V.2. De nouvelles formes de contrôle social et
stratégies des acteurs
Le changement dont il est question dans cette étude
doit être compris comme un « phénomène
systémique », pour utiliser les termes de Michel Crozier et Erhard
Friedberg, toutefois non plus en référence au contexte
bureaucratique mais à l'ensemble de la société. Or toute
société présente les propriétés d'un
système, c'est-à-dire avec des éléments en
relations d'interdépendance, ce qui permet de parler en sociologie de
système social. Ce système qui est toujours dynamique
connaît des transformations dans le temps et l'espace, changeant ainsi de
nature, c'est-à-dire de forme et de caractère. C'est ainsi que
dans le Département de Toma les nouvelles formes de contrôle
social, les nouvelles règles de gestion de l'environnement mises en
place par les services étatiques viennent remplacer les anciennes normes
du système traditionnel. Les coupeurs de bois sont non seulement sous la
surveillance des propriétaires terriens et des chefs coutumiers mais
aussi sous celle des agents du service forestier administratif. En outre, une
catégorie de personnes désignée par le service forestier
et appelée « les informateurs » est dissimulée dans les
populations villageoises, avec pour rôle principal de fournir des
informations sur les coupeurs d'arbres. Dans la perspective de notre
étude du changement social, la mise en place d'un tel système
confirme bien l'analyse de Crozier selon laquelle le changement est «
transformation d'un système d'action », en d'autres termes
« pour qu'il y ait changement, il faut que tout un système
d'action se transforme, c'est-à-dire que les hommes doivent mettre en
pratique de nouveaux rapports humains, de nouvelles
formes de contrôle social ».82
Le nouveau système de contrôle et de gestion environnementale
implique une multitude d'acteurs, dans la mesure où il tente d'impliquer
les responsables coutumiers malgré les contradictions et les
conflits.
En effet, les incompréhensions entre les agents
forestiers et les populations locales rendent leurs rapports conflictuels. De
plus, du côté des populations, on enregistre la crainte ou la
peur. Le directeur provincial de l'environnement et du cadre de vie nous
confiait ceci dans l'entretien que nous avions eu avec lui : « La
tenue militaire, avec l'arme à côté, compromet la
sensibilisation ».83 Il va alors de soi que dans un tel
climat de relations, les différents acteurs développent des
stratégies multiples. C'est ainsi que de leur côté, les
coupeurs d'arbres ont plusieurs manières de les abattre et de les
transporter pour la vente. Nous ont été citées les
méthodes qui consistent à faire un trou dans le tronc de l'arbre
pour qu'il crève plus tard ou encore à passer au feu le bois vert
afin de laisser croire à l'agent forestier qu'il provient d'un nouveau
champ défriché. Une autre stratégie est de camoufler les
instruments de coupe du bois dès qu'on entend le bruit de la moto de
l'agent forestier et de jouer au passant. Pour les stratégies de
transport du bois, la circulation se fait la nuit entre 2 h et 3h du matin ou
bien dans la journée à 13 h, heure où l'agent forestier
est descendu de travail. Les coupeurs de bois se passent également les
permis de coupe. De leur côté aussi, les agents forestiers tentent
de surprendre les coupeurs ou transporteurs de bois en flagrant délit.
D'où l'institution d'informateurs par village, l'abandon du port de la
tenue militaire, le déchirement du permis de coupe pour qu'il ne serve
pas pour plusieurs transports de bois.
Ainsi, contrairement à notre hypothèse disant
que plus les autorités administratives taxent la coupe de bois, plus les
populations développent des stratégies raffinées
d'exploitation des ressources ligneuses, il apparaît clairement ici que
le raffinement des stratégies est plutôt fonction du degré
de coercition du contrôle exercé par les autorités
administratives sur les populations. En somme, les rapports entre les agents
forestiers et les populations paysannes, surtout les coupeurs d'arbres, sont
faites de surveillance mutuelle. Dans cette relation de surveillance
apparaît comme dit Crozier « un jeu de pouvoir et d'influence
auquel l'individu participe et à travers lequel il affirme son existence
malgré les contraintes ».84 Le
phénomène du déboisement a contribué aussi au
développement des capacités d'adaptation dans l'espace
naturel.
82 CROZIER, M., FRIEDBERG, E., op. cit., p.
383.
83 Entretien du 9/08/2010.
84 CROZIER, M., FRIEDBERG, E., op. cit., p. 386.
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