Contextualisation et variation de la langue française dans l'écriture littéraire au Cameroun: le cas de l'invention du beau regard de Patrice Nganang( Télécharger le fichier original )par Simplice Aimé Kengni Université de Yaoundé I - Maitrise en Lettres Modernes Françaises 2006 |
3.6 Les calques traductionnels.Les calques traductionnels sont selon A.Lipou57(*) des traductions littérales et des transpositions en français des constructions lexico-sémantiques issues des langues africaines. En effet, pour J. DUBOIS et alii, On dit qu'il y a calque quand pour dénommer une notion ou un objet nouveau, une langue A traduit un mot simple ou composé, appartenant à une langue B, en un mot simple existant déjà dans la langue ou en un terme formé de mot existant aussi dans la langue.58(*) Dans le contexte africain, J. TABI MANGA note que Ces calques ou particularités phraséologiques représentent la projection en français local de schémas syntactico-sémantiques plus ou moins lexicalisés du substrat linguistique. Sur le plan de la sémantaxe, la réactivation de la substance du contenu africain à travers une forme d'expression française traduit un phénomène proprement culturel.59(*) Au Cameroun, l'utilisation des calques ressortit à un souci d'expressivité, où les locuteurs parlent français tout en y ajustant une coloration culturelle. Notre corpus est ici émaillé de calques d'expression qui sont indubitablement des transferts des langues camerounaises en français. Les énoncés ci-après les illustrent parfaitement. 30) C'est le commissaire principal qu'il croisa dans le couloir et il lui offrit un sourire amical. Tu es de la maison, lui dit-il, tu le demeures. (p.26) 31) Il avança d'ailleurs à l'ombre des maisons, en ralentissant son pas, mangeant son ombre à ses pieds. (p.37) 32) Il avait marché dans ses pieds, avait traversé ses intestins, avait pénétré ses bras suivant l'intérieur de son corps. (p.46) 33) Taba était un vendeur de cola, et malgré ses réprimandes qui à la longue faisait chacun se demander qui chez lui portait vraiment le pantalon, personne dans le quartier, mais personne ne pouvait lever le petit doigt. (p.117) 34) Il voyait tous ces gens, Taba, lui bâtir un château d'argent, mais se rendait bien vite compte que toute la fondation était encore dans l'eau quand Moni vint lui annoncer que Mana était à l'hôpital. (p.133) 35) Taba en avait tout d'abord été effrayé imaginant la jalousie des gens du quartier qui lui mangeraient sa truie de loin. (p.137) 36) Tu devrais nous donner la bière lui dit celui qui avait fait l'effort le plus grand, et qui haletait sous les flots. (p.184). Les énoncés qui précèdent traduisent littéralement, c'est-à-dire mot à mot les expressions telles qu'elles se présentent dans la langue source. Dans l'exemple 30, l'expression tu es de la maison signifie faire partir des nôtres. Elle est utilisée généralement pour rassurer quelqu'un en difficulté, tout en lui accordant certaines faveurs. Son emploi ici par le commissaire principal vise à redonner confiance à son adjoint qui va bientôt partir à la retraite. Les expressions littérales mangeant son ombre à ses pieds et marché dans ses pieds traduisent ici le champ sémantique de l'espionnage, qui est dans ce contexte le propre de la police. Ainsi, mangeant son ombre à ses pieds signifie se dissimuler avec prudence tout en faisant disparaître les reflets de sa silhouette pour ne pas être vu. Tandis que marché dans ses pieds renvoie à l'expression filer quelqu'un discrètement. Le calque d'expression portait vraiment le pantalon signifie commander, donner des ordres. C'est une expression couramment utilisée pour se référer au chef de famille dans un couple. L'occurrence était encore dans l'eau est fréquente dans l'usage du français au Cameroun et signifie être ruiné. Dans le corpus, il s'agit en fait de la situation économique du personnage Taba qui est dramatique. Quant au calque donner la bière qui est employé ici par l'un des personnages de L'IBR (le gendarme de la GR), il signifie récompenser. C'est une expression très fréquente dans le lexique de la corruption pour ce qui est du français Camerounais. Enfin, l'expression mangeraient sa truie veut dire tuer celle-ci par des voies mystiques. Elle traduit une réalité ambiante dans le quotidien culturel des camerounais. Il découle donc de cette analyse que, les calques traductionnels renvoient à un phénomène proprement culturel. Les locuteurs utilisent les éléments linguistiques du français et les transposent littéralement dans leurs langues maternelles pour mieux exprimer leur manière de voir les choses. Ce phénomène de contextualisation de la langue prend aussi en compte les registres de langue qui émaillent les échanges des locuteurs au quotidien. Dans le cas de l'IBR, il s'agit en particulier du langage familier et vulgaire qui relève du niveau basilectal. * 57 A. LIPOU, Normes et pratiques scripturales africaines, colloque sur la diversité culturelle linguistique : quelles normes pour le français ? Paris, AUF, 2001, P.128 * 58 J. DUBOIS et alii, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse-Bordas, 1989, p.73 * 59 J. TABI MANGA, « Prolégomènes à une théorie de l'emprunt en français langue seconde », in Contacts des langues et identités culturelles, Laval, AUF, les Presses Universitaires de Laval, 2000, p.165 |
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