III.2.5. La croissance démographique et la
pauvretéPlus une population croît, plus sa pression sur les
ressources naturelles est grande.
C'est ainsi que dans le Département de Toma la
croissance démographique explique en partie le déboisement. Comme
nous l'avons signalé plus haut (Cf. II.1.3), le taux de croissance
démographique du Département est de 2,37%. Dans ce milieu rural,
les besoins en nouveaux champs pour l'agriculture tout comme d'autres besoins
d'ordre économique ne manquent pas. Il est clair donc que la
densité de la population ou, pour utiliser les expressions de Durkheim,
« le volume de la société, et le degré de
concentration de la masse ou...la densité dynamique
»63 ne sont pas sans effets dommageables à
l'environnement naturel. En effet, pour Durkheim, « tout accroissement
dans le volume et dans la densité dynamique des sociétés,
en rendant la vie sociale plus intense, en étendant l'horizon que chaque
individu embrasse par sa pensée et emplit de son action, modifie
profondément les conditions fondamentales de l'existence collective
».64 Dans cette perspective durkheimienne, le
déboisement comme fait social dans le Département de Toma,
s'explique comme une conséquence de l'accroissement démographique
et une forme de division du travail. Dans la province du Sourou (à 40 km
de Toma) plus que dans le Nayala, les migrations accélèrent la
croissance démographique ainsi que la pression sur le milieu naturel.
Certes, dans les villages où les Mosse sont installés,
les autochtones se plaignent du fait qu'ils coupent même les arbres
fruitiers. « Les Mosse sont dangereux pour les arbres. Là
où ils s'installent, ils déblaient tout autour d'eux. Ils aiment
beaucoup la sauce du kapokier (Bombax costatum) mais pour cueillir les
fruits du kapokier, ils coupent les branches. Quand un mossi s'installe dans un
village, il fait venir d'autres parents. C'est pour cela que certains
villages les refusent. Il y a une seule famille mosse à Oury, les gens
n'acceptent pas de donner leurs terres aux nouveaux arrivants
»65. Il nous faut signaler ici que les populations rurales
ont peut-être conscience des risques de la migration pour
l'environnement, mais leur refus de donner leurs terres aux migrants ne vise
pas à protéger la nature mais à conserver leur
patrimoine.
Par ailleurs, parce qu'il n'y a pas d'unité
industrielle à Toma, la population n'a principalement pour source de
revenu que la production agro-pastorale. Le revenu des ménages ne suffit
pas à faire face aux besoins multiples de la vie moderne : santé,
scolarité des enfants, etc. Ces nouvelles contraintes de la vie poussent
les populations villageoises à faire une forte pression sur les
ressources naturelles. Dans ce cas, le déboisement devient une
manifestation de la pauvreté dont on peut faire une approche objective
basée sur une donnée
63 DURKHEIM, E., Les règles de la
méthode sociologique, 13ème édition,
Paris, PUF, 2007, p. 112.
64 Ibidem, p. 114.
65 Un enquêté de Sien, le 10 août
2010.
quantitative (monétaire ou non) et une approche
subjective basée sur la perception que les populations ont de leurs
conditions d'existence. S'agissant de l'approche objective, il nous a
été donné de constater que beaucoup de greniers dans les
villages ne sont plus remplis de céréales comme autrefois et
même que les greniers nouvellement construits ont des dimensions
réduites par rapport aux anciens. Et pourtant le peuple san,
qui est agriculteur, mettait sa fierté dans la taille et le nombre de
greniers pleins construits en devanture des concessions pour plus de
visibilité (Voir photo, Annexe 6). Consommer le mil
récolté la même année était jadis signe de
honte. Or, de nos jours, rares sont les greniers qui ne sont pas vides avant le
mois d'août. Quant à l'approche subjective, un charretier, vendeur
de bois depuis 15 ans, donnait son point de vue sur les raisons de ce
métier, en ces termes :
« Au Burkina, qu'est-ce que le paysan a comme
ressource ? Rien. J'ai cultivé le coton, mais le prix
élevé des engrais m'a appauvri. Je me suis même
endetté pour rembourser. Le mil ne murit pas bien ; et si tu
élèves des poules, la maladie vient les tuer. Avant, il n'y avait
pas de maladie de poules de la sorte. La vie est devenue chère.
Même avec la vente du bois, je ne gagne rien. Parfois même, avant
de livrer le bois à la préparatrice de dolo, je prends une avance
avec elle pour résoudre mes problèmes. Le jour de la livraison je
n'ai rien ».66
On voit bien que pour justifier son métier de vendeur
de bois, notre enquêté peint en noir la vie économique des
paysans du Burkina entier. Certes, la pauvreté est une
réalité qui peut être aggravée en zone rurale par
les aléas climatiques influant directement sur les rendements agricoles,
mais elle ne justifie pas la vente de bois. C'est parce qu'il y a une demande
de bois sur le marché qu'il y a offre, c'est-à-dire vente, et par
conséquent coupe de bois.
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