Paragraphe II : le rôle actif du Ministère
public aux audiences pénales
94. Les juridictions de jugement sont le TGI et le TPI. Elles
sont saisies par ordonnance de renvoi du juge d'instruction ou arrêt de
la chambre de contrôle de l'instruction, par une citation directe de la
partie civile ou du Ministère public, ou enfin, par la procédure
de flagrant délit. Les grands principes ici sont l'égalité
des armes et la présomption d'innocence. C'est cette dernière qui
déterminera le rôle du parquet dans la mesure où l'attitude
du prévenu ou de l'accusé modifie le déroulement de la
procédure.
Avec l'harmonisation de la procédure accusatoire du
CPO, le déroulement des débats est fonction de l'attitude de
l'accusé ou du prévenu. Lorsque le président du tribunal
entre dans la salle d'audience, il déclare l'audience ouverte et invite
l'assistance à s'asseoir. Le greffier audiencier fait appel des affaires
inscrites au rôle. Le président vérifie la présence
de chaque partie et de toute autre personne convoquée. La
présence du Ministère public est obligatoire à peine de
nullité de la procédure. Le code exige désormais la
présence de l'accusé ou du prévenu. Celui-ci ne peut
être absent que si la peine encourue en cas de condamnation est
inférieure à 2 ans d'emprisonnement. Au cas contraire, son avocat
ne sera invité qu'à donner les raisons de son absence et la
décision qui interviendra sera contradictoire à son égard.
Lorsque le président aura vérifié l'identité des
prévenus ou accusés, il leur communiquera sommairement les faits
qui leur sont reprochés et leur demandera s'ils plaident coupables (A)
ou non (B).
A. La passivité relative du Ministère
public en cas d'admission de sa culpabilité par la
défense
95. Lorsque le prévenu ou accusé plaide
coupable, le débat est bref. Le tribunal vérifie si cette
réponse n'est pas donnée par le prévenu ou l'accusé
pour sauver d'éventuels coauteurs ou complices, ou alors pour s'en
sortir au meilleur compte. Après ces vérifications, le tribunal
enregistre sa déclaration au plumitif d'audience. Le Ministère
public expose les faits de la cause, propose la qualification pénale et
énonce les dispositions légales applicables. La parole est
donnée à la partie civile pour présenter ses observations
sur les faits relatés par le Ministère
public. Enfin l'accusé ou le prévenu fait les
déclarations qu'il désire. Le tribunal se prononce soit en
acceptant la déclaration de culpabilité, soit en la rejetant.
Dans le premier cas, la parole est donnée à la partie civile ou
son avocat pour formuler sa demande en dommages et intérêts avec
justificatifs. Le Ministère public prend la parole pour produire le
casier judiciaire de l'accusé ou du prévenu et requérir
sur la peine et sur les dommages et intérêts. Le conseil de la
défense intervient éventuellement pour plaider les circonstances
atténuantes. Le prévenu ou l'accusé fait ses
dernières déclarations. Le tribunal déclare les
débats clos. La décision ne peut cependant jamais intervenir
à la première audience.
On remarque que lorsque le prévenu ou l'accusé
se déclare coupable, le Ministère public ne joue pas
véritablement un rôle actif. Ce qui est tout le contraire lorsque
la défense plaide non coupable. Car un débat contradictoire, oral
et public127 s'ouvre.
B. La mobilisation du Ministère public en cas de
refus de culpabilité par la défense
96. Le Ministère public sera tenu de soutenir
l'accusation par la production et la discussion des preuves (I) et
l'interrogatoire des témoins (II) lorsque le prévenu ou
l'accusé plaide non coupable.
I. La production et la discussion des preuves par le
Ministère public
Le code de procédure pénale de 2005 a
consacré le principe de production et de discussion contradictoire des
preuves128. Ce principe qui repose essentiellement sur le principe
de la présomption d'innocence, au regard de la relativisation de l'aveu
par l'article 315129 CPP, procède à une distribution
des taches. L'accusateur est débiteur principal de la preuve (a) la
défense, débitrice exceptionnelle (b) et le juge joue
essentiellement le rôle d'arbitre afin de découvrir la
vérité et de mettre de l'ordre à l'audience.
a. L'accusation, débitrice principale de la
preuve
97. L'article 307du code de procédure pénale
dispose que « la charge de la preuve incombe à celui qui a mis
en mouvement, l'action publique» cela s'exprime en latin par la
maxime « actori incumbit probatio ». Ceci veut dire qu'en principe
c'est l'accusateur qui doit rapporter la preuve de l'infraction dans ses
éléments constitutifs et établir la culpabilité
de
127 Ces trois caractères sont fondamentaux dans la
procédure à l'audience de jugement.
128 NKOLLO (P), la recherche et la production des preuves dans
l'avant projet du code de procédure pénale camerounais,
thèse dactylographiée de Doctorat 3ème cycle
Droit privé UY, p190.
129 Cet article dispose que l'aveu n'est pas admis comme
preuve s'il a été obtenu par violence, menaces, contraintes ou
contre promesse d'un avantage quelconque ou tout autre moyen portant atteinte
à la libre volonté de son auteur.
l'accusé ou du prévenu. Le Ministère
public n'étant pas forcement celui qui a mis l'action publique en
mouvement, il peut arriver qu'il soutienne plutôt la
défense130 en requerrant la relaxe ou l'acquittement du
prévenu ou du suspect.
Mais lorsque le Ministère public a lui-même mis
l'action publique en mouvement, il agit rarement sinon jamais pour la
défense du prévenu ou du suspect. Son travail consiste
généralement à établir la preuve des
éléments matériels de l'infraction ainsi que celle de
l'élément moral. S'il s'agit par exemple du vol, il devra
démontrer qu'il y a eu soustraction de la chose d'autrui, que cette
soustraction a été frauduleuse (éléments
matériels) et en plus, que l'auteur de la soustraction a eu pour
intention de s'approprier la chose (élément moral) ; il est
dispensé de l'obligation d'établir la preuve de la connaissance
par le prévenu ou l'accusé du caractère
répréhensible de ses actes : « Nul n'est censé
ignorer la loi ». Mais dans certains cas, ses investigations
devraient être beaucoup plus poussées dans la mesure où il
pourra être tenu, en fonction de la qualification qu'il a donnée
aux faits, d'établir en dehors du dol
général131, le dol spécial132 ou
alors le dol éventuel133.
98. Il existe tout de même des cas où le
législateur prévoit des présomptions de culpabilité
renversant ainsi la charge de la preuve, celle-ci devant être
désormais rapportée par la défense. En dehors de cela, il
est facile de constater que lorsque le Ministère public a mis l'action
publique en mouvement et qu'il y a également constitution de partie
civile, il est aidé par la partie civile. L'inverse n'étant pas
toujours vrai134.
99. Lorsque la preuve de l'infraction est rapportée
ainsi que celle de la culpabilité de l'accusé ou du
prévenu, celui-ci peut toujours se défendre. Il lui reviendra
dans ce cas de rapporter la preuve des moyens de défense qu'il pourra
invoquer.
b. La défense, débitrice exceptionnelle de
la preuve
La défense est tenue de rapporter la preuve des moyens
de défense qu'elle invoque : « reus in excipiendo fit actor ».
C'est dire que si le défendeur soulève une exception, il devra en
rapporter la preuve. Dans l'hypothèse où le défendeur
poursuivi pour meurtre invoque la légitime défense, il devra
établir qu'il faisait, au moment de son coup fatal, l'objet d'une
130 Il n'est pas simplement accusateur public ; il défend
aussi une grande cause : la vérité.
131 « Le dol général consiste à
savoir que l'acte qu'on va poser est défendu et à vouloir le
commettre » (NKOLLO (P), op. cit. p. 218
132 Le dol spécial est « l'intention
précise, requise par des Loi s particulières, comme
élément constitutif de certaines infractions à propos
desquelles le législateur incrimine généralement la
production d'un résultat déterminé » (MERLE
cité par NKOLLO (P), op. cit.p220
133 Le dol éventuel c'est le fait de poser un acte
recherchant un résultat précis tout en sachant qu'un autre
pourrait être atteint.
134 En fait il est constant de voir le membre du parquet
s'évertuer à combattre, après avoir établi la
preuve de l'infraction, à combattre les prétentions de la partie
civile en lui reprochant par exemple d'avoir organisé toutes les
circonstances pour se retrouver dans la situation de victime.
attaque menaçant son intégrité physique, sa
vie ou celles d'une autre personne et que sa réaction a
été proportionnelle à ladite attaque.
Par ailleurs, il peut être amené à titre
principal, à rapporter la preuve de son innocence dans les cas où
la loi prévoit les présomptions de culpabilité.
100. A coté de la production et de la discussion des
preuves qui, à travers leur caractère contradictoire, constituent
des garanties fondamentales de la présomption d'innocence et donc des
droits de la défense, le législateur a organisé la
confrontation des témoins.
II. La confrontation contradictoire des
témoins
Lorsque le prévenu ne reconnaît pas les faits,
le tribunal entend les témoins. Ceux du Ministère public,
accusateur, sont entendus les premiers, suivis de ceux de la partie civile et
enfin de ceux de la défense. Aucune limitation n'est faite par rapport
au nombre de témoins. Chacune des parties peut présenter autant
de témoins qu'elle le désire.
101. Chaque témoin subi l'interrogatoire de celui qui
l'a fait cité (examination-in-chief), puis de la partie adverse
(cross-examination) et éventuellement un second interrogatoire de celui
qui l'a fait citer (re-examination). Le tribunal appelle les témoins
l'un après l'autre de la salle des pas perdus où ils sont
généralement confinés par le président de la
juridiction (art. 373 CPP) pour éviter les corroborations des dires des
uns à ceux des autres.
Le Ministère public procède à
l'examination-in-chief de ses témoins ainsi qu'à leur «
ré-examination » au terme de la cross-examination. Si le tribunal
estime les éléments de preuve suffisamment réunis pour que
le prévenu ou l'accusé présente sa défense et lui
explique ses droits, il lui demande s'il a des témoins à faire
entendre ou d'autres éléments de preuve à
présenter. Le témoin à décharge ou le
prévenu lui-même est entendu conformément aux dispositions
de l'article 332. Le Ministère public procède chaque fois
à la cross-examination.
102. Après la clôture des débats, le
conseil de la partie civile intervient éventuellement, puis le
Ministère public et le conseil de la défense. Le tribunal statue.
Le Ministère public présente le casier judiciaire de
l'accusé ou du prévenu, le conseil de la partie civile prend
ensuite la parole. Après lui, le conseil de la défense est
appelé à plaider les circonstances atténuantes ; le
prévenu ou l'accusé fait sa dernière déclaration et
le tribunal rend son jugement.
L'on peut se rendre compte qu'ici les droits importants sont
reconnus à la défense qui se trouverait en quelque sorte dans une
position d'égalité avec l'accusation. Mais il y a lieu de dire
que cela n'est qu'une vue superficielle de la chose dans la mesure où la
défense ne dispose pas des mêmes capacités d'investigation
que le Ministère public. Celui-ci, aidé par la police judiciaire,
la force de maintien de l'ordre et éventuellement par la partie civile,
pourra
accéder facilement à certaines informations ou
éléments de preuve contrairement à la défense.
103. L'on pourrait améliorer davantage le sort de la
défense en prévoyant l'obligation pour la juridiction, en cas de
demande faite par la défense, d'ordonner les mesures d'instruction pour
permettre à cette dernière de faire face à
d'éventuelles obstructions dans sa démarche pour la
découverte des preuves. Ceci pourrait favoriser la manifestation de la
vérité et rendre la justice pénale moins judiciaire.
Par ailleurs, l'accès à l'aide judiciaire ou
assistance judiciaire devrait être facilité.
En tout état de cause, la décision du juge
marque la fin normale de l'instance, ce qui ne traduit pas la fin du
procès qui peut se poursuivre par l'exercice éventuel des recours
et l'exécution des décisions.
Section II : l'exercice des voies de recours et
l'exécution des décisions de justice répressive par le
Ministère public
Si le jugement marque la fin de l'instance, c'est en
général l'exécution de la décision rendue
(paragraphe 2) qui marque celle du procès puisque cette étape est
prise en compte tout comme celle de l'exercice des recours (paragraphe 1)
lorsqu'on apprécie la durée raisonnable du procès.
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