IV.3. L'insécurité alimentaire et
sanitaire
L'insécurité alimentaire et sanitaire fait
partie des conséquences du déboisement dans le Département
de Toma. Les populations ont conscience de cette réalité comme
risque du déboisement. « C'est la coupe du bois et les feux de
brousse qui font que la brousse est finie, s'exprime un de nos
enquêtés septuagénaire. Il n'y a plus de gibier sauf
les perdrix, le lièvre même a disparu. Les sols sont morts, nous
ne gagnons plus du mil comme autrefois. C'est tout cela qui amène la
famine. »77. Un autre s'exprime : « Tant que nous
n'arrêterons pas la préparation du dolo, la famine ne finira pas
chez nous ; c'est le dolo qui fait que les gens coupent la brousse
(entendre par brousse les arbres) ».
De fait, les populations du Département de Toma
connaissent des périodes de graves pénuries
céréalières qu'elles imputent aux caprices de la
pluviométrie dont la conséquence serait un déficit
céréalier. Or, la part de céréales injectée
dans la préparation du dolo durant toute l'année n'est
pas négligeable. La récurrence de la pénurie est telle que
certains villages, comme Sien (à 7 km de Toma), se sont organisés
et ont mis en place une banque de céréales. Mais très peu
de paysans mettent un lien entre les arbres et la pluie. Pour la
majorité, surtout ceux qui n'ont pas été à
l'école, la pluie est une création de Dieu que l'homme ne saurait
expliquer. De fait, dans la langue san les termes « Dieu »
et « pluie » ont la même racine : Dieu = Lawa ; pluie =
lamou (La : Dieu, mou : eau ; d'où l'eau de Dieu). D'une
manière générale, pour les Sanan s'il y a
sécheresse ce n'est pas parce qu'il y a savanisation suite à la
déforestation mais plutôt parce que quelqu'un a offensé la
nature ; et généralement parce qu'il y a eu rapport sexuel dans
la nature. A chaque hivernage, il n'est pas rare d'entendre la rumeur circuler
d'un village à l'autre que quelqu'un a eu des rapports sexuels en
brousse.
76 ROCHER, G., Introduction à la sociologie
générale, T. 3, Le changement social, Ltée,
Éd. HMH, 1968, p. 110.
77 Enquête réalisée à Sien
le 09/08/2010.
Tant que les populations ne mettront pas de lien entre la pluie
et l'arbre la menace de l'insécurité alimentaire sera
omniprésente.
De leur côté, les phytothérapeutes
interrogés sont unanimes pour dire leur difficulté à
trouver de plus en plus certaines plantes médicinales. « Avant,
il suffisait de sortir derrière la maison pour trouver une plante et
soigner rapidement un enfant. Aujourd'hui, il faut aller loin et parfois il
faut des jours de promenade en brousse avant de trouver la plante que tu
cherches »78. Ces propos révèlent une
exposition dangereuse des populations rurales aux maladies tropicales dans un
contexte général de pauvreté où celles-ci peinent
à payer les frais des ordonnances médicales des centres de
santé. Or, « La déforestation modifie le mode de vie des
populations autochtones. En plus d'une déstructuration potentielle de
ces sociétés, le défrichement de la forêt favorise
la diffusion du paludisme et de la fièvre jaune
».79
Dans le fond, le déboisement est non seulement une
menace pour la stabilité écologique mais pour les populations
exposées à l'insécurité alimentaire et sanitaire
parce que la production agricole a baissé et que les produits
phytosanitaires sont rares. La conséquence logique de la rareté
des plantes médicinales est la disparition progressive de la science
médicale locale et la dépendance des populations au
système pharmaceutique moderne. C'est pourquoi le déboisement est
un facteur sérieux de changement social qu'il convient d'analyser dans
le prochain chapitre.
78 Enquête réalisée à Koin,
le 18/08/2010.
79 ENTREPRISES POUR L'ENVIRONNEMENT, Problèmes
d'environnement. Dires d'experts, Éd. Entreprises pour
l'environnement, 1996, p. 18.
CHAPITRE V : DÉBOISEMENT ET CHANGEMENT SOCIAL
DANS LE DÉPARTEMENT DE TOMA
L'étude des conséquences du déboisement
dans le Département de Toma nous permet à présent de
dégager les éléments qui en font un facteur de changement
social dans cette localité du Burkina Faso. A cet effet, une analyse
sociologique profonde de la structure sociale s'impose. D'ailleurs, Claude
Rivière écrit : « Le changement social se
détermine positivement comme phénomène à la fois
historique, collectif et structurel affectant l'organisation sociale, sinon
dans sa totalité, du moins dans certains de ses composantes
».80 Le changement induit par le déboisement dans le
Département de Toma se traduit en un changement de valeurs, en de
nouvelles formes de contrôle et un développement des
capacités d'adaptation dans l'espace.
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