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Le role du ministère public en droit camerounais

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par Moustapha NJOYA NJUMOU
Université de Yaoundé II - DEA droit privé fondamental 2006
  

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Paragraphe II : le contrôle de la police judiciaire par le Ministère public

Le contrôle porte sur la garde à vue qui a particulièrement été réglementée40 par le législateur de 2005 (A) et sur toutes les activités de la police judiciaire (B) et effectué par le Procureur de la République et le Procureur Général près la Cour d'Appel.

A. Le contrôle de La garde à vue par le paquet

38. La garde à vue est « une mesure de police judiciaire en vertu de laquelle une personne est, dans le cadre de l'enquête préliminaire, en vue de la manifestation de la vérité, retenue dans un local de police judiciaire, pour une durée limitée »41. C'est un moyen de pression ou de contrainte qui doit être strictement limité aux nécessités de la procédure42. Dans la pratique du code d'instruction criminelle, elle était redoutée. sa durée était devenue incertaine malgré les textes, et assortie de sévices corporels ayant pour finalité l'obtention des aveux considérés comme reine des preuves, au mépris de l'article 132 bis du code pénal (CP) sur la torture. La jurisprudence a eu à sanctionner quelques cas d'abus ayant entraîné la mort des suspects43. Mais cela demeurait insuffisant du fait de la permissivité de la législation procédurale en vigueur à cette époque. Celle-ci n'ouvrait pas les voies au contrôle44. Le législateur de 2005 a voulu rompre avec ces pratiques en confiant en principe le contrôle de la garde à vue qu'il a réglementée (I) au Procureur de la République, contrôle dont les

40 Sur la base de cette réglementation, des hommes politiques et bien de fonctionnaires enthousiastes ont pu affirmer que « rien ne sera plus comme avant. Les arrestations et séquestrations arbitraires disparaîtront, les personnes interpellées selon assistées, finies les gardes à vue fantaisistes, vive les droits de l'homme ».

41 Art. 118 CPP.

42 Elle est édictée pour les nécessité de défense sociale (Empêcher le suspect de fuir ou de détruire les preuves.

43 TGI NFOUNDI Jugement n° 193 Crim du 25 juin 1998 médit : le tribunal a condamné dans cette affaire un commissaire de police principal et un inspecteur de police respectivement à dix ans et à 6 ans d'emprisonnement ferme pour avoir causé la mort par torture, d'un jeune homme de22 ans en novembre 1997 ; TGI MFOUNDI Je n°176 / Crim. Du 5 juin 1998 MP et famille NDJOUEMEGNI c / MOTASSIE Bienvenu Inédit ici 3 policiers ont été condamnés à des peines allant jusqu'à 1 an d'emprisonnement ferme pour torture.

44 Contrôle effectué aujourd'hui par le Procureur de la République et surtout par les conseils qui peuvent intervenir dans les locaux de police ou de gendarmerie.

conséquences sont à préciser (II).

I. La réglementation de la garde à vue45

Le législateur camerounais ne donne le pouvoir de prendre une mesure de garde à vue qu'à L'OPJ ; l'APJ n'en est pas compétent. Lorsque l'OPJ envisage de prendre une mesure de garde à vue à l'encontre d'une personne, il doit préalablement requérir une autorisation du Procureur de la République par tout moyen laissant trace écrite ou par voie téléphonique46. Il doit en cas de succès, avertir expressément le suspect de la suspicion qui pèse sur lui et l'inviter à donner toutes explications qu'il juge utiles. En dehors de cette formalité, le législateur a soumis cette mesure à certaines conditions (a) et a reconnu certains droits au suspect (b)

a. Les conditions de la garde à vue

Les conditions de la garde à vue tiennent à son ouverture (1) et à sa durée (2).

1. Les conditions de l'ouverture de la garde à vue

39. L'article 118 (2) du code de procédure pénale dispose que : « toute personne ayant une résidence connue ne peut, sauf cas de crime ou de délit flagrant et s'il existe contre elle des indices graves et concordants, faire l'objet d'une mesure de garde à vue ».

Aux termes de ces dispositions, il est clair que la garde à vue n'est envisageable, dans le cadre des enquêtes, que contre une personne n'ayant pas une résidence connue. Une personne dont la résidence est connue ne peut faire l'objet d'une garde à vue, même lorsqu'elle est suspectée d'avoir perpétré un crime ou un délit flagrant, que si l'officier de police judiciaire a rassemblé contre elle les indices graves et concordants. Ceci constitue incontestablement une mesure uniquement protectrice des droits de la défense47 puisqu' ici, il n'est plus tenu compte de la flagrance qui seule, aurait été suffisante pour la prise de la décision de garde à vue. En tout état de cause, le Ministère public peut autoriser la garde à vue nonobstant les conditions ci-dessus. Mais sa durée doit être limitée.

2. La durée de la garde à vue

45 Il s'agit essentiellement de la garde à vue judiciaire car la garde à vue administrative n'a pas été réglementée par le CPP. Ce qui est de nature à favoriser les violations des droits du fait de l'absence de tout contrôle.

46 C'est ce qui est appelée en droit français « le traitement en temps réel » ceci permet l'accélération de la procédure parce que l'OPJ ou l'APJ pourra rapidement recevoir les instructions du Procureur de la République.

47 NGAI (C), la Loi n°2005/007 du 27 Juillet 2005 portant code de procédure pénale : excursion autour de la garde à vue, Juridis Périodique, n°71 juillet août septembre 2007, p. 112.

40. Sous l'empire du code d'instruction criminelle, l'article 9 prévoyait comme durée de la garde à vue, vingt-quatre heures renouvelables trois fois. Avec le code de procédure pénale, cette durée est de 48 heures renouvelables une fois, Soit 96 heures ou 4 jours48.

Ce délai peut être prorogé sur autorisation du Procureur de la République. Cette prorogation est écrite et doit être motivée. En dehors de ce cas, la prorogation peut être faite en fonction de la distance qui sépare le lieu d'arrestation et le local de police judiciaire. Cette prorogation est de 24 heures par 50 km c'est dire que, si la distance est inférieure ou égale à 50 km, la prorogation sera de 24 heures et si elle est supérieure à 50 km ou égale à 100 km, La prorogation sera de 48 heures... Les demandes de prorogation sont faites par tout moyen même par voie téléphonique. En cas de difficulté pour entrer en contact avec le Procureur de la République, l'OPJ est tenu de libérer le suspect. Mais il peut exceptionnellement proroger la durée de la garde à vue à 8 jours en cas de crime ou de flagrant délit, ou si le suspect n'a pas de résidence connue ou ne présente pas la garantie prévue à l'article 246 CPP49. Le délai commence à courir à partir du moment où le suspect est conduit au local de la police judiciaire. En dehors de cet encadrement, le législateur a prévu un certain nombre de droits au profit du suspect.

b. Les droits reconnus aux suspects pendant la garde à vue

41. L'article 122, 2 CPP dispose que le suspect doit être traité avec humanité tant matériellement que moralement. C'est ainsi qu'il doit avoir un temps de repos raisonnable entre les différents interrogatoires, ne faire l'objet ni de torture, menace, ni d'aucun autre moyen de pression (art. 122 (2)). il peut recevoir les visites de son avocat ce qui est une innovation majeure50dans le sens de la protection du suspect puisque ce conseil pourra aussi par sa présence, non seulement influer sur les agissements de la police judiciaire, mais également procéder au contrôle des conditions dans lesquelles se déroule la garde à vue et saisir le cas échéant les instances compétentes pour l'application des sanctions. Le suspect peut également recevoir les visites de sa famille aux heures ouvrables et doit être alimenté et entretenu. il peut à tout moment faire l'objet d'un examen médical par un médecin requis d'office par le Procureur de la République, médecin qui peut être assisté d'un autre choisi par le suspect et à ses frais. A la demande du suspect, le Procureur de la République a la faculté d'ordonner l'examen dans les 24 heures de ladite demande. Cet examen n'est obligatoire qu'à

48 Ces délais sont pratiquement doublés.

49 Il s'agit du cautionnement et du garant de sa présentation en justice..

50 L'article 116 alinéas 3 du code de procédure pénale qui prévoit cette possibilité se démarque des législations étrangères puisqu'elle n'a pas ménagé ses conditions. En droit français par exemple, les Lois des 4 janvier et 24 août 1993 ont prévu l'intervention de l'avocat à la 20e heure de la garde à vue et à la 72e en cas de crime organisé.

la fin de la garde à vue si le conseil ou un membre de la famille du suspect en fait la demande. Le rapport de l'examen est mentionné au dossier de la procédure ; l'OPJ est tenu de mentionner au PV les motifs de la garde à vue, ceux de la prorogation, bref toutes les conditions dans lesquelles s'est déroulée la garde à vue à peine de nullité dudit PV.

II. Les conséquences du contrôle

Le contrôle peut donner lieu à l'ordonnance d'office d'une libération immédiate du suspect par le Procureur de la République ou son substitut. Cet ordre peut également faire suite à une ordonnance d'habeas corpus. Mais en règle générale les conséquences portent sur la validité des actes (a) et la responsabilité des auteurs d'irrégularités (b).

a. La nullité des actes

42. Il s'agit essentiellement de la nullité des PV et des actes subséquents (art. 124 (4)

CPP). Ces derniers sont ceux qui auraient été pris en conformité avec les procès verbaux irréguliers ou contenant des mentions attestant du non respect des prescriptions légales en matière de garde à vue. Cette sanction n'a pas d'effet sur la responsabilité des OPJ.

b. La responsabilité de l'officier de police judiciaire

43. Cette responsabilité peut être engagée sur le plan disciplinaire et sur le plan judiciaire.

Sur le plan disciplinaire, l'autorité à saisir est le Procureur Général près la Cour d'Appel. C'est lui qui saisira par la transmission des notes et appréciations, le chef de l'administration d'origine de l'OPJ. On n'est certainement pas habilité à saisir directement le délégué général à la sûreté nationale, ni le secrétaire d'Etat à la défense ou tout autre Ministère pour les manquements de leur agent au cours des opérations de police judiciaire51.

Les poursuites judiciaires aboutiront éventuellement à une condamnation pénale ou civile. Pénalement, la responsabilité sera fondée sur les dispositions de l'article 236 du code de procédure pénale relatives à la garde à vue et à la détention provisoire abusives. Les OPJ pourraient également être poursuivis pénalement pour bien d'autres infractions telles que l'abus de fonction, le favoritisme, la négligence systématique...à charge pour les poursuivants de les prouver.

Civilement, les dispositions de l'article 236 CPP seront applicables et l'Etat sera tenu à titre principal comme commettant et pourra exercer une action récursoire contre l'agent

51 NGAI (C), op. Cit. p 115.

responsable (art. 236 (3)). L'indemnité est concrètement allouée par la commission prévue à l'article 137 CPP. Cette commission est présidée par un conseiller de la Cour Suprême et saisie par requête dans les six mois de la cessation de la garde à vue, de la décision de non lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive. En dehors du contrôle effectué par le Procureur de la République, le Procureur Général exerce également un contrôle beaucoup plu général.

B. Le contrôle général effectué par le Procureur Général près la Cour d'Appel

Il importe de donner l'étendue de ce contrôle (I) avant que de faire une appréciation critique sur l'ensemble du contrôle effectué par le Ministère public (II)

I. L'étendue du contrôle

44. Le Procureur Général près la Cour d'Appel exerce un contrôle sur l'ensemble des activités des OPJ et APJ en service dans le ressort de la Cour d'Appel. Il adresse semestriellement au Ministre de la justice, un rapport sur leurs activités. Il a le pouvoir d'apprécier et de noter les OPJ et transmet ces notes et appréciations au chef d'administration d'origine de l'OPJ concerné. Ce contrôle peut avoir un impact sur la carrière de l'OPJ ou de l'APJ qui pourrait, suite à des notes et appréciations défavorables, faire l'objet de sanctions disciplinaires.

II. L'appréciation critique sur le contrôle de la police judiciaire

Le code de procédure pénale à travers le contrôle reconnu au Ministère public sur l'activité de la police judiciaire a fait de cette institution le garant des droits et libertés individuelles (a) et laisse subsister quelques pesanteurs (b)

a. Le Ministère public, garant des droits et libertés des suspects

45. Par son autorité sur la police judiciaire, le Ministère public se présente comme le garant des droits et libertés individuelles à la phase des enquêtes policières. En effet après avoir régulé les opérations d'enquête par ses mandats, autorisations, prescriptions et substitutions, le Ministère public procède au contrôle pour s'assurer du respect de ses prescriptions ou des droits du suspect. Ceci pourrait mettre un terme aux abus de la police judiciaire tant en ce qui concerne les arrestations, les perquisitions et saisies qu'en ce qui concerne la garde à vue. Mais des pesanteurs sont décelables.

b. Les pesanteurs à la garantie

46. L'on peut craindre que les garanties ne revêtent qu'un caractère formel car l'effectivité des contrôles n'est pas assurée52. Tout d'abord le contrôle ne fait pas l'objet d'une réglementation quant à son régime. Il se ferait suivant les instructions de la chancellerie, au moins une fois par semaine sans préjudice à la possibilité d'effectuer des contrôles inopinés. Il demeure donc officiellement une faculté pour les parquets qui ne pourront l'exercer qu'exceptionnellement, sinon pas du tout ce d'autant plus qu'ils sont surchargés par de multiples affaires53 et manquent par ailleurs de personnels. Le législateur aurait pu fixer un régime pour les contrôles. Même si la solution la plus adéquate serait d'accroître le nombre de personnel magistrats dans nos parquets et de rendre effectif les différents tribunaux sur le territoire national.

47. Par ailleurs on pourrait se demander si la réglementation de l'enquête préliminaire caractérisée par la surprotection du suspect ne pourrait pas entraîner une impunité du fait de la timidité qu'elle provoquerait chez les autorités de police judiciaire. Le moins qu'on puisse dire est que le respect de la légalité par la police judiciaire et la mise à sa disposition de moyens logistiques suffisants peut contribuer à concilier la protection de l'intérêt général et la garantie des droits du suspect. Et que, dans l'état où se trouve actuellement la police judiciaire camerounaise, c'est-à-dire un état de pauvreté en matériels logistiques, cet objectif pourrait s'avérer assez difficile à atteindre dans la phase des enquêtes en application de la législation actuelle. D'où le risque de voir l'évolution du droit opéré sur le plan textuel ne pas avoir la même positivité sur le plan factuel ou social et pire encore, son effectivité pourrait se traduire par une évolution de la criminalité. Une dotation de la police judiciaire en moyens financiers et matériels pourrait de ce fait contribuer à garantir le respect de la législation actuelle et la répression des délinquants, ce qui concilierait le respect des droits du suspect et la protection de l'ordre public.

Le rôle du Ministère public sur les poursuites ne se limite pas aux enquêtes de police judiciaire. Il les déclenche54 et les exerce dans la phase de jugement et préalablement, à

52 Nous avons été témoin de plusieurs cas de garde à vue abusives lors d'une visite que nous avons effectuée dans un commissariat de la ville de YAOUNDE. En fait plusieurs individus qui se trouvaient gardés ont sauvé un jeune cordonnier qui tentait de se donner la mort parce que, arrêté pour avoir récupéré de force son tabouret d'une jeune fille qui refusait de le lui remettre, il était retenu dans les locaux de ce commissariat depuis plus de 16 jours sans suites

53 Le TGI Du Mfoundi par exemple ne compte que 5 magistrats au parquet, un Procureur de la République et quatre substituts pour traiter de tous les crimes et délits connexes pouvant être commis dans tout le département. Le TPIGI de Foumban quant à lui compte 3 magistrats, un Procureur de la République et deux substituts pour couvrir tous les arrondissements de ce département en matière criminelle et plus de quatre arrondissements en matière de délits et contraventions.

54 Voir chapitre 2

celle de l'information judiciaire dont il a perdue la maîtrise comme organe55.

Section 2 : La perte de la qualité de magistrat instructeur par le Procureur de la République

Cumulant depuis 1972 les fonctions de poursuites et d'instruction du fait de sa double << casquette »56 de magistrat du Ministère public et de magistrat instructeur57, le Procureur de la République a été dessaisi de la qualité de magistrat instructeur par la résurrection du juge d'instruction, magistrat du siège. Ce dernier est chargé désormais de mener l'instruction préparatoire (paragraphe I) ce qui mérite d'être apprécié (paragraphe II).

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon