Discussion
Croissance - Mortalités
La croissance observée en baie de Quiberon en eau
profonde est très importante. Pour comparaison, le taux de croissance
printanier des huîtres de Marennes-Oléron est 0.18g poids sec/mois
(données « Morest » Soletchnik et al. [3]) tandis
qu'il atteint 0.38g poids sec/mois en baie de Quiberon pour la station QB05.
Les mortalités sont faibles pour les stations 2 et 5 et sont
relativement régulières (environ 20% sur une année),
tandis que la station 4 a subi une forte mortalité pendant cette
première année d'élevage au sol (Figure 8). La
présence sur ce site de nombreux bigorneaux perceurs pourrait être
une des explications à ce taux de mortalité. La perte de poids de
l'ensemble des animaux pendant l'été correspond principalement
à l'émission de gamètes. Par ailleurs, on observe des
différences au niveau physiologique des huîtres stockées
sur l'estran qui ont subi l'exondation et qui ont été
resemées en mars. La taille moyenne et le poids sec moyen de ces
huîtres sont beaucoup plus faibles (annexe 2). Les réserves
énergétiques sont plus faibles, le niveau de métabolisme
énergétique est également plus faible tandis que le
métabolisme oxydatif est davantage activé par rapport aux
huîtres cultivées en pleine eau. Tous ces éléments
attestent du fait que les huîtres resemées ont été
ou sont, dans ces nouvelles conditions environnementales, stressées et
ne sont pas comparables aux huîtres des autres stations.
Mesures des réserves
énergétiques
Les réserves d'énergie chez l'huître
creuse sont principalement constituées de glycogène et de
lipides. Le taux de lipides suit essentiellement la
gamétogénèse, les gonades ayant le plus fort taux de
lipides dans l'organisme. La baisse du taux de lipides entre juillet et
septembre 2008 (Figure 9) concomitante à la perte de poids sec peut
correspondre à la ponte. Le taux de lipides est en accord avec les
données bibliographiques [12]. Concernant les glucides totaux, les taux
sont classiques pour cette espèce qui est connue pour stocker beaucoup
de glucides par rapport à d'autres huîtres comme l'huître
plate par exemple [12, 13]. Les huîtres n'ont pas encore commencé
à stocker des sucres en mars. On note également un taux de sucres
plus faible pour les nouveaux individus de la station 04 arrivés en
mars.
Mesures des activités enzymatiques du
métabolisme énergétique
L'activité PK pendant juillet et septembre est assez
faible (100-150mU/g poids frais) comparée aux taux mesurés en
condition contrôlé normoxie-hypoxie qui sont plutôt de
l'ordre de 500-700mU/g poids frais. L'activité PK plus
élevée en mars atteste que la glycolyse fonctionne bien à
cette période et pourrait correspondre à la présence de
ressources nutritives dans l'environnement.
Les données de CS sur Crassostrea gigas dans
la littérature montrent des activités comparables aux
nôtres (Activité CS de 1.5mU/mg ph soit environ 50mU/mg prot. pour
Fields et al. [11], activités de 0.8mU/mg ph soit environ 30mU/mg prot.
pour Dunphy et al. [13]). Les valeurs de CS estivales paraissent tout de
même plus élevées pour les échantillons Riscosol
(~60mU/mg prot.) que les échantillons témoins de la manipulation
hypoxie (~20mU/mg prot.) ce qui peut s'expliquer par le stress environnemental
naturel (marées, sédiment,...) subi par les huîtres par
rapport à des conditions en milieu contrôlé en
laboratoire.
L'absence de hausse de la CS en mars peut signifier que les
produits de la glycolyse ne sont pas essentiellement utilisés pour les
dépenses energétiques de l'animal. Ils peuvent être
orientés vers des voies de stockages (synthèse lipidique par
exemple) ou pour la gamétogénèse. Des niveaux faibles
d'activité Citrate Synthase peuvent également être le signe
d'une contamination aux métaux lourds [14]. Hormis une contamination de
ce type, la CS (et le métabolisme plus généralement)
serait régulé par la température essentiellement [14].
Pour la PK, outre la température, plusieurs autres facteurs peuvent
participer à sa régulation. Le Moullac indique que
l'activité PK chez Crassostrea gigas peut être lié
au processus reproductif [6]. Les facteurs comme l'alimentation et le type de
métabolisme (aérobie/anaérobie) seraient également
liés aux variations saisonnières de l'activité PK [15].
Des conditions limitantes d'oxygène pendant
l'été 2008 pourraient provoquer la baisse de l'activité PK
aux niveaux mesurés. La baisse de l'activité PK a
été plusieurs fois confirmée en condition hypoxique [6,
16]. L'influence de l'hypoxie sur l'activité Citrate Synthase est
contradictoire selon les auteurs dans la littérature. Certains montrent
la baisse de l'activité en condition hypoxique chez E. Coli [17] ou chez
le rat [18], tandis que d'autres études montrent l'inverse chez les
bivalves marins [19]. Nos résultats pour l'expérimentation
hypoxie tendent à confirmer la hausse de l'activité CS en
condition d'hypoxie chez l'huître creuse.
La réponse de ces deux enzymes à l'hypoxie est
donc totalement différente. Cela contribue à expliquer le
découplage observé entre les données de PK et CS.
Il n'y a pas de variations saisonnières de
l'activité PEPCK. L'activité PEPCK est connue pour ses faibles
variations d'activité, sa régulation étant surtout
allostérique. L'activité est principalement régulée
par les variations de pH observées en condition d'hypoxie ou
d'émersion qui influe sur le sens de la réaction. On note
toutefois une activité plus basse pour les huîtres issues de
l'estran de la station QB04 en mars.
Concernant l'activité CCO, la variabilité des
taux entre les différents réplicats biologiques est très
élevée. Elle correspond à une grande
hétérogénéité au sein de la population. Cela
est particulièrement mis en évidence pour la station 04 en
septembre 2008. A cette date, la station 04 est touchée par de fortes
mortalités. La probabilité d'échantillonner des
huîtres moribondes ou en état de stress est donc non
négligeable et pourrait correspondre à cette forte
différence entre individus. Une hausse de l'activité CCO pourrait
être liée à un stress environnemental. En effet, certains
résultats de « Morest » en conditions
contrôlées (hypoxie) montraient une augmentation de
l'activité ETS (mesure du transport d'électron de la chaîne
respiratoire) en été et en automne alors que la consommation
d'oxygène des huîtres en hypoxie a baissé de 70% [6]. Ce
résultat peut être expliqué par un processus de
compensation de l'huître qui essaye de maintenir le plus possible un
métabolisme aérobie. L'hypothèse d'une régulation
au niveau du gène est alors envisageable puisqu'une
sur-régulation de la sous-unité III de la cytochrome c oxydase a
été montrée dans la glande digestive d'huîtres
soumises à l'hypoxie [20]. Cependant, les résultats de nos
mesures de l'activité CCO sur les huîtres soumises à
l'hypoxie ne montrent pas de réponse de l'activité de la CCO
spécifiquement au manque d'oxygène. Cette différence entre
l'expression de gène et l'activité enzymatique pour la CCO en
condition d'hypoxie a déjà été discutée par
Ripamonti et al. Il s'étonnait de voir l'expression du gène
augmenter alors que l'activité baissait pour cette enzyme lors de ses
essais sur le rat [18]. De nombreuses étapes régulatrices entre
l'expression au niveau d'un gène et l'activité d'une
protéine existent et peuvent expliquer ce résultat.
L'activité CCO peut également être induite par une
contamination au cadmium [21]. L'activité CCO plus haute en
été serait davantage due à des facteurs comme la
température, l'hypoxie ou les métaux lourds qu'aux sulfures,
ceux-ci provoquant une baisse de l'activité CCO [22].
La corrélation entre les activités CS et CCO est
représentative du lien entre production du pouvoir réducteur par
le cycle de Krebs et le fonctionnement de la chaîne respiratoire. Marie
et al. [23] ont déjà montré ce type de corrélation
chez le ver hydrothermal Paralvinella g.. La CS et la CCO peuvent
être utilisées comme des indices du niveau de métabolisme.
La CS est même parfois considérée comme un indice de la
croissance de l'individu (chez l'huître creuse [13, 24].
Mesure des activités enzymatiques du
métabolisme oxydatif
La mesure de l'activité GPx a mis en évidence
des taux très faibles. Les activités étant à la
limite du seuil de détection, les données ne sont pas
interprétables. La faible activité GPx chez Crassostrea
gigas est tout de même un résultat important. Il confirme les
résultats de Valavanidis et al. [25] qui indique que l'activité
GPX est de deux ou trois ordres de grandeur plus faible chez les
invertébrés que chez les vertébrés.
Pour les échantillons Riscosol, aucune
différence d'activité de SOD n'est visible, aussi bien entre les
différentes stations qu'entre les différents points temporels. On
note toujours une activité différente pour le lot d'huître
provenant de l'estran (station QB04 en mars) ainsi qu'une plus grande
variabilité concernant les huîtres de la station 02 en table
(hors-sol). Pourtant la SOD répond assez bien à l'hypoxie, comme
le confirme nos analyses ainsi que les travaux de Monari et al. chez la petite
praire [26] ou Pannuzio et al. chez la littorine [27]. Nos données
confirment le schéma de réponse de l'activité SOD en
condition hypoxique décrit par Chen et al. chez le
pétoncle [28] : dans un premier temps, la SOD est activée
par l'hypoxie puis l'activité décroit rapidement à partir
de 7 jours d'hypoxie. Les faibles valeurs observées pour la SOD en Baie
de Quiberon ne plaident pas forcement en faveur d'un sédiment peu
anoxique tout au long de l'année car l'activité SOD varie
également avec la contamination par les pathogènes et la
pollution (chez la moule [29]). Box et al. [30] soulignent que la
rapidité d'adaptation de cette activité enzymatique à des
changements environnementaux en fait un bon biomarqueur de la qualité de
l'environnement.
L'évolution de l'activité catalase au cours de
l'année ne suit pas la tendance générale des autres
activités enzymatiques qui semblent indiquer que le métabolisme
de l'huître est plus actif en juin qu'en septembre. En effet, le taux de
catalase est globalement plus élevé en septembre qu'en juillet. A
cette date, les taux de catalase de l'ordre de 150-200U/mg prot. semblent assez
élevés par rapport aux taux mesurés en conditions
contrôlées de la manipulation hypoxie qui sont de 80-100U/mg prot.
La bibliographie donne aussi des activités catalase
généralement plus faibles : 20-60U/mg prot. dans la glande
digestive de la palourde [31], 80-100U/mg prot. chez la moule bleue [32].
La catalase est connue pour répondre assez bien aux
polluants [33, 34] mais très peu à l'hypoxie [35] ce que confirme
nos essais en conditions d'hypoxie. La variation observée dans le milieu
est peut-être due à un incident qui a remis de la vase en
suspension (grande marée, tempête, dragage,...) et qui a
provoqué ce pic en septembre. Cependant, les fluctuations
saisonnières de l'activité catalase peuvent également
varier en ce sens : on observe un pic de l'activité catalase chez
Mytilus galloprovencialis en novembre alors que l'activité est
minimale en mai (mesures sur les branchies, [36]). C'est pour cette
activité enzymatique que l'on dénote la plus grande
différence entre les différentes stations de la baie de Quiberon
à chaque date. Comme pour la GR, on pourrait associer ces
différences au gradient d'envasement des stations. Ici, la station 02
(la moins envasée) a le taux le plus faible de catalase tandis que la
station 05 présente le taux le plus fort.
Les activités de GR des huîtres de la baie de
Quiberon, en juillet et en septembre sont relativement basses (environ 3-4
mU/mg prot.) si on les compare aux taux de GR des huîtres témoins
pour l'expérimentation hypoxie qui atteignent 10mU/mg prot. Nos essais
montrent une baisse de cette activité en hypoxie conformément aux
travaux de Pannuzio et al. qui ont également relevé une baisse de
la GR chez la littorine en condition d'hypoxie : le taux d'activité
GR passe de 13.8#177;1.5 mU/mg prot. en normoxie à 8.3#177;0.8 mU/mg
prot. après 6 jours d'hypoxie [27].
La GR suit essentiellement le rythme de l'activité
métabolique de l'individu en temps normal, c'est-à-dire une
activité corrélée essentiellement à la
température ou à l'activité d'assimilation nutritive.
Manduzio et al. ont observé des fluctuations
saisonnières de GR chez la moule bleue avec un pic d'activité en
juin alors qu'elle est minimale pendant l'hiver [29]. Dans notre cas,
l'activité GR est moins importante en septembre et juillet qu'en mars.
Cela peut être expliqué par une reprise de l'activité
d'assimilation nutritive dès mars ou bien par la forte répression
de cette activité pendant l'été. La modification de
l'activité GR avec des conditions hypoxiques en été n'est
donc pas à exclure.
On peut noter également que pour cette activité
enzymatique, on retrouve une légère différence entre
stations (non significative sur le plan statistique) qui est
corrélée avec le taux d'envasement de la station. Cela est peut
être lié avec le rôle de la GR dans la détoxication
des xénobiotiques et des métaux lourds qui sont surtout
présents dans les sédiments.
La corrélation observée entre l'activité
PK et l'activité GR est surprenante car elle lie le métabolisme
oxydatif et la glycolyse et non la chaîne respiratoire. Le rôle de
la GR dans la production du glutathion réduit pourrait expliquer ce
lien. L'activité de filtration apporte à la fois des nutriments
et des matières en suspensions non nutritives. Ces dernières
peuvent être des métaux lourds ou des xénobiotiques. La
détoxication de ces composés faisant intervenir le glutathion, on
peut coupler ces activités de détoxications avec l'assimilation
de glucose qui dépend également du rythme de filtration.
Concernant le DPPH, on remarque que l'organisme mobilise ses
capacités antiradicalaires surtout en été ce qui est en
accord les travaux de Seguineau et al. chez Crassostrea gigas qui
montrent une baisse hivernale du taux de vitamines [37]. Le système
antioxydant non enzymatique, est principalement représenté par
des vitamines, mais certains acides aminés (cystéine
méthionine) ou le glutathion réduit (GSH) ont également un
rôle de défense contre les radicaux libres. En mars, le taux
très faible d'antioxydants peut être interprété par
le fait que l'animal n'a pas besoin à ce moment de l'année de
mobiliser des défenses antioxydantes. On peut considérer que des
conditions eutrophes du milieu devraient permettre une réaction rapide
des organismes en cas de stress. Toutefois certains antioxydants comme l'acide
ascorbique et le tocophérol n'interviennent pas dans le dosage DPPH
[38]. Le protocole utilisé ciblerait donc une partie des défenses
antiradicalaires qui n'est pas activée pendant le printemps.
Concernant les activités enzymatiques mesurées,
aucune différence significative n'est observée entre les
huîtres de la station 2 à plat sur le sédiment (QB02) ou en
surélevé sur table (QB-T) pour le prélèvement du
mois de mars. Cependant, la croissance des huîtres sur le sédiment
est meilleure : 1.43g de poids frais contre 1.09g pour les huîtres
surélevées en mars 2009 (table annexe 2). On observe aussi une
mortalité légèrement supérieure pour les
huîtres sur le sédiment (Figure 9). Cette mortalité
différentielle n'est peut être pas due à un stress
physiologique mais à facteur externe comme la prédation par
exemple. Il est probable que des différences entre les huîtres
surélevées et les huîtres au contact du sédiment
devront apparaître davantage au moment de l'épisode de
mortalité vers juin.
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