CONCLUSION DU CHAPITRE I
Au terme de ce chapitre où il a été
essentiellement question du rôle de principe du Ministère public
dans le procès civil, on peut se rendre compte que son intervention est
susceptible d'influencer doublement ce procès.
156. Lorsque cette intervention est facultative ou
judiciaire, elle peut avoir pour conséquence d'éclairer
simplement le juge ou, de façon négative, de porter atteinte au
principe de la contradiction. Et lorsque l'intervention du Ministère
public est obligatoire, en dehors de l'éclairage qu'elle peut donner au
juge, elle peut aussi porter atteinte au principe de la contradiction et au
principe dispositif, sans omettre son impact sur la décision, celle-ci
pouvant être annulée pour manquement à l'obligation de
communication.
157. Il serait nécessaire d'apporter des solutions
à ces problèmes par la réglementation stricte du cadre et
du moment d'intervention du Ministère public, partie jointe au
procès civil. Ceci constituerait, avec la lumière qu'il apporte
relativement à l'application de la loi, des garanties
considérables d'une justice civile plus juste et plus protectrice de
l'ordre public, motif qui justifie en partie son intervention comme partie
principale dans ce type de procès.
201 Cass. Civ. I 22 juin 1953. Bull civ. I, n° 212. p
176.
CHAPITRE II : L'EXTENSION DU ROLE DU MINISTERE PUBLIC
: LA DEFENSE DE L'ORDRE PUBLIC PAR VOIE D'ACTION
158. Comme partie principale, le Ministère public peut
intervenir sans attendre que le procès soit engagé par les
particuliers. C'est-à-dire qu'il peut agir par voie d'action pour
attaquer ou pour défendre. Il est une partie à part
entière et ne peut plus être récusé ; il peut
exercer toutes les voies de recours possibles.
Le Ministère public peut en principe intervenir comme
partie principe dans les cas prévus par la loi de façon
explicite. Une tendance à la généralisation de cette
intervention par voie d'action se dessine en droit camerounais pour la
défense de l'ordre public et l'on se pose la question de savoir si l'on
ne risque pas d'aboutir a une situation où le Ministre public se
permettra d'agir dans toutes sortes d'affaires au risque de compromettre
certains intérêts particuliers
159. Nous présenterons les cas légalement
prévus où le Ministère public intervient par voie d'action
(section 1) et le domaine problématique de cette intervention (section
2)
Section I : le domaine légal de l'intervention
du parquet par voie d'action
La loi prévoit les cas dans lesquels le
Ministère public peut agir comme partie principale dans un procès
civil. Nous présenterons ces cas (paragraphe 1) avant de faire une
analyse du cas de l'action du Ministère public dans les
procédures de redressement judiciaire des entreprises en
difficulté (paragraphe 2).
Paragraphe I : les cas légaux d'intervention du
parquet par voie d'action dans le procès civil
Les textes prévoyant l'intervention du
Ministère public comme partie principale sont divers et
portent soit sur la famille dont le Ministère public apparaît
comme le grand protecteur (A), soit sur l'état et la nationalité
(B).
A. Le Ministère public, protecteur de la
famille
160. Le Ministère public intervient comme partie
principale en matière d'actes d'état civil, de tutelle des
majeurs, en cas de contestation de la validité d'un mariage, en cas de
conflit sur la garde des enfants mineurs ou les modalités d'attribution
de l'autorité parentale, en cas d'absence et de placement d'une personne
dans un établissement d'aliénés. La protection peut donc
porter sur les faibles (I) ou sur l'institutions du mariage (II)
I. Le Ministère public, protecteur des
faibles
Comme faibles, on peut citer les absents et disparus, les
personnes placées dans un établissement d'aliéner (a), et
les incapables (b).
a. La protection des absents, disparus et personnes
placées dans un établissement d'aliénés par le
Ministère public
161. L'absent est celui qui a cessé de paraître
à son domicile ou à sa résidence pendant un certain temps
au point où l'on ne sait plus s'il est vivant au mort. L'institution de
l'absence a été organisée dans le code civil pour
protéger les intérêts de l'absent. C'est la raison pour
laquelle la requête en déclaration d'absence en l'état
actuel du droit camerounais, n'est recevable qu'après une période
de quatre ans, marquant l'étape de la présomption d'absence.
Pendant cette période, le patrimoine de la personne
présumée absente fait l'objet d'une protection assurée
spécialement par le Ministère public202. Celui-ci
pourra représenter l'absent présumé à défaut
d'un Procureur fondé, dans tous les actes d'inventaire, compte, partage
et liquidation où il sera intéressé. Pour constater
l'absence, le tribunal ordonnera qu'une enquête soit faite
contradictoirement avec le Ministère public dans l'arrondissement du
domicile, et dans celui de la résidence de l'absent s'ils sont distincts
l'un de l'autre. L'absence déclarée, les héritiers
présomptifs pourront obtenir l'envoi en possession provisoire des biens
de l'absent. Et le testament, s'il en existe un, sera ouvert à la
réquisition des parties intéressées, ou du Procureur de la
République203.
162. La disparition elle, renvoie à la situation dans
laquelle une ou plusieurs personnes cessent de paraître dans des
circonstances faisant présumer qu'elles sont mortes. Dans ce cas, le
Ministère public, en la personne du Procureur de la République,
peut demander la déclaration de décès. Et si ladite
demande émane des parties intéressées, elle est transmise
par l'intermédiaire du Procureur de la République qui pourra par
ailleurs, poursuivre l'annulation du jugement déclaratif du
décès si le disparu réapparaît.
163. Dans le cadre du placement d'une personne dans un
établissement d'aliénés, le Ministère public peut
tout d'abord requérir du tribunal de première instance, la
nomination d'un curateur, ou d'un administrateur provisoire des biens de
l'aliéné. Le Procureur de la République est
également admis à demander la sortie de
l'intéressé, sortie qui pourra être ordonnée par le
tribunal de première instance statuant en chambre du conseil. S'il
s'agit d'un mineur, à sa sortie il sera placé sous
l'autorité des personnes qui en bénéficiait
conformément à la loi, sauf décision contraire du tribunal
de première instance à la requête du Procureur de la
République
202 Article 114 C. Civ. « le Ministère public le
Ministère public est spécialement chargé de veiller aux
intérêts des personnes présumées absentes ; et ils
sera entendu sur toutes les demandes qui les concernent ».
203 Article 123 C. Civ.
sur avis du médecin traitant de l'établissement.
Ceci nous conduit immédiatement à voir le
rôle de protecteur joué par le Ministère public
relativement aux incapables.
b. La protection des incapables par le Ministère
public
164. On distingue en règle générale les
incapables majeurs (2) des incapables mineurs (1) ; la protection du
Ministère public porte sur ces deux catégories de personnes.
1. La protection des mineurs
Les mineurs sont protégés par le
Ministère public à la fois sur les terrains de la puissance
paternelle, de la tutelle, de l'adoption d'enfants naturels, du droit
successoral et de l'hypothèque légale.
Le mineur certes a des droits, mais ne dispose pas de la
capacité pour les exercer. En droit camerounais, c'est le père,
s'ils sont mariés, ou la mère en cas de déchéance
ou de décès du mari qui veille à son éducation et
à l'administration de ses biens. Lorsque l'enfant est né hors
mariage, la puissance paternelle est exercée conjointement par le
père et la mère si sa filiation a été
également établie à leur égard sinon, seul le
parent à l'égard duquel la filiation a été
établie exercera sur cet enfant la puissance paternelle204.
Si l'enfant est menacée sur les plans de la sécurité
morale, physique et matérielle au regard du comportement de ses
parents205, le Ministère public peut introduire devant le
tribunal de grande instance, une demande de déchéance de la
puissance paternelle. En cas de demande de restitution de la puissance
paternelle par les parents, le Procureur de la République peut
requérir la prise de mesures d'assistance éducative.
165. En cas de divorce ou de séparation de corps, et
lorsque la garde de l'enfant a été confiée à l'un
des parents, le président du tribunal, à la requête du
Procureur de la République ou à la demande du Père ou de
toute autre personne, peut modifier ou révoquer l'ordonnance relative
à cette garde.
Le Ministère public peut en outre demander au juge des
tutelles la transformation de l'administration légale en tutelle, la
convocation du conseil de famille aux fins de nomination du tuteur datif, de
prononcer l'exclusion, la destitution, la récusation du tuteur ou du
subrogé
204 Il existe une disparité entre le père et la
mère en faveur du premier lorsqu'ils sont mariés ; alors que
c'est l'inverse qui est constaté lorsqu'ils ne sont pas mariés
puisque la filiation des enfants naturels était facilement
établie vis-à-vis de la mère, l'accouchement valant
reconnaissance à son égard. L'égalité entre les
deux parents n'est observée que lorsque que la filiation de l'enfant
naturel est établie conjointement à leur égard
malgré l'inappriation de l'expression « puissance paternelle
» remplacée sur d'autres cieux à celle d' «
autoritéparentale ».
205 Ivrognerie, délinquance, défaut de son,
négligence pendant plus de deux ans d'exercer les droits et devoirs les
unissant à leur enfant lorsque celui-ci fait l'objet d'une mesure
d'assistance éducative.
tuteur. Les délibérations du conseil de famille
peuvent être annulées à la requête du
Ministère public206.
166. Dans le cadre de l'adoption d'enfants naturels, le
Ministère public bénéficie également d'un droit
d'action. En effet, lorsqu'une personne désire adopter un enfant, elle
va déposer une demande auprès du TGI compétent. Cette
requête passe généralement par l'intermédiaire du
Ministère public. Le tribunal, après avoir entendu le Procureur
de la République, et sans aucune forme de procédure,
décide sans énoncer de motifs, qu'il y a lieu, ou qu'il n'y a pas
lieu à adoption207. L'homologation de l'adoption ou non par
le tribunal peut être attaquée par le Ministère public
devant la Cour d'Appel208.
167. En matière de succession vacante, et dans
l'intérêt de tous les héritiers, le Procureur de la
République peut requérir la nomination par le président du
TPI du lieu d'ouverture de la succession, d'un curateur qui sera chargé
d'administrer les biens de ladite succession. Dans le cadre du partage et des
rapports, l'article 819 C. Civ. dispose que : « les scellés
doivent être apposés dans l'intérêt des enfants ou
des interdits à la diligence du Procureur de la République ou
d'office par le juge du tribunal de première instance, dans
l'arrondissement duquel la succession est ouverte, dans les plus brefs
délais si tous les héritiers ne sont pas présents
»209.
168. Par ailleurs, le Ministère public a la
possibilité de faire prononcer la déchéance du
grevé et l'ouverture du droit des appelés lorsque le premier n'a
pas satisfait aux obligations de l'article 1056 du code civil. Ceci constitue
un autre cas d'ouverture de la substitution210 puisque celle-ci
intervient normalement après le décès du grevé.
169. En ce qui concerne l'hypothèque légale,
l'article 2143 du Code civil déclare que le Ministère public peut
saisir le juge des tutelles dans les cas où il y a lieu à
administration légale, afin que celui-ci puisse décider de
l'inscription de cette hypothèque sur certains immeubles du mineur
lorsque l'hypothèque n'aura pas été restreinte par l'acte
de nomination du tuteur.
On se rend compte que le Ministère public est un
véritable « ange gardien » des intérêts du
mineur. Ce rôle s'étend également aux incapables
majeurs.
206 Voir les articles 391, 405, 446,447 C. Civ.
207 Article 362 C. Civ.
208 Article 363 même code.
209 L'article 497 CPCC dispose également dans ce sens
que : « le scellé sera apposé, soit à la
diligence du Ministère public, soit sur la déclaration du maire
ou adjoint de la commune ou du chef de l'unité administrative, et
même d'office par le juge : si le mineur est sans tuteur, et que le
scellé ne soit pas requis par un parent ; si le conjoint, ou les
héritiers ou l'un d'eux sont absents ; si le défunt était
dépositaire public, auquel cas le scellé ne sera apposé
que pour raison de ce dépôt et pour les objets qui le composent
».
210 La substitution fidéi commissaire est une donation
faite à une personne nommée « grevée »,
avec charge pour celle-ci de conserver sa vie durant le bien reçu et de
transmettre à une autre personne nommée « appelée
».
2. La protection des incapables majeurs
Les majeurs incapables sont ceux qui sont atteints d'une
altération de leurs facultés mentales. La réforme
législative du 3 janvier 1968 en France leur a aménagé
trois régimes à savoir la sauvegarde de justice, la tutelle et la
curatelle, et a prévu des dispositions protectrices applicables en
l'absence des mesures de protection qu'elle institue.
Lorsque les biens du majeur protégé sont en
péril, le Procureur de la République s'il est informé, est
ténu de provoquer d'urgence, toute mesure conservatoire desdits
biens.
Si le majeur a subi une altération profonde de ses
facultés personnelles constatées par un médecin
spécialiste sur une liste établie par le Procureur de la
République, le juge des tutelles peut le placer d'office ou sur
requête du Ministère public sous le régime de la tutelle
des majeurs.
170. Lorsqu'un patient d'un médecin présente
des anomalies psychiques justifiant sa protection par la loi, ce médecin
peut en faire la déclaration au Procureur de la République qui
pourra demander son placement sous sauvegarde de justice. Le Ministère
public peut également demander la révocation d'un mandataire
constitué par le majeur. Comme tout ceux qui ont qualité pour
demander l'ouverture d'une tutelle, le Ministère public à
l'obligation de faire les actes conservatoires que nécessite la gestion
du patrimoine du protégé. Il peut ainsi attaquer en
nullité, les engagements pris par le majeur placé sous sauvegarde
de justice ou demander leur réduction. La sauvegarde de justice prend
fin avec la cessation de l'altération des facultés ou la
radiation de cette protection par le Procureur de la République.
171. Hormis les incapables, le Ministère public
protège également la famille dans son fondement institutionnel
qu'est le mariage.
II. Le Ministère public, protecteur de
l'institution du mariage
Le mariage est un acte- condition c'est-à-dire un acte
dans lequel on est libre d'entrer, mais tenu d'y vivre ou d'y mettre un terme
selon les règles bien établies. Sa conclusion nécessite le
respect d'un certain nombre de conditions dont le manquement peut être
sanctionné par la nullité du mariage. L'ordonnance du 29 juin
1981 qui réglementent actuellement la matière au Cameroun, ne
donne pas de précision quant aux personnes qui peuvent exercer cette
action. On peut donc se référer au code civil, article 184 qui
investit le Ministère public211du droit, sinon de
l'obligation de demander la nullité du mariage, du vivant des
époux, et de les faire condamner à se séparer en cas de
non-respect de la condition d'âge, d'absence de consentement, de non
respect de la forme de mariage ou d'inceste, bref de la
211 Ainsi que les personnes intéressées
violation des conditions d'ordre public. Le Ministère
public peut en outre demander la condamnation des officiers de l'état
civil qui ont célébré le mariage en contravention de ces
règles.
Cette action du Ministère public sur l'acte de mariage
s'étend sur la quasi-totalité des actes d'état civil ainsi
que sur la nationalité.
|