d'ailleurs pour raisons
écotouristiques. Mais ce patrimoine biologique est mis en danger par des
activités humaines aux conséquences nuisibles pour
l'environnement. Dans un cadre d'extrême pauvreté, l'exploitation
des ressources naturelles est perçue comme un moyen de survie par les
populations locales, dont les modes de production traditionnelles pèsent
lourdement sur la nature. La culture sur brûlis (tavy ou
hatsake) ou le déboisement au profit d'une agriculture nomade sont
les pratiques agricoles largement répandues. La subsistance de ces
méthodes traditionnelles s'explique par la difficulté de
contrôle par les autorités, due à l'isolement des
populations, et à l'inadaptation du droit environnemental, directement
calqué sur celui de la France. D'où l'existence d'un droit
virtuel non appliqué et d'un droit réel régit par les
communautés par les dina. Le processus de
décentralisation de la gestion des ressources naturelles,
formalisé par la gestion locale sécurisée (loi GELOSE,
1996) est une réponse à l'impuissance de l'Etat à garantir
l'application des politiques environnementales et dévolue
contractuellement aux communautés le pouvoir d'une gestion durable.
L'adoption de programmes de conservation de la
biodiversité ont été une des premières
réactions nationales à la forte dégradation des espaces
naturelles, lesquels sont rapidement remplacés par des politiques de
valorisation de la biodiversité. L'ONG Madagascar National Parks
(anciennement ANGAP) a pour fonction de créer, de gérer et
promouvoir ces aires protégées (parcs nationaux, réserves
naturelles ou spéciales) en encourageant les initiatives locales de
valorisation économique des ressources naturelles. Le choix de
l'écotourisme devient prévalant pour la plupart des
communautés.
L'adoption de cette nouvelle pratique touristique
répond avant tout à la volonté de l'Etat de lutte contre
la pauvreté en développant une activité économique
rentable, durable, environnementalement responsable et valorisante. Le
« cercle vertueux » de l'écotourisme décrit
par Wunder (2000) fait état des deux hypothèses de base pour en
faire une activité génératrice de changements
socio-économiques et comportementales, créant des revenus
complémentaires stables, capables de sédentariser les populations
et de former une conscience environnementale qui mène à
l'adoption de pratiques productives plus durables. La première
hypothèse est une forte participation des populations locale dans les
activités écotouristiques ou assimilés. La seconde
soutient que les revenus générés doivent être assez
conséquents (incentive) pour initier la dynamique de
changements socio-comportemental et économique. Or, l'étude du
cas malgache montre les limites de ce modèle. En effet, le faible niveau
de qualification de la main-d'oeuvre disponible relègue souvent les
populations locales à des emplois salariés peu valorisant. De
plus, les moindres possibilités d'investissements des locaux font que
l'offre touristique est dominée par des structures touristiques de
taille réduite (10 à 15 chambres). Les rares
établissements de taille et qualité supérieures sont la
propriété d'investisseurs étrangers. Par ailleurs, la
création d'emploi d'activités périphériques (guide,
piroguier, artisanat, etc.) est relativement limitée, car les revenus
générés ne représentent par une opportunité
suffisante pour inciter au changement et les populations sont rarement
prêtes à abandonner aussi rapidement leurs pratiques
traditionnelles pour dépendre d'une activité encore très
jeune. Si les bénéfices de l'écotourisme sont
théoriquement conséquents, son application encore trop
récente ne permet pas de l'affirmer concrètement. Au contraire,
le tourisme paternaliste est aujourd'hui économiquement plus rentable
pour les communautés, bien que leur implication dans les enjeux du
secteur soit quasiment nulle. La professionnalisation de la filière
touristique devrait permettre aux acteurs locaux de mieux
bénéficier des retombées écotouristiques, proposant
des prestations de qualités et favorisant alors les mutations
sociétales.
Un mode de gestion écotouristique du capital
écologique doit aussi se faire dans la perspective des visiteurs. En
effet, l'impact créé par le flux migratoire touristique peut en
être réduit. Par le contact privilégié que le
visiteur va avoir avec le patrimoine environnemental et l'expérience
qu'il pourra vivre au sein des communautés, il se sentira plus
concerné par la préservation des éléments
responsables de la qualité de son séjour. Le rôle
éducatif de l'écotourisme crée ou soutient une
sensibilisation à la préservation des espaces naturelles. Cette
expérience vécue va « engager » (psychologie
de l'engagement de Kiesler) le visiteur dans la voie de la préservation.
De plus, le tourisme malgache étant encore dans sa jeunesse, la
promotion de l'écotourisme va permettre de construire l'identité
touristique de l'Île Rouge. Or, ce processus est déterminant dans
les choix que feront ensuite les visiteurs. L'imaginaire que ces derniers ont
d'une destination conditionne aussi les attentes qui en ont. Un touriste
revenant de Tahiti sans avoir été baigné dans
l'atmosphère polynésienne vendue par les cartes postales et
autres images d'Epinal sera déçu, car son expérience va
différer de l'imaginaire qu'il s'était construit.
Mais la question de la promotion de la destination malgache
est éminemment liée à l'intégration de son offre
touristique dans une filière globale, laquelle est largement
contrôlée par des grands groupes occidentaux. Les pays du Nord, et
surtout l'Europe et les Etats-Unis, étant les principaux pays
émetteurs dans la monde, il n'est par étonnant de constater que
les acteurs d'aval (tour opérateurs, voyagistes) sont essentiellement
basés dans ces zones géographiques. C'est aussi le cas pour
Madagascar, dont la majorité des visiteurs proviennent d'Europe (dont
près de 60% de France). Or, le poids des acteurs locaux malgaches
(amont) dans les négociations avec ses firmes internationales est
très réduit. La faible capacité d'investissement pour
répondre aux normes internationales fait que ces groupes
préfèrent ou collaborer avec d'autres marques internationales ou
acheter la totalité de la capacité d'hébergement à
prix réduit. L'utilisation des innovations technologiques ouvre une
opportunité pour contourner le circuit traditionnel de distribution et
permettre le développement d'un écotourisme qui ne soit pas le
produit d'une stratégie de diversification touristique mais bien un mode
durable de développement profitable aux communautés locales. La
mise en place d'un système de gestion des destinations (SGD) permet de
mettre directement en relation l'offre et la demande via Internet. En proposant
un portail de présentation et de promotion de la destination, Madagascar
peut profiter de l'élan que connaît actuellement l'e-tourisme. Ce
processus a été amorcé par la création du site
madagascar-tourisme.com, lequel propose la mise en avant des atouts
touristiques, ainsi qu'un référencement d'un grand nombre
d'acteurs locaux du secteur (hébergement, restauration, tour
opérateurs, etc.). Ce SGD de niveau 1 peut être
amélioré par l'ajout d'un moyen de paiement en ligne, d'une base
de données visiteurs et du respect de la stratégie touristique
nationale.
L'écotourisme est une véritable
opportunité à plusieurs titres pour Madagascar. Il est un moyen
de valoriser économiquement son extraordinaire biodiversité,
générant ainsi des revenus complémentaires non
négligeables à la lutte contre la pauvreté, implique les
populations locales dans une gestion pertinente et durable des ressources
(empowerment) et tend à réduire l'impact sur
l'environnement. Le Gouvernement malgache a compris les enjeux de ce tourisme
alternatif et responsable par ce qu'il peut apporter au développement du
pays. Cependant, son succès est étroitement liée à
d'autres éléments indispensables à son
fonctionnement : améliorer les infrastructures de communication
(routes, aéroports, télécommunications, Internet, etc.),
faciliter l'accès à l'île (transport aérien et
maritime plus développé et moins coûteux), créer une
stratégie et une identité touristique nationale, soutenir les
initiatives locales ou mieux structurer et organiser le secteur
écotouristique (création de labels, mise en place d'une charte
qualité, professionnalisation, etc.). Cette activité
n'étant qu'à ses débuts, un bilan de réussite est
encore difficile à établir. Cependant, si la volonté de
Madagascar de faire de l'écotourisme un moteur de lutte contre la
pauvreté est bien affirmée dans l'ambitieux MAP, les moyens
déployés suffiront-ils à soutenir l'ensemble des
engagements ? Comment les acteurs locaux pourront-ils gérer cette
augmentation progressive de la demande écotouristique ? Une
stabilité politique ne serait-elle pas une condition essentielle au
l'établissement de bases saines pour un développement
durable ? Les politiques adoptées durant les prochaines
années devraient être déterminantes quant à l'issue
de ces questions.
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