Le parcours du porteur de projets, avant qu'il puisse devenir
un créateur d'entreprise agrirural est semé d'embûches, il
doit surmonter les freins qui se présentent sur son chemin et prouver
qu'il est un entrepreneur rural capable de gérer une entreprise.
Si les difficultés sont déjà nombreuses
pour un candidat à l'installation agricole du fait du contexte local,
nous y reviendrons avec le schéma de l'encastrement territorial,
ci-dessous, les difficultés pour un porteur de projet agrirural sont
renforcées du fait de la notion même d'agriruralité. En
effet, cette dernière est peu connue dans le détail et elle est
surtout non reconnue par le milieu professionnel agricole qui l'assimile
à une marginalité bien que dans le contexte agricole actuel,
transpercé par des crises économiques et sanitaires successives,
place les logiques de combinaisons d'activités comme porteuses
d'avenir.
La combinaison d'activités semble encore
écartée par les acteurs impliqués dans l'accompagnement,
parce qu'elle ne répond pas à un modèle de
développement unique et parce qu'elle nécessite de
maîtriser plusieurs savoir-faire. Ainsi, elle transgresse les logiques
professionnelles traditionnelles, en se situant au frontières de
plusieurs métiers. C'est cela qui explique aussi l'écartement des
acteurs non impliqués vis-à-vis du montage de projets
agriruraux.
Pourtant, la modernité de la combinaison
d'activités se trouve dans la manière de les combiner et
d'échanger sur ces activités ; il ne s'agit pas aujourd'hui de
revenir à la combinaison d'activités qui était
pratiquée dans les campagnes françaises avant 1950. Il s'agit, en
fait, de produire autrement des richesses en misant sur la qualité des
produits, en utilisant des techniques modernes et en échangeant sur ces
pratiques (dialogue, retour d'expériences, comparaison des
territoires).
Au vu des entretiens menés on se rend compte qu'une
exploitation agriruale constitue un système qui se bâtit dans le
temps, cependant, l'activité agricole n'est pas forcément de
petite taille, tout dépend du nombre de personne qui travaille sur
l'exploitation. Il convient plutôt d'affirmer que les activités
sont adaptées aux unités de travail humain qu'il y a sur
l'exploitation.
L'agiruralité est une forme d'entreprise rurale qui
permet de produire des richesses économiques, tout en favorisant
l'épanouissement du créateur d'entreprise qui peut en
développant plusieurs activités, orienter certaines d'entre elles
vers ses passions (théâtre, résidence d'artiste,
gouter-café jazz...). L'entrepeneur agrirural peut ainsi s'adonner a
elles ou réinvestir une expérience passée à travers
les activités qu'il développe tout en travaillant. On note ainsi
que souvent il n'y a pas de coupure entre une expérience professionnelle
antérieure et le projet développé, le créateur
d'entreprise réinvestit ses compétences dans son projet.
D'autre part, une entreprise agrirurale permet de
créer des dynamiques sociales ou culturelles au niveau local. Si ces
dernières ne génèrent pas de revenus dans
l'immédiat, il convient toutefois de s'en soucier car elles permettent
au porteur de projets de s'investir dans la vie locale afin d'y être
intégré ; elle peut à terme être source
d'attractivité pour le territoire, où il sera peut être
possible sur le long terme de construire une offre d'activité culturelle
reposant sur les bases établies par les agriruraux. En cela, les
systèmes agriruraux optimisent les potentiels locaux parce qu'ils sont
fondés sur la valorisation des ressources locales et parce qu'ils
permettent de créer du lien social.
A travers cette étude nous avons, mis en lumière
deux systèmes :
-) Le système territorial (voir le
schéma de l'encastrement territorial dans les Monts du Forez cidessous)
:
Figure 36 : Schéma CreActE de l'encastrement
territorial
Source : SOULIER Marie-Laure - juillet 2010
-) Le système de l'exploitation
agrirurale qui s'insère dans le système territorial.
L'exploitation agrirurale commence ainsi par le développement d'une
production agricole et une diversification des activités
(diversification agricole, artisanale et agro-touristique), puis au fil du
développement de l'entreprise viennent se greffer d'autres
activités commerciales et d'animations. Il s'agit d'un
développement systémique dans le temps.
L'agriruralité doit faire ses preuves mais
envisagée ainsi, elle peut permettre de réinsérer au coeur
de la ruralité, la figure de l'agriculteur longtemps mise de
coté, car enfermée dans un rôle unique de
production. En effet, en créant des dynamiques culturelles et
sociales et en produisant des matières premières, l'entrepreneur
agrirural est au centre de la ruralité ; il convient ainsi
d'élargir l'agriculture au monde rural. Les entrepreneurs
agriruraux qui ont réussi à exploiter les ressources locales (et
il y en a dans les Monts du Forez), sont les symboles de l'opportunité
que représente l'agriruralité pour les territoires.
Nous noterons également l'absence ou la rareté
de références homogènes et argumentées concernant
les projets agriruraux, de plus, bien souvent les acteurs du milieu retiennent
les échecs et non les réussites. Cela est préjudiciable
aux porteurs de projets, à la fois pour le pilotage de leur
projet et pour l'accès a des ressources indispensables
(foncier, finances,...), afin que leur rêve devienne
réalité.
Ainsi, le porteur de projets qui développe un
rêve au commencement de son projet va passer différents filtres
qui vont générer des freins, ces freins sont les
régulateurs du système. S'ils peuvent être des obstacles
pour les candidats à l'installation, ils peuvent également leur
permettre de se dépasser dans la construction de leur offre
d'activités.
L'acteur impliqué dans l'accompagnement se doit
d'être objectif et honnête pour aider le porteur de projets
agrirural à clarifier ses réflexions. Il se doit également
de s'adapter à chaque projet et à chaque entrepreneur rural, sans
chercher à reproduire de modèle. Il a un rôle de mise en
lien avec les autres acteurs du territoire et avec d'autres créateurs
d'entreprises pour proposer des retours d'expériences.
Toutefois, on ne pas tout attendre du
développement spontané du territoire ; il est parfois
nécessaire de pousser le destin et d'initier le développement par
des actions volontaristes. Le travail de construction d'offres
d'activités agrirurales sur la commune de St Didier sur Rochefort vise
cet objectif. Il s'agit "d'amorcer la pompe agrirurale" à
travers cette étude de cas avant de pouvoir reproduire l'exemple
ailleurs. Pour commencer ce travail de construction d'une offre
d'activités agrirurales, nous avons choisi des exploitations agricoles
non viables et non reprenables en l'état. Effectivement, si la question
de la transmission et de l'agrandissement des exploitations est
déjà importante à l'heure actuelle (en témoignera
sous peu le futur recensement agricole), avec des problématiques
financières importantes car une exploitation viable est actuellement
inabordable pour un jeune, cette question sera d'autant plus cruciale dans
quelques années avec le départ à la retraite de nombreux
agriculteurs.
Il s'agit donc aujourd'hui de sensibiliser les futurs
cédants à la question de la transmission, et de remobiliser les
agriculteurs pour qu'ils favorisent les installations agricoles ; ces derniers
ayant un grand rôle à jouer dans cette problématique,
notamment à travers la question de l'entraide (CUMA) et de l'insertion
dans les réseaux. Il conviendra toutefois pour l'avenir de la
construction d'offres d'activités de rester prudent par rapport aux
stratégies qu'entretiennent ces acteurs vis-à-vis de la question
foncière.
Pour finir, revenons sur le concept
"d'agriruralité", il s'agit bien d'un néologisme puisque
ce mot n'existe pas officiellement dans la langue française.
Les projets agriruraux traduisent une nouvelle vision de l'agriculture
mais aussi une nouvelle vision de son rôle dans la société
et le monde rural. Elle est apparue dans le cadre d'un changement de paradigme
amorcé par l'introduction de concepts nouveaux
(multifonctionnalité, développement durable) mais sur le terrain
elle s'est réalisée grâce à des opportunité
(immobilier peu onéreux dans les années 1990 et du temps durant
l'hiver pour rénover les vieilles bâtisses en gîte par
exemple). Les réflexions suggérées par de tels concepts se
placent dans une vision à long terme des impacts que peut avoir
l'activité agricole dans le monde rural et périurbain, notamment
à travers la question de la commercialisation des produits et de
l'accessibilité au territoire. La vulgarisation et l'application de
cette notion n'en est qu'à ses débuts et doit encore faire ses
preuves mais elle est peut-être la chance qui permettra le regain des
espaces ruraux isolés.