CHAPITRE III : Problématique
La lutte contre la pauvreté constitue de nos jours
l'une des plus grandes préoccupations de l'humanité. C'est ainsi
qu'au sortir du sommet du millénaire de Septembre 2000 mené sous
la houlette du PNUD, la communauté internationale s'était
fixée comme objectif de réduire la pauvreté de
moitié d'ici 2015. La principale stratégie retenue à
l'époque pour atteindre cet objectif était le
développement du capital humain par le renforcement des capacités
des principaux acteurs au développement et la promotion de la croissance
économique. Cette croissance économique devrait passer par la
mobilisation de ressources vers les secteurs capables de contribuer de
manière forte et soutenue à la réduction de la
pauvreté. L'agriculture avec les nombreuses activités qui
gravitent autour d'elle est l'un des meilleurs secteurs à même de
contribuer à la réalisation de ces objectifs.
En effet l'économie des pays pauvres et de l'Afrique en
particulier est dominée par l'agriculture. Ce secteur occupe plus de la
moitié de la population active et représente plus de 34% du PIB
et 40% des exportations de marchandises des pays d'Afrique
subsaharienne30.
Au Sénégal l'agriculture joue un rôle
prépondérant dans la vie socio-économique. Le secteur
agricole absorbe près de 70 % de la main-d'oeuvre et l'écrasante
majorité des ménages ruraux se consacre à l'agriculture
qui lui procure sa première source de revenu. L'agriculture, en l'an
2000 constituait également 17 % du PIB (Document de Stratégie de
Réduction de la Pauvreté - DSRP, 2002).
Malgré tout, le secteur agricole reste confronté
à d'énormes difficultés qui l'empêchent d'assurer
convenablement sa mission. En effet d'une part, l'agriculture nourrit de moins
en moins la population car les productions deviennent de plus en plus
déficitaires et d'autre part l'élevage connaît des
difficultés qui ne permettent pas au troupeau d'être aussi
productif.
Ces difficultés sont apparues pour la plupart d'entres
elles à la suite de la sécheresse des années 70 mais ont
été amplifiées par d'autres facteurs qui différent
d'une région agroécologique à une autre.
30 Pierre Debouvry : Les enjeux de
la formation professionnelle agricole rurale en Afrique de l'ouest
francophone
Dans la région nord du Sénégal (Louga,
Matam et Saint Louis) se trouve l'une des plus importantes zones
agro-écologique du pays où élevage et agriculture
constituent les principales activités économiques. Cette zone
appelée Ferlo a connu dans son histoire deux grands moments qui ont
fondamentalement modifié son paysage et son économie. En effet,
le Ferlo jadis zone d'éleveurs nomades, voit à la suite des
années 50 avec l'apparition des premiers forages hydrauliques des
populations de sédentariser et du coup s'adonner également
à l'agriculture pluviale. Cette dynamique sera stoppée à
partir des années 70 avec le début des sécheresses
successives qui vont ôter à ce milieu presque toute sa population
et ainsi appauvrir le secteur agricole (agriculture et élevage).
Par ailleurs, située dans le Proche Jééri
donc en étroite relation avec le Walo, notre zone d'étude, avec
l'importance de l'élevage et de l'agriculture se trouve être l'une
des plus agricoles de tout le Ferlo. Malheureusement, plusieurs facteurs
concourent depuis quelques années à la fragilisation de ces
secteurs d'activités qui sont d'une grande importance car occupant plus
de la moitié de la population locale. Parmi ces facteurs, nous avons
:
c La faiblesse et la variabilité de la
pluviométrie : en 20 ans le Ferlo a connu une
dizaine de sécheresses dont les plus grandes sont celles
de 1973, 1983, et 2002 ; c La saturation et la dégradation des
terroirs : plus de 50% des terres de cultures
sont dégradées dans le Proche Jééri
;
c Faible niveau d'instruction des exploitations agricoles qui
peut être un facteur important au conseil agricole et rural; 91,3% des
exploitations n'ont pas le niveau d'éducation du primaire ;
c L'accès difficile au système de crédit
commun à l'agriculture et à l'élevage ;
c Le mode d'élevage essentiellement extensif dans le
Ferlo où l'alimentation du
cheptel est basée sur les pâturages naturels soumis
aux aléas climatiques ;
c La faiblesse de l'investissement public et privé dans
le secteur qui se traduit par
l'insuffisance des infrastructures de base (piste de production,
ouvrage
hydraulique, unité de transformation et de conservation)
;
c L'absence d'une sécurisation foncière pour les
activités pastorales (car l'élevage n'est pas
considéré comme un mode de mise en valeur de la terre par la loi
sur le domaine national) ;
c Le sous équipement et le faible niveau de
technicité des producteurs ; c Les insuffisances dans la politique de
formation des éleveurs.
Malgré toutes ces difficultés qui menacent le
secteur agricole, l'État ne cesse de mener des politiques de
développement en vue de permettre à ce secteur de jouer
pleinement son rôle c'est à dire celui de fer de lance de
l'économie.
Parmi ces politiques et stratégies agricoles, il y a eu
la Nouvelle Politique Agricole (NPA) mise en oeuvre en 1984 et qui avait pour
objectif de réaliser la couverture des besoins céréaliers
à hauteur de 80%. Après cette NPA, dans les années 1990
est survenu le Programme d'Ajustement Sectoriel Agricole (PASA) avec comme
objectifs la recherche de la sécurité alimentaire, du foncier et
la promotion de l'investissement privé. A côté de ces
politiques agricoles, il y'a eu les Lettres de politique du
développement du secteur agricole et de l'élevage qui sont des
cadres institutionnels dressés par l'autorité publique dans le
but de mobiliser des moyens (humains, matériels et administratifs) afin
de promouvoir davantage le développement de ces deux secteurs, ceci en
responsabilisant les différents ministères et les principales
directions concernées par ces secteurs. C'est ainsi que l'État a
eu à mettre sur pied le PSAOP (Programme de Services Agricoles et
d'Appui aux Organisations Paysannes). Celui-ci devrait permettre de mieux
rentabiliser le secteur de l'élevage par la formation des
éleveurs et l'équipement des zones pastorales entre autres le
Ferlo.
Ces différentes politiques et stratégies agricoles
(marquées par un désengagement de l'État,
privatisation et/ou restructuration des entreprises publiques
et parapubliques, responsabilisation des agriculteurs, libéralisation
des prix et des marchés, décentralisation, incitation à
l'investissement privé en milieu rural) n'ont pas permis d'enrayer le
déficit de la balance commerciale des produits alimentaires et de
réduire la pauvreté dans la zone agro-sylvo-pastorale.
Ainsi donc malgré toutes les politiques
élaborées par l'État dans le développement du
secteur agricole , le monde rural et en particulier la zone
agro-sylvo-pastorale du Ferlo reste caractérisée par une petite
agriculture pratiquée sous pluie et un élevage extensif peu
structuré. Toutes ces deux activités souffrent d'énormes
contraintes dont la non moins importante est le faible niveau d'instruction et
de formation des différents producteurs.
Ayant tiré une bonne leçon des échecs de
ces différentes politiques et mesures, l'État par
l'intermédiaire de la Loi Agro-sylvo-pastorale (LOASP) a
élaboré une nouvelle vision du développement du secteur
agricole. Celle-ci est clairement définie dés le préambule
de cette loi « les orientations du secteur agricole portent sur la
création d'un environnement attractif et incitatif en milieu rural qui
vise la transformation de l'agriculture familiale en appuyant la promotion de
l'exploitation agricole familiale par le passage de systèmes extensifs
de production à des systèmes intensifiés,
diversifiés, durables et respectueux des ressources naturelles ; elles
visent aussi à favoriser l'émergence d'un entreprenariat agricole
et rural >>. Pour ce faire, le développement agro-sylvo-pastorale
passe par une stratégie de diversification des productions agricoles,
l'augmentation de la productivité et de la compétitivité
des exploitations agricoles sur une base durable, avec comme mesure
d'accompagnement, le développement d'une économie non agricole en
milieu rural >>31. Cette nouvelle orientation de la politique
agricole est axée sur l'investissement humain. C'est ainsi qu'à
travers cette même loi, on note que l'État met l'accent sur la
formation des acteurs du secteur agricole : « L'éducation,
l'alphabétisation et la formation constitue des leviers
stratégiques pour la modernisation de l'agriculture...32
>>. Cette nouvelle approche de l'État lie le développement
de l'agriculture au développement de l'agriculteur par
l'éducation et la formation. C'est dans ce sens que l'Etat a mis sur
pied la Stratégie Nationale de Formation Agricole et Rurale (SNFAR) pour
améliorer la qualité du capital humain et des exploitations
agricoles. La SNFAR est un outil de politique agricole élaborée
par l'État et les partenaires au développement en concertation
avec les acteurs du secteur agricole.
La SNFAR et la LOASP sont les derniers actes posés par
les autorités publiques pour améliorer la qualité du
capital humain afin de réussir le développement du monde rural ou
plus particulièrement du secteur agricole.
Toutefois pour ne pas revivre la même situation dans le
Ferlo que lors des précédentes stratégies et politiques de
développement ou de redressement du secteur agricole, l'État
avant de se lancer dans une quelconque politique d'éducation et de
formation agricole doit d'abord s'investir dans la connaissance des pratiques
paysannes. En effet, comme le
31 Préambule de la LOASP
adoptée par l'assemblée national le 25 Mai 2004
32 Article 62 de la LOASP
dit Pierre-Marie Découdras << une connaissance
plus fine des pratiques paysannes devrait (...) constituer un préalable
nécessaire à la conception et à la mise en oeuvre des
projets de développement, permettant de mieux raisonner les choix
à faire en matière de changement technique et d'action à
entreprendre sur le milieu naturel dont l'appréciation ne peut
être dissociée de celle de la perception qu'en a la
société concernée qui l'utilise »33 .
Cette assertion met en évidence l'importance qu'il faut accorder
à une étude préalable du monde rural ou
précisément des exploitations agricoles notamment de la zone
agro-sylvo-pastorale pour tout projet de développement les concernant et
surtout les projets d'éducation et de formation car comme le souligne
toujours le même auteur << sans développement des
exploitations, il ne saurait y avoir développement agricole ». En
outre, l'analyse des pratiques paysannes permettra de connaître les
véritables besoins des exploitations agricoles dans tous les secteurs du
développement et notamment dans celui de l'éducation et la
formation agricole et de réduire du coup le décalage entre les
offres en formation agricole et les demandes des agriculteurs.
Ainsi, il s'avère plus que nécessaire de
résorber le manque de formation des agriculteurs d'une part et le
déficit d'éducation au sein des exploitations agricoles d'autre
part mais tout ceci dans le cadre d'une concertation avec ces populations car
<< il faut préparer l'ensemble des populations rurales à
être les acteurs de leur propre développement, à prendre en
charge leur avenir et à se constituer en partenaires et interlocuteurs
des différents agents économiques »34.
Pour cela, il nous faut s'interroger sur les demandes des
exploitations agricoles en matière d'éducation et de formation en
vue d'y apporter des solutions de façon homogène et non
disparate. Sachant déjà qu'en 1982 la Banque Mondiale estimait
que les agriculteurs et les travailleurs indépendants ont une
contribution économique plus grande s'ils sont instruits35.
Il urge de réfléchir donc sur une politique de formation et
d'éducation des agriculteurs basées sur leurs propres demandes et
non sur des programmes réfléchis depuis les bureaux des services
étatiques ou des bailleurs de fonds.
33 Découdras Pierre-Marie :
A la recherche des logiques paysannes, Editions Karthala 1997
34 Debouvry Pierre : Demain le
paysan, enfin protagoniste de son développement ?
35 Rapport Banque Mondiale de 1982
intitulait : Le développement accéléré en Afrique
au Sud du Sahara ; programme indicatif d'action
Par ailleurs selon la théorie du capital humain «
l'éducation et la formation sont considérés comme des
investissements que l'individu effectue rationnellement en vue de la
constitution d'un capital productif inséparable de sa personne ».
Dés lors, on ne peut faire une étude sur l'éducation et la
formation en milieu rural sans connaître les perceptions et les logiques
de l'agriculteur en matière d'éducation et de formation d'une
part et le lien qui existe entre cette perception et les revenus de
l'agriculteur d'autre part. Ceci est d'autant plus important dans le Ferlo
où les populations sont très nomades et très
méfiantes sur tout ce qui concerne l'éducation et la formation.
Autrement dit, pour une recherche plus approfondie de cette
problématique, il est nécessaire de ne pas se limiter à
une étude de l'impact de l'éducation et de la formation dans le
secteur agricole mais d'aller jusqu'au bout des logiques paysannes,
c'est-à-dire expliquer la relation qui existe entre le niveau de revenu
des exploitants agricoles et le niveau de formation et d'éducation de
ces derniers. Cependant le niveau de revenu ne saurait à lui seul
expliquer les comportements des exploitations agricoles en matière
d'éducation et de formation. En effet il est important d'y associer
l'aspect sociologique car cette zone à majorité peul est une zone
de forte transhumance car les peuls le plus souvent ne font que suivre
l'évolution du pâturage. Lors de ces transhumances, ces
populations se déplacent avec toute leur famille et donc avec leurs
enfants qu'ils retirent tout bonnement du système éducatif. Ainsi
s'il est important de connaître la relation entre le faible niveau
d'étude et de formation et les niveaux de revenu des exploitations
agricoles de la zone du Ferlo, il est impératif de faire une
étude sociologique en amont pour bien comprendre les pratiques des
exploitations.
C'est dans ce cadre que s'inscrit cette étude
commanditée par le Bureau de Formation Agricole Professionnelle (BFPA)
exécuté parle le Centre Nationale d'Eude des Régions
Chaudes (CNEARC) et l'École Nationale d'Économie Appliquée
(ENEA) avec l'appui technique du Projet d'Autopromotion du Pastoralisme dans le
Ferlo (PAPF). Dans le but de bien étudier ce thème, notre
mémoire se fixe les objectifs suivants :
Question de recherche :
Le niveau de revenu des exploitations agricoles de l'Unité
Pastorale de Bélél Bogal joue t-il un rôle dans leurs choix
en matière d'éducation et de formation ?
Pour aboutir à la réponse de cette question de
recherche, il nous faut trouver d'abord des réponses à ces
interrogations :
c Quelles sont les différentes activités agricoles
des exploitations agricoles de l'unité pastorale de Bélél
Bogal ?
c Quels sont les revenus de ces exploitations agricoles ?
c Quelles sont les préoccupations de ces exploitations
agricoles en matière d'éducation et de formation ?
Objectif général :
Évaluer les revenus des agriculteurs de l'unité
pastorale de Bélél Bogal, leurs demandes de formation et
d'éducation et leurs capacités contributives.
Objectif spécifique 1 :
Connaître les niveaux de revenus agricoles, et surtout
pouvoir les mettre en relation avec différentes catégories
d'exploitations, selon leur dotation en facteurs de productions et la
combinaison d'activités pratiquées;
Objectif spécifique 2 :
Comparer ces niveaux de revenus aux besoins vitaux et sociaux et
à d'autres revenus hors agricoles éventuellement;
Objectif spécifique 3 :
Déterminer les coûts directs et indirects de
l'éducation et de la formation en fonction des revenus
générés par l'agriculture ;
Objectif spécifique 4 :
Analyser la demande d'éducation et de formation des
exploitations agricoles en fonction de leurs capacités contributives.
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