CHAPITRE I : Les transferts d'argent et leur
utilisation à Wodobéré
I. Les transferts d'argent : origines
géographiques et volume des fonds
Si d'aucuns combattent l'émigration dans nos pays du
sud, c'est sans aucun doute par manque de réalisme ou par l'ignorance de
ce que celle-ci représente vraiment. L'émigration constitue le
socle sur lequel repose l'économie des ruraux. Les
émigrés, à travers les remises migratoires, constituent la
charpente du P.I.B par habitant dans les pays en voie de développement.
Selon la Banque Mondiale (BM) << 3% de la population mondiale contribuent
au développement des pays pauvres deux fois plus que l'aide mondiale
publique »39. Il est donc évident que les
émigrés participent activement au développement de leurs
pays d'origine. Cette participation peut être vue sous plusieurs angles
car nonobstant les mandats envoyés, les émigrés
contribuent à l'éveil des consciences et diminuent les risques
d'implosions sociales dues au chômage et à la
précarité de la vie. C'est ainsi dire que l'apport de
l'émigration pour nos pays est d'une importance incommensurable.
Aujourd'hui, sans l'apport des émigrés un bon
nombre de nos Etats en voie de développement seraient instables parce
que la famine, la misère et la précarité pousseraient les
populations arrivées au bout de leurs souffles à se
révolter contre les systèmes. Dans la vallée du fleuve
Sénégal en général, à défaut d'une
intervention énergique de l'Etat dans le domaine de la création
de l'emploi et de secteurs rentables permettant le maintien de la population
dans son terroir, les populations vivent principalement de
l'émigration.
D'aucuns disent que l'émigration est la source vitale
de cette contrée du Sénégal. Ainsi, comme l'atteste le
Tableau 7, 76,66% de la population dudit village ont comme source de revenu
principale la manne migratoire, contre seulement 11,66% pour l'agriculture.
Cela est rendu possible grâce à l'appui indéfectible des
migrants. Les émigrés constituent le fer de lance de
l'épanouissement des populations restées au village. Ainsi,
<< le migrant participe individuellement ou collectivement à la
vie quotidienne de son village natal. Etant théoriquement plus
aisé, il contribue notablement par l'injonction de flux, à la
transformation de la situation tant économique que sociale de son
village »40. Cet état de fait justifie l'ampleur de
l'émigration dans cette localité.
39 FAUJAS Alain : Emigration : << Les femmes
sont les grandes bénéficiaires des phénomènes
migratoires », Le Monde du 30 juin 2007
40 AHIANYO.A- AKAKPO: «L'impact de la migration
sur la société villageoise: approche sociologique (exemple
Togo-Ghana)», in Les Migrations contemporaines en Afrique de
l'ouest, p159
Au cours de l'année 2008 quelques 929.754.199 francs
CFA (Graphique n°6) ont pu être envoyés à des parents
par les émigrés du village de par le monde. Dans cet ordre
d'idées, nous montrerons dans les paragraphes qui suivent l'origine et
la représentation en termes de quantité de ces transferts
d'argent.
Tableau 7: Source de revenu
principale de la population
Sources de revenu principale
|
Population
|
Pourcentages
|
Agriculture
|
7
|
11,66
|
Artisanat
|
4
|
6,66
|
Elevage
|
2
|
3,33
|
Migration
|
46
|
76,66
|
Autre
|
1
|
1,69
|
Total
|
60
|
100
|
Source : Enquête de terrain, 2008
I.1. Origine géographiques des flux financiers
transférés vers
Wodobéré
L'étude des origines géographiques des
transferts d'argent vers le village de Wodobéré
révèle trois pôles principaux : l'Europe, les Etats Unis
d'Amérique et, à une moindre importance, le continent
africain.
Au niveau du vieux continent, la France est de loin la plus
grande pourvoyeuse de fonds avec 75 % (carte n°3) des transferts d'argent.
Elle est suivie par l'Espagne avec 4% alors que l'Allemagne, l'Angleterre,
l'Italie et la Suisse participent moins de 1% du montant total envoyé
vers Wodobéré. Le fort taux de transfert d'argent à partir
de la France est corollaire à la forte présence sur le territoire
français des sénégalais en général. En
outre, cette présence massive s'explique, comme nous l'avions vu
précédemment, par l'influence et par les réminiscences de
la métropole sur ses anciennes colonies. Des liens de dépendances
voire d'affections entre la puissance colonisatrice et les populations
autochtones ont subsisté après les indépendances.
Très tôt, les gens de la moyenne vallée du fleuve
Sénégal ont commencé à émigrer vers la
France. Cette longue histoire migratoire a fait de la vallée du fleuve
Sénégal, durant plusieurs années, la principale casemate
d'émigrations vers l'ancienne métropole.
74
Par contre, l'Espagne, nouveau pays d'immigration, est selon
les émigrés d'une économie fragile. Sur le plan de la
sécurité sociale, la France offre de meilleures
possibilités, d'où la faible présence des
émigrés sur le territoire espagnol. En effet,
l'Espagne constitue un pays de transit vers la France. La
conjugaison de tous ces facteurs fait que les transferts d'argent venant
l'Espagne vers Wodobéré sont moins importants. La faiblesse des
flux financiers venant de l'Allemagne, de l'Italie et de la Suisse est due elle
aussi à faible représentativité des émigrés
dans ces différents pays.
En plus de l'Europe, 10 % des transferts d'argent viennent des
Etats unis d'Amérique. Ce taux s'explique non pas par l'importance du
nombre d'immigrés aux pays de l'oncle Sam mais par la différence
de devise qui est à la faveur du dollar. Par contre comparés
à la France, les fonds venant des Etats Unis sont moins importants. Les
barrières linguistiques, l'absence d'une sécurité sociale
adéquate et la lourdeur des formalités pour l'obtention d'un
titre de voyage font que les Etats unis d'Amérique n'occupent que moins
de 1% de la diaspora villageoise. Les Habitants de Wodobéré
émigrent très peu vers les Etats Unis.
Sur le continent africain les principaux transferts en
direction de Wodobéré viennent de Dakar (Sénégal)
avec 7% des flux. Cela s'explique par la forte concentration des
immigrés originaires de Wodobéré dans la capitale.
Pôle économique et l'antichambre des différentes
destinations internationales, Dakar est par sa position géographique et
par ses attributs, la première et la principale destination africaine
des migrants.
Par ailleurs, à l'exception de Dakar, les destinations
africaines ne fournissent que moins de 1% des transferts. Cela
découlerait non seulement de la faible présence des
émigrés du village dans ces pays mais aussi de la pauvreté
qui sévit dans ces pays d'accueil.
76
I.2. Le volume des flux financiers selon les
origines
Source : Bureau de poste de Wodobéré,
2008
Les flux financiers en direction de Wodobéré
sont d'une importance capitale. Avec une population de 3873 habitants seulement
en 2002, le montant annuel des transferts d'argent des différents pays
d'immigration vers Wodobéré s'élève à
929.754.199 francs CFA en 2008 (Graphique 6). Ces chiffres représentent
uniquement les mandats envoyés par les canaux traditionnels de transfert
d'argent dont les plus utilisés sont Western union, Money express,
Mandat placid et « des points fax ».
Les points fax sont des moyens de transferts établis
par les émigrés qui se sont regroupés en `' GIE»
servant de véritables relais pour la transmission des mandats de
l'étranger vers leurs pays d'origine. Avec deux structures
parallèles, une à l'étranger servant à collecter
auprès des immigrés souhaitant envoyer de l'argent à leurs
parents et une autre structure au village permettant la transaction. Le GIE
constitue un canal privilégié et moins coûteux pour la
diaspora. Ainsi, après avoir reçu l'argent de
l'émigré avec une commission, le GIE établi dans les pays
d'accueil ordonne à son représentant au village de remettre la
somme équivalente aux destinataires (graphique 7).
Graphique 7: Représentation
schématique du mode de fonctionnement des points
fax
Emigré
Pays d'accueil
Intermédiaire Pays d'accueil
Appel téléphonique
Appel téléphonique
Intermédiaire Pays de réception
Receveur du
transfert
d'argent
Légende:
|
|
|
Transaction
Appel téléphonique
|
Parallèlement aux structures traditionnelles de
transferts d'argent, un autre canal informel est utilisé par les
émigrés. Il s'agit du transfert du << main en main
>>. Les émigrés reviennent périodiquement au
village. Ce qui permet à plusieurs d'entre eux de rapporter de l'argent
vers Wodobéré sans le moindre coût. C'est-à-dire que
les émigrés remettent l'argent à transférer
à leur compatriote, le plus souvent qui leur est proche, en partance
pour le pays. D'après nos enquêtes cette forme de transfert est
fréquemment utilisée par la diaspora. Ce qui revient à
dire que les canaux traditionnels de transfert d'argent ne permettent pas de
connaitre avec exactitude le volume des flux financiers. Le volume des fonds
envoyés par le biais des deux dernières formes de transfert
à savoir les points fax et le rapatriement par un proche, reste
très difficile à quantifier. Selon la BAD << les transferts
de fonds par les canaux informels représentent 46% des transferts totaux
reçus par le Sénégal en 2005 >>41.
En effet, les montants des transferts d'argent
diffèrent selon les pays d'immigration. Sur les 929.754.199 francs CFA
(Graphique n°6) envoyés en 2008 par la diaspora villageoise de
Wodobéré, 720.929.307 francs CFA viennent de la France. Cette
manne financière est en corrélation avec le nombre
d'immigrés vivant dans l'hexagone. Après la France, les flux
78
41 Gaye Daffé : << Les transferts
d'argent des migrants sénégalais : Entre espoir et risques de
dépendance >>, p111
financiers les plus importants viennent des Etats Unis
d'Amérique avec 92.359.894 francs CFA du total annuel.
L'Afrique est faiblement représentée dans les
transferts d'argent. Hormis le Sénégal (Dakar) avec 69.471.618
francs CFA, les transferts venant des autres pays africains n'excèdent
jamais les dix millions de francs par an. Par ailleurs, la primauté de
Dakar sur les autres régions africaines dans la répartition des
transferts de fonds n'est point le fruit de l'importance des immigrés
à Dakar. D'après nos sources, malgré la forte
présence des émigré à Dakar, il s'agit des
transferts d'argent qui viennent de l'étranger mais qui transitent par
Dakar. Il s'agit pour la plus part, de l'argent des émigrés qui
ont souhaité transférer d'abord à un tiers basé
à Dakar. Ce dernier se chargera par suite de le transférer vers
Wodobéré.
Cependant, ce déséquilibre entre le nombre de
migrants et le volume des transferts d'argent s'explique, d'une part, par la
différence de devises et, d'autre part, par l'importance des salaires et
les possibilités d'emploi au niveau des pays d'accueil. Non seulement il
est beaucoup plus facile de trouver un emploi dans les pays
développés que dans les pays en développement mais aussi
la différence de devises fait que les transferts des
émigrés internationaux sont plus consistants que ceux des
émigrés internes.
II. L'utilisation des transferts d'argent
Les fonds transférés vers Wodobéré
à titre collectif sont consentis à la réalisation des
ouvrages de prestige destinés à la communauté toute
entière alors que les flux financiers à titre individuel servent
pour l'essentiel à garantir la sécurité alimentaire et le
bien être des familles d'émigrés. << Le transfert
à vocation économique présente une part résiduelle
»42 dans les montants envoyés chaque année.
II.1 Utilisation collective de type
social
Les émigrés du village de
Wodobéré, à travers leurs différentes associations,
ont réalisé d'importants ouvrages à destination
collective. Ces associations, à l'instar de l'Association de
Wodobéré pour le Développement, l'Education et la
Santé (AWDES), ont permis la construction et l'équipement des
ouvrages allant du social aux infrastructures pour l'épanouissement, la
vulgarisation et la formation de la population résidente.
42 SALL Babacar : << Migrations, transferts
financiers et initiatives économiques en Afrique subsaharienne ».
In Objectif développement : Migrations, transferts de fonds et
Développement, p284
Nonobstant les transferts qu'ils effectuent individuellement
en direction de leurs familles, les émigrés orientent leurs
actions vers la gestion collective des ressources drainées par
l'émigration.
« Les associations visent une utilisation plus
rationnelle de l'épargne des émigrés, un transfert des
connaissance acquises et des normes de consommation - en somme les
émigrés recherchent une rentabilisation plus efficace au village
de leur séjour en France»43.
Ainsi, ils mettent aussi leur savoir faire au profil de la
communauté d'origine. Ce qui fait d'eux des piliers fondamentaux pour
l'évolution et l'éveil des consciences des
non-émigrés.
Les aspects religieux
Constitués exclusivement de confession musulmane, les
habitants du village de Wodobéré, comme partout ailleurs au
Fouta, ont très vite embrassé les préceptes de l'Islam.
L'éducation, la formation et la pratique de cette religion sont le
soubassement de la vie sociale. Ainsi, l'Islam occupe une place de choix dans
l'orientation des actes et de la politique régissant la vie
communautaire.
Les émigrés, dans leur majorité ont eu
à bénéficier de l'appui des dignitaires religieux pour la
réalisation de leur projet migratoire. Il n'existe pas un seul
émigré pour lequel le départ n'est pas accompagné
d'incantations et autres prières des hommes de foi. C'est ainsi dire que
les émigrés accordent une grande importance à la religion
musulmane et à ses recommandations. Cet attachement des
émigrés à la religion constitue souvent le soubassement de
plusieurs actes qu'ils posent.
Ainsi, après la réussite, les émigrés
oeuvrent soit pour témoigner leur
reconnaissance à leur guide, soit pour
bénéficier de beaucoup plus prières de la part des
représentants religieux. C'est dans ce cadre que plusieurs actions
afférentes à la religion ont été faites. A titre
individuel, les émigrés paient de billet de pèlerinage
à certains marabouts, leur achètent des voitures et/ou leur
construisent des habitations. A titre collectif et par le biais de
l'association des ressortissants du village de Wodobéré, ils ont
permis la construction d'une mosquée dont le coût
s'élève à plus de 70 millions de FCFA en 2000 (Photo
2).
80
43 Quiminal Catherine : Le rôle des
immigrés dans les projets de développement et les formes de
coopération possibles dans la vallée du fleuve
Sénégal, p.330
Photo 2 : Mosquée construite par
l'association villageoise en 2000
Les infrastructures
Village de moins de 4000 âmes et se trouvant à
plus de 600 km de la capitale du Sénégal, Wodobéré
est caractérisé par l'absence de l'action de l'Etat si ce n'est
que pour fournir le personnel pour le fonctionnement de certaines structures.
Il n'y existe aucune infrastructure dont la réalisation a
été l'oeuvre du pouvoir central. En effet, il accompagne les
populations quand il s'agit de fournir le personnel nécessaire au
fonctionnement des structures telles que les bureaux de poste, les
écoles, les postes de santé entre autres.
Conscients des difficultés rencontrées par les
habitants de cette localité dans le domaine de la santé, de
l'éducation, de la communication, et des risques encourus, les
émigrés ne lésinent pas les moyens pour mettre en pratique
les services sociaux de base. C'est dans ce cadre qu'ils ont construit un
Bureau de poste en 1991 pour faciliter la communication entre le village et sa
diaspora. Dans ce même registre, ils ont financé
intégralement la construction d'un Collège d'enseignement moyen
en 2006, devenu aujourd'hui Lycée de Wodobéré. Ce dernier
est d'une importance incommensurable quand on sait que le Lycée le plus
proche est difficilement accessible. La construction de ce Collège par
les émigrés permet une scolarisation des filles beaucoup plus
efficiente.
C'est dans cette même perspective, pour pallier les
problèmes récurrents de l'accès aux services de la
santé, que les émigrés ont financé la construction
d'un Poste de santé en
2005. L'action des émigrés dans cette
localité est loin de connaitre son épilogue car ils sont parvenus
à tisser des réseaux de relations leur permettant d'atteindre
leurs objectifs. Ainsi, pour participer à l'éducation des jeunes,
les émigrés, par le biais de l'AWDES ont, en collaboration avec
l'ONG française Co-Développement, construit une seconde Ecole
élémentaire en 2008. Cette dernière dont le coût
s'élève à 68 millions de FCFA a été
construite avec un apport de 13% des émigrés. Ainsi, << ces
investissements concourent à densifier l'espace et à promouvoir
le développement local »44.
II.2. Utilisation de type familial des transferts
financiers
« Si la France va bien, le village va bien
». Cette petite phrase lancée par un de nos interviewés nous
enseigne à quel point la vie socioéconomique du village est
assujettie aux transferts de fonds issus de l'émigration. La
dépense alimentaire, l'habillement, la santé, l'éducation,
le logis et l'ensemble des besoins primaires des habitants sont
subjugués aux fonds envoyés. Ces transferts << constituent
une forme de protection, d'assurance face aux incertitudes et à la
précarité des populations »45. Ils permettent
d'alléger les incidences du déficit pluviométrique sur la
production agricoles.
La transformation du bâti
Tableau 8 : Le pourcentage du patrimoine
bâti selon la matière de construction
Nature des bâtiments
|
Effectifs
|
Pourcentages
|
En dur
|
44
|
73
|
En banco
|
15
|
25
|
En paille
|
1
|
2
|
Source : Enquête de terrain, 2008
Si dans les années précédent
l'émigration des habitants du village de Wodobéré vers les
pays du Nord, l'essentiel des matériaux constituant les habitations
était en banco, aujourd'hui on peut apercevoir à travers le
bâti une nette amélioration du cadre de vie. Les photographies 3
et 4 sont révélatrices de cette transformation en dur du
patrimoine bâti qui était naguère en banco. La construction
d'une maison en dur au village constitue l'une des matérialisations de
la réussite de l'émigré. Les transferts d'argent
alloués à la construction de logements familiaux
représentent 5,6% des montants reçus par les familles
d'émigrés (Tableau 9). Ce qui fait que << le plus souvent
aussi, le migrant envoie de l'argent et des
44 Raunet Mireille: Op.cit., p343
82
45 Raunet Mireille: Ibid., p342
matériaux pour qu'on puisse lui construire une habitation
plus conforme à son nouveau standing [...] »46.
« L'émigration fait notre fierté »
scande un habitant avec lequel nous avons eu un entretien. Aux yeux de ces
habitants la construction d'une belle maison, la sécurité
alimentaire, entre autres, sont les baromètres de la réussite
sociale pour les émigrés. Cela se traduit par une augmentation
considérable des surfaces bâties mais également par une
prolifération des bâtiments en dur. Les demeures en dur
représentent 73% (Tableau n°8) du patrimoine. L'augmentation des
surfaces bâties contribue à l'amélioration des conditions
de vie des non-émigrés
Photo 3: Maison en construction Photo 4 : Maison d'un
émigré établi en France
Cependant, les émigrés manquent de
réalisme et sont parfois animés par d'autres ambitions que de se
servir un habitat acceptable. Dans un village, où la ressource
foncière est à perte de vu et les familles peu nombreuses, il est
un paradoxal d'y construire des bâtiments de standing R+. Le
bâtiment en construction (Photo 3) est un exemple illustratif de
l'existence de ces châteaux dans le désert. Il se pose tout
simplement un problème de priorités parce qu'en lieu et place de
ces constructions ostentatoires, qui ne peuvent pas d'ailleurs être
utilisées dans leur intégralité, les émigrés
auraient beaucoup à gagner s'ils investissaient dans les secteurs
pouvant absorber la main d'oeuvre existante.
En effet, cette manie de construction des
émigrés réside dans leurs soucis de
notoriété au sein de la communauté villageoise
plutôt que de leur besoin d'abri acceptable. Cela est d'autant plus vrai
que les émigrés se dépouillent de toute leur fortune pour
ne
46 AHIANYO.A- AKAKPO : Op.cit., p159
construire qu'un bâtiment qui à la limite ne leur
servira pas subséquemment. Ceci parce qu'ayant toute leur famille dans
les régions d'accueil.
La sécurité alimentaire
Au Sénégal, « comme la
quasi-totalité des pays d'Afrique subsaharien, les études
montrent, en effet que les transferts de fonds sont prioritairement et
majoritairement destinés à alimenter le budget de consommation de
la famille d'origine du migrant47 ». Au niveau local, il en est
de même parce qu'à Wodobéré 85,1% (Tableau n°9)
des flux financiers de l'émigration sont destinés à
l'entretien de la famille de l'émigré. Cet argent couvre
l'essentiel des besoins de la famille. Il sert d'assurer la dépense
quotidienne, l'achat de l'habillement, à financier certaines
cérémonies mais également à couvrir les
dépenses liées à la santé.
L'importance accordée à la
sécurité de la famille dans l'utilisation des transferts d'argent
trouve ses explications dans les déterminants de l'émigration.
Cette dernière est d'abord économique et une stratégie de
survie des populations pour diversifier leurs ressources. La première
raison d'émigration est d'asseoir une alimentation suffisante à
la famille de l'émigré. Il est donc tout à fait logique
pour l'émigré que les fonds consentis à l'alimentions
soient beaucoup plus importants.
En effet, il se pose aujourd'hui la question de savoir comment
pallier cette dépendance alimentaire vis-à-vis des
retombées de l'émigration. Il est d'autan plus inquiétant
que la vie de ces foyers vivant directement et exclusivement des ressources
tirées de la migration est assujettie aux rythmes des politiques
étatiques régissant les migrations, mais aussi au cours des
marchés mondiaux. Malgré la distance qui peut séparer ces
familles aux pays d'accueil, les pertes d'emploi liées aux
différentes crises internationales sont ressenties au niveau local parce
que l'émigré constitue le garant de la famille.
Tableau 9 : Ratios d'utilisation des
transferts d'argents reçus par les ménages (en%).
Utilisation
|
Pourcentage
|
Entretien de la famille
|
85,1
|
Construction d'un habitat familial
|
5,6
|
Remboursement de prêts
|
3,7
|
Investissement productifs
|
3
|
Autres
|
2,6
|
Source : Enquête de terrain, 2008
84
47 Gaye Daffé : Op.cit., p118
L'amélioration des conditions de vie
En plus de la sécurité alimentaire des
non-émigrés, malgré la précarité des
conditions de vie dans le monde rural, les émigrés veillent au
bien être de leurs compatriotes restés au village. Ils ne
ménagent aucun effort pour mettre leurs parents à l'abri du
besoin. Ainsi, de la téléphonie mobile à
l'électroménager, de la construction d'habitation à leur
équipement, les émigrés n'hésitent pas à
dépenser des sommes faramineuses pour le bien être de leurs
parents. L'essentiel des ménages de Wodobéré a
accès à l'eau et à l'électricité (Tableau
10).
Aujourd'hui, les émigrés envoient
également en nature. D'ailleurs, depuis un passé récent
cette forme de transfert connait une évolution spectaculaire. Il s'agit
pour l'essentiel des objets usités dans les pays occidentaux tels que
des voitures, des ordinateurs, des réfrigérateurs, des
téléviseurs etc. Ainsi, dans tous les ménages où il
existe un/des émigré(s) les familles disposent de certaines
commodités.
Tableau n°10 : Equipement des
ménages
Eléments
|
Population
|
Pourcentage
|
Raccordement en électricité
|
48
|
80
|
Adduction d'eau
|
52
|
86,66
|
Ordinateur
|
7
|
11,66
|
Voiture
|
4
|
6,66
|
Réfrigérateur
|
27
|
45
|
Téléphone fixe
|
31
|
51,66
|
Téléphone cellulaire
|
54
|
90
|
Poste radio
|
54
|
90
|
Téléviseur
|
48
|
80
|
Sans équipement
|
00
|
00
|
Source : Enquête de terrain, 2008
II.3. Les investissements économiques
individuels
Si les premiers émigrés ne se souciaient que du
bien être de leurs parents restés au village, ceux de ces
dernières années pensent de plus en plus à investir dans
des secteurs plus ou moins rentables. Ils sont nombreux à intervenir
dans le transport, le commerce et dans l'immobilier.
En effet, comparés aux montants accordés aux
autres secteurs, les fonds réservés aux investissements
productifs sont très minimes. Ils ne représentent que 3% des
transferts d'argent reçus par les ménages. Cela s'explique par la
« [...] la capacité limitée des bénéficiaires
à entreprendre des activités productives d'une part, et par le
manque de confiance des migrants dans les structures intermédiaires
d'autre part»48. Cela s'explique également par
l'illettrisme des émigrés parce qu'ils sont constitués
dans leur majorité par des gens qui n'ont pas fréquenté
l'école ou, du moins, qui ont quitté très tôt les
bancs.
L'immobilier
Pour un bon nombre d'émigrés, l'immobilier
constitue le secteur le plus sûr car ne nécessitant pas
l'intervention ou la gestion d'un tiers. Ils se chargent eux-mêmes ou par
l'intermédiaire d'un proche d'acheter des maisons à Dakar. Ainsi,
l'immobilier fait l'objet de convoitise des émigrés parce que les
barrières administratives sont beaucoup plus souples et sa gestion
beaucoup plus facile. C'est sous cette optique que la plupart des
émigrés analysent la rentabilité de leurs
investissements.
En effet, l'importance accordée à
l'investissement dans le secteur de l'immobilier découle de leur manque
de moyens pouvant financier de gros projets. Avec leurs pécules
redistribués d'abord à travers les taxes et pour honorer leurs
engagements dans les pays d'accueil, puis par les transferts d'argent envers
leur famille respective, les émigrés ne peuvent pas
épargner pour le financement de grands projets. Ce qui explique leur
ruée vers l'immobilier.
Le commerce
Au demeurant le commerce n'est pas pour les
émigrés une activité dans laquelle ils cherchent à
avoir du profit. Quand ils interviennent dans ce secteur c'est, soit pour
créer un emploi à leurs frères restés au village,
soit pour préparer leurs retours définitifs de
l'émigration. Au village de Wodobéré, la
quasi-totalité des boutiques sont financées par les
émigrés.
Le transport
Le village de Wodobéré a été
pendant plusieurs années marqué par son enclavement et par des
difficultés dans les déplacements de sa population. Aujourd'hui,
avec la construction d'une piste en latérite sur la route
régionale (R42), on note une certaine amélioration dans les
conditions de déplacement des populations. Ainsi, pour faciliter
l'interconnexion du village et le reste du pays, les émigrés, par
le biais de leurs
86
48 Gaye D : Op.cit., p120
associations, ont d'abord mis à la disposition des
habitants une voiture leur permettant de voyager à moindre coût.
Par la suite, d'autres ont commencé à intervenir à titre
individuel en achetant des taxis brousses (Photo 5). Depuis lors, des actions
allant dans ce sens se sont multipliées mettant en place un
véritable réseau routier.
Photo 5 : Deux taxis brousse appartenant
à des émigrés
CHAPITRE II : Les facteurs négatifs de
l'émigration sur la population résidente
Le voyage a toujours été l'un des vecteurs de
changements et de transformation dans les habitudes, dans les comportements et
dans les manières de vivre de ceux qui le font. Des changements non
seulement pour celui qui l'effectue mais aussi, dans le cadre de
l'émigration massive, pour toutes les personnes qui gardent des rapports
étroits avec ces derniers.
Ainsi, le séjour dans une communauté avec des
réalités différentes se traduit soit par
l'intégration de l'immigré, soit par son repli sur lui-même
à travers les associations de ressortissants. S'il s'agit du premier
cas, l'acculturation de l'émigré peut devenir l'aboutissement de
l'intégration à la communauté d'accueil. Dès lors,
l'émigré devient un véritable pilier de la mondialisation
parce qu'il va servir de relais entre le pays d'accueil et le pays d'origine.
Cette mondialisation, avec des flux d'information à sens unique
(nord/sud), ébranle les sociétés traditionnelles Ouest
africaines en générale et du Damga en particulier. Elle installe
de nouvelles pratiques, de nouveaux comportements et une nouvelle
identité au détriment de la vie communautaire et des rapports
sociaux basés sur l'entraide et la solidarité.
Le village de Wodobéré est aujourd'hui au coeur de
ce remue ménage incongrue, qui est la conséquence directe des
influences comportementales de l'homme migrant.
I. Les facteurs socioculturels
L'émigration a des conséquences socioculturelles
sur la population résidente. Ces conséquences sont la
désintégration des liens de solidarités, le
dépeuplement des zones de départ, la fréquence des actes
d'adultères etc.
I.1. La désintégration des liens de
solidarité
Contrairement à ce que l'on croirait,
l'émigration n'est pas uniquement un manque à gagner pour les
populations concernées. Elle est aujourd'hui un facteur provoquant
l'avènement de nouveaux rapports sociaux qui n'existaient
naguère.
88
Si, à son origine dans la moyenne vallée du
fleuve Sénégal en général et à
Wodobéré en particulier, l'émigration était
inscrite dans les stratégies mises en place par les familles pour leur
assurance contre les aléas naturels et pour se mettre à l'abri du
besoin, elle est aujourd'hui source de distanciation des liens familiaux et de
discorde. Au gré des vents de la mondialisation, on assiste à
l'avènement de familles nucléaires et à un
individualisme
grandissant dans une société à mode de
vie communautaire. L'argent corrompt les moeurs légères et
éloigne certains de leur communauté. Avec la réussite
sociale de certains émigrés obnubilés par le pouvoir de
l'argent, l'éclatement des familles qui, il y'a de cela quelques
décennies vivaient sous les mêmes toits, est devenu une constante.
L'unité familiale n'est plus la concession composée par plusieurs
ménages dans une même concession mais, se constitue plutôt
autour d'un seul fooyré.
En plus de la désintégration des liens de
solidarité au niveau des familles, il y a également le
développement de nouveaux types de rapports basés non pas sur les
liens conviviaux mais sur des jeux d'intérêt. Il est
fréquent, dans nos communautés villageoises à forte
composante migratoire, de voir des relations extra-familiales beaucoup plus
nourries que celles qui existent entre des frères de même sang.
Cette situation se traduit par la désagrégation des familles et
l'apparition de relations de plus en plus tendues.
I.2. Le dépeuplement
La première conséquence visible de
l'émigration quant on arrive dans les localités à fort
taux d'émigration c'est la prépondérance des jeunes de
moins de vingt ans, des femmes et des vieux. Autrement dit, la
quasi-totalité des hommes valides, c'est-à-dire dont l'âge
se situe entre 20 et 64 ans, est absente. Ainsi, à la lumière du
Tableau 11, il n'existe que 10,35% d'hommes présents au village contre
23,7% de femmes. Parallèlement, pour la même classe d'âge,
on note une suprématie des hommes sur les femmes résidents hors
du village avec respectivement 11,98% et 6,36%.
Cela s'explique, comme nous l'avions dit
précédemment, par le rôle de l'homme dans la
répartition des responsabilités familiales, par les effets de
l'émigration sélective et par la structuration de la
société. Village marqué par une société
inégalitaire, tant du point de vu du sexe que du point de vu de
l'âge, Wodobéré est habité majoritairement par des
femmes.
Cette situation favorise le dépeuplement, d'une part,
parce que les naissances sont très espacées et, d'autre part,
parce que les épouses d'émigrés ont tendance à
rejoindre leurs maris dans leurs destinations respectives. Pire, les
émigrés qui, à leur départ du village,
étaient célibataires peuvent contracter des mariages et fonder
des familles dans les régions d'accueil.
Ceci se traduit au niveau local par un dépeuplement de
plus en plus pressent mais aussi par l'absence des actifs censés venir
à la rescousse des vieux qui représentent
d'ailleurs une importante partie dans la population
résidente. D'autant plus que ces vieux ont besoin de l'aide et de
l'assistance pour se maintenir.
Au niveau de la reproduction également, les
conséquences de l'émigration masculine se font sentir. Il faut le
rappeler, les courts séjours des émigrés au village
conjugués aux longues durées qu'ils restent à
l'étranger amenuisent les chances de fécondité de leurs
épouses. Ce qui se traduit par des naissances très
espacées chez les unes et par une baisse notoire de la
fécondité chez les autres. Ces revers de l'émigration sont
très mal vécus par certaines épouses
d'émigrés qui finissent par se livrer à des actes qui ne
les honorent pas.
Tableau 11: Rapport entre la population
absente et la population présente selon l'âge et le sexe (%)
Sexe Tranches d'âge
|
Féminin
|
Masculin
|
Totaux
|
Présentes
|
Absentes
|
Présents
|
Absents
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
Eff.
|
%
|
00-19
|
166
|
15,07
|
34
|
3,08
|
177
|
16,07
|
49
|
4,45
|
426
|
38,6
7
|
20-64
|
261
|
23,7
|
70
|
6,35
|
114
|
10,35
|
132
|
11,98
|
577
|
52,3
8
|
65+
|
43
|
3,9
|
8
|
0,79
|
30
|
2,72
|
17
|
1,54
|
98
|
8,95
|
Totaux
|
470
|
42,67
|
112
|
10,22
|
321
|
29,14
|
198
|
17,97
|
N=1101
|
100
|
Source : Enquêtes de terrain, 2008
I.3. La fréquence d'actes d'adultère,
facteur d'infanticides
Comme nous l'avions vu précédemment,
l'émigration dans cette contrée du Sénégal se
caractérise par la durée des voyages et l'absence des maris de
leurs foyers durant de longues années. Cette absence est souvent source
de frustration et de résignation chez les femmes
d'émigrés. Les moins pudiques, pour assouvir leurs besoins, se
tournent vers des actes coupables. Ainsi, on note une récurrence des
actes d'adultères liés au caractère des migrations
internationales. La fréquence des cas d'infanticide est
étroitement liée à ces actes d'adultère de femmes
d'émigrés.
90
En plus de l'absence des maris qui est une source de
tentation, la fréquence des actes d'adultère est liée
à l'influence des rentes migratoires. Les femmes de cette
localité, comme il est souvent le cas partout ailleurs, ont un besoin
pressent de liquidité pour, non seulement, avoir une certaine aisance
financière mais aussi pour assouvir leurs besoins en objets de parure.
Ainsi, certaines femmes, obnubilées par le pouvoir de l'argent et qui,
par
mal chance n'ont pas de mari émigré, se livrent
à une prostitution déguisée. Prostitution
déguisée parce que, même si ces dernières ne
squattent pas les rues et ruelles du village, elles cèdent sous le
pouvoir de l'argent. Profitant de cet état de fait, des hommes usant ou
pas de leur statut d'émigré, se permettent d'abuser de ces femmes
contre quelques petites liasses de billet de banque.
En effet, les raisons avancées si dessus ne sont pas
les seules causes de la fréquence des actes d'adultère dans les
communautés à forte migration en général et
à Wodobéré en particulier. Ces actes peuvent être le
résultat de l'hypocrisie et de la malhonnêteté des
émigrés eux-mêmes. Notre interviewé,
émigré de son état, témoigne que :
« Les relations heurtées entres compatriotes
en France sont souvent à l'origine de l'infidélité des
femmes au village. Un émigré avec lequel tu as eu quelques couacs
en France peut se permettre d'abuser de
ta femme une fois au village pour, se disant il, te faire du
mal ».
Ainsi, on est arrivé finalement à forger une
société où la perte de valeur et le manque
d'éthique ont conduit à la dégradation notoire des moeurs
qui étaient naguère la fierté de toute la
communauté villageoise.
I.4. L'émigré et le
sida
Plusieurs études ont mis en relation la propagation de
la pandémie du sida à l'émigration dans la moyenne
vallée du fleuve Sénégal. En effet, rares sont ceux qui
ont essayé d'étudier les effets psychologiques et comportementaux
de la maladie du sida sur les non-migrants d'une part et sur les
émigrés d'autre part.
Si l'on affecte la propagation du sida à la
mobilité et aux comportements sexuels à risque des migrants,
certains émigrés font aujourd'hui l'objet d'accusations et de
stigmatisations non fondées. Pour un émigré de retour des
régions africaines il est interdit de montrer la moindre faiblesse sur
le plan de la santé. Tout émigré revenant des destinations
africaines avec un état dépressif est de facto suspecté
par la population résidente. Cette caricaturisation des
émigrés est aujourd'hui source de discorde et de refoulement. Un
émigré en retour de la Cote d'Ivoire témoigne de sa
mésaventure :
« Je suis victime des représentations non
fondées faites sur les émigrés des régions
africaines. A mon retour au village, mon épouse m'a abandonné
prétextant que j'étais porteur du sida vu la faiblesse de mon
poids ».
Cette situation a suscité beaucoup de débat dans le
village et allant même jusqu'à réveiller de vieux
démons parce que ne s'arrêtant pas uniquement au couple.
92
Au niveau des veuves, dont les maris étaient des
émigrés de destinations africaines, la stigmatisation et le
refoulement sont également de mise. Il est quasiment impossible pour
elles de trouver de nouveaux maris.
En effet, l'émigration peut être tout de
même à l'origine de la propagation du sida. Certains
émigrés avec des comportements sexuels à risque,
c'est-à-dire qui font souvent recours aux prostituées lors de
leurs voyages, peuvent à leur retour contaminer leurs épouses si
toute fois ils sont infectés. Quand on sait que les systèmes de
lévirat et de sororat sont pratiqués dans cette partie du pays,
nous pouvons dire qu'à travers l'émigré la maladie peut se
propager dans les familles.
II. L'émigration, facteur de
dégénérescence de l'économie locale
L'émigration joue certes, un rôle de premier plan
dans le développement de nos jeunes nations, mais elle n'est pas pour
autant sans conséquences sur le plan économique. Ponctionnant des
villages de leurs bras valides, elle affecte les productions agricoles si elle
ne les dévalorise pas totalement.
Ainsi, on assiste aujourd'hui à une
surévaluation de l'émigration par rapport à tous les
autres secteurs d'activités. Elle est à l'origine de l'abandon de
l'agriculture, de la dévalorisation de l'artisanat par la population
locale mais également du désintéressement des jeunes
à l'éducation et à la formation.
II.1. L'abandon de l'agriculture
Si à l'origine, par le biais du troc, l'agriculteur
pouvait échanger son mil au poisson du pêcheur, l'éleveur,
son lait au mil de l'agriculteur, aujourd'hui toutes les transactions se font
avec de l'argent. Il est quasi impossible de trouver une denrée
alimentaire, vile soit elle, sans posséder de l'argent. Ainsi, les
remises migratoires, c'est-à-dire les retombées
financières de l'émigration, sont devenues la seule alternative
existante pour assouvir les besoins les plus élémentaires de la
population. L'argent c'est le pouvoir pour certains; parce que non seulement
les remises permettent l'achat des denrées alimentaires, dont la
production nécessite des efforts humains considérables et
mobilise des moyens qu'elle ne permet plus de compenser, mais aussi parce
qu'elle met les populations à l'abri de tout besoin. Cette situation de
dépendance face à ces remises est de nos jours à l'origine
de la décadence de l'agriculture.
En plus de cela, l'essentiel des denrées alimentaires
consommées par les populations locales est importé. Du riz au
poisson en passant par les autres ingrédients,
tous ces vivres viennent de l'intérieur du pays voire
même au-delà. On préfère le riz importé
plutôt que celui des paysans locaux, des pattes plutôt que les
plats à base de mil. Les produits locaux sont peu commercialisés
et par conséquent ne permettent pas aux agriculteurs de vivre de leurs
productions. Ce qui pousse les habitants de cette contrée à
chercher l'argent avec lequel ils peuvent acheter des produits agricoles
plutôt que d'en produire pour vendre par la suite. Cette situation est
à l'origine du désintéressement de la population en
général et des jeunes en particulier de l'agriculture.
De plus, comme nous l'avions mentionné
précédemment, l'agriculture souffre des aléas climatiques
et du manque de bras pour la mise en valeur des terres arables. La
répartition dans le temps et dans l'espace des pluies et des crues ne
permet plus une production en quantité et en qualité des
denrées pouvant assurer la subsistance des populations comme il
l'était à l'époque.
Ainsi, aux yeux des jeunes, l'émigration reste la seule
option sur laquelle ils peuvent compter pour pallier ces problèmes. Ceci
parce qu'en dépit des difficultés pour sa réalisation,
elle permet le plus souvent à ces jeunes d'atteindre les fins
escomptées. Avec les ressources qu'elle génère, les
populations ont fini par abandonner tout bonnement l'agriculture qui est
considérée comme une activité vétuste et
appelée à disparaître.
En effet, le manque de bras pour la mise en valeur de
l'agriculture et les aléas climatiques ne sont que les motifs
superficiels avancés par les populations. Par ailleurs, il existe des
considérations autres que ces motifs qui ont conduit à la
dégénérescence de l'agriculture. Il s'agit des ambitions
nourries par les transferts financiers. Autrement dit, les ménages qui
reçoivent régulièrement de l'argent par les
émigrés finissent tout bonnement par abandonner toute forme
d'activité pour ne vivre que de ces envois mensuels.
II.2. La dévalorisation de
l'artisanat
Tout comme l'agriculture, l'artisanat n'a pas
résisté face aux opportunités offertes par les migrations.
Etant un artisanat non structuré et utilisant des moyens rudimentaires,
il était tout d'abord confronté à la concurrence des
produits manufacturés, qui sont de meilleure qualité et bon
marché. Les industries fabriquent en quantités, en
qualités, sur des temps records et à moindre coût tout ce
que les artisans produisent avec des investissements en moyens et en efforts
colossaux. Ce qui se traduit sur le marché par la cherté des
produits artisanaux par rapport aux produits manufacturés.
Ainsi, l'artisanat souffre de nos jours du
désintéressement même des artisans. Il ne permet plus
à ces derniers de bénéficier de ses retombées
financières. Si à une époque
94
récente la vente des produits artisanaux recouvrait les
besoins des artisans, aujourd'hui il ne permet plus à ces derniers de
vivre dignement de leur art. Les conditions dans lesquelles les artisans
travaillent sont devenues de plus en plus précaires, d'où la
reconversion de ces derniers dans d'autres activités. C'est dans ce
cadre que nombre d'entre eux sont devenus des émigrés
potentiels.
II.3. Le désintéressement de la
population à l'éducation et à la
formation
Nos Etats en voie de développement sont
caractérisés, d'une part, par l'étroitesse du
marché de l'emploi et, d'autre part, par de mauvaises politiques de
recrutement des travailleurs. Ceci, parce que non seulement les offres d'emploi
ne sont que très rarement publiés pour le grand public, mais
aussi, même pour celles qui sont publiées, il n'existe aucune
objectivité dans le traitement des dossiers.
Certaines personnes ayant des réseaux de relations plus
denses bénéficient d'un favoritisme aberrant au dépend de
la masse. Ce manque d'objectivité et de rigueur dans les politiques de
recrutement entraine le chômage de milliers de diplômés.
Ceci est aux yeux des habitants de la localité de Wodobéré
une source de démotivation aussi bien pour les parents que pour les
jeunes eux-mêmes.
Par ailleurs, à l'opposée, l'émigration
offre, sans distinction aucune, l'opportunité de réussir en des
temps records. Si, pour les instruits il faut passer plus d'une vingtaine
d'années sur les bancs de l'école, décrocher certains
diplômes pour une éventuelle réussite sociale,
l'émigré en ce que le concerne peut rivaliser, au moins sur le
plan financier, avec les fonctionnaires de l'Etat en une période de cinq
ans. Ainsi, non seulement il gagne beaucoup plus en terme de temps mais aussi
en terme de revenus car il s'agit, pour la majorité, de
l'émigration internationale tournée vers France. Notre
interviewé témoigne que « rien qu'avec le smic tu peux
gagner plus de 500.000 FCA à la fin du mois ».Cette situation
explique aujourd'hui le désintéressement des parents et surtout
des jeunes à l'éducation et à la formation.
CHAPITRE III : Le village de Wodobéré face
aux défis de l'émigration I. La permanence des facteurs
d'émigration
Dans le village de Wodobéré la réussite
de l'émigration se mesure par le nombre d'émigrés d'une
même famille à l'étranger, la qualité de l'habitat
et la régularité de la dépense quotidienne. En plus de
cela, l'immobilier à Dakar, des taxis brousse au Fouta restent les seuls
baromètres d'une émigration réussie. Ce sont là les
seuls secteurs d'investissement auxquels les émigrés s'adonnent.
Le village de Wodobéré se caractérise par la
morosité des secteurs d'investissement des émigrés.
Malgré les montants colossaux envoyés par les
émigrés chaque année en direction du village, les facteurs
qui étaient à l'origine de leur départ existent encore.
L'émigration est un fait qui est devenu une chaîne. Loin
d'éradiquer les facteurs qui étaient à son origine, elle
est source de motivation pour les nouveaux candidats à
l'émigration.
Ceci parce que les émigrés, par illettrisme, ne
songent pas à trouver des créneaux d'investissement leur
permettant d'apporter les bonnes réponses à la
précarité des conditions de vie des habitants, condition sine
quoi none pour estomper les flux migratoires.
Quant on sait que c'est la pauvreté, la
précarité des conditions de vie et l'insécurité
alimentaire entre autres qui sont à l'origine des départs, les
ressources tirées de l'émigration devraient permettre de lutter
contre ces facteurs. En effet, en dehors des secteurs sporadiques cités
ci-dessus et qui font l'objet de convoitise par les émigrés, il
n'existe aucune autre structure pouvant créer de l'emploi. Cependant,
ces différents domaines d'investissement des émigrés,
à savoir la construction des immeubles et l'achat des taxis brousse, ne
permettent ni à absorber la main d'oeuvre existante encore moins
à susciter l'appropriation du milieu par les jeunes.
Il est aujourd'hui paradoxal de bâtir des étages
dans ce minuscule village alors que, d'une part, la ressource foncière
est à perte de vue et, d'autre part, les facteurs d'émigration
subsistent encore. Ces émigrés auraient beaucoup à gagner
s'ils investissaient cet argent dans des secteurs permettant de trouver un
remède à l'hémorragie que constitue la ponction du village
de ses bras valides. La manne financière que l'émigration
génère fait que les jeunes sont toujours obnubilés par
l'envie de quitter le pays.
Pour ces jeunes, l'émigration constitue la seule
alternative valable pour l'épanouissement de la population. Ce qui fait
que l'émigration a fini par tuer toutes les autres activités
pouvant conduire à un développement endogène. Ceci, parce
qu'au lieu de
96
créer des pôles d'emploi et retenir les jeunes,
la construction de ces bâtiments et l'achat de taxis brousse ne feront
que créer, chez les jeunes, l'envie d'émigrer.
L'émigration se résume à un épanouissement
individuel ou familial au détriment de la collectivité. Elle ne
permet pas à la société de tirer un profit commun de la
mobilité. Tant qu'il n'existe pas une réponse locale et
collective aux besoins de la population, l'émigration demeurera.
II. Perspectives d'investissements pour l'arrêt
définitif des départs
Il est important, pour un arrêt définitif des
flux migratoires de Wodobéré vers le reste du monde,
d'élaborer des actions et des politiques d'appropriation du terroir par
les populations. La création des centres d'intérêt et des
cadres d'expression, où des politiques d'appropriation du milieu peuvent
être élaborées, reste la seule alternative probable pour
retenir l'attention des jeunes. Ainsi, avec les ressources tirées de
l'émigration, en lieu et place des constructions ostentatoires, les
émigrés doivent doter le village d'outils et de moyens de
production aussi bien dans le social que dans l'économie.
L'émigration ne doit pas être une fin en soi, mais une passerelle
vers le développement endogène.
II.1. Sur le plan social
Sur le plan social, plusieurs actions peuvent être
menées pour non seulement une bonne utilisation des ressources
tirées de l'émigration mais aussi pour abroger ses principaux
facteurs. Il s'agit pour l'essentiel de:
- mettre sur pied des centres d'alphabétisation pour
une meilleure formation des jeunes et des adultes qui n'ont pas eu la chance de
fréquenter l'école et d'y rester. Il sera question dans ces
centres de former la population en coiffure, en couture etc. Ils peuvent
également être la charpente d'une politique de sensibilisation sur
les problèmes de santé, de la reproduction et surtout de la
gestion des ressources disponibles;
- créer des mouvements d'élèves et
étudiants forts et susceptibles de constituer un vecteur important dans
les politiques d'appropriation du milieu par la population. Ces mouvements se
chargeront de promouvoir l'éducation, base de tout développement,
le patriotisme et la valorisation des études.
Ainsi, avec la réussite scolaire de bon nombre
d'élèves, il se crée une certaine émulation entre
les jeunes. Ce qui se traduit par une scolarisation massive des enfants qui,
avec la création très récente du Lycée de
Wodobéré, vont rester plus longtemps à l'école.
Cela va se traduire par le refus des élèves, qui atteindront un
certain niveau d'étude, d'abandonner l'éducation et la formation
au profit de l'émigration. Déjà, le mouvement
actuel des élèves et étudiants montre les
prémices d'un avenir meilleur car non seulement les élèves
y adhèrent mais aussi il trouve un écho favorable au niveau de la
population. Il suffit juste de consolider les acquis, d'encourager les
élèves qui font de bons résultats et enfin de sensibiliser
d'avantage les parents. Ce qui va constituer un pas important pour l'abrogation
des facteurs d'émigration.
II.2. Sur le plan économique
Songer au développement de nos pays relève de
l'utopie si des politiques agricoles fiables ne sont pas mises en place. Ceci
est valable pour l'ensemble des campagnes du pays. Il faut
impérativement assurer l'autosuffisance alimentaire des populations par
le développement de l'agriculture pour que leur amour du terroir et de
ses activités soient effectif. L'agriculture doit être le socle
sur lequel repose l'économie rurale susceptible de prôner un
développement par le bas.
A défaut de l'action de l'Etat, les zones
d'émigration doivent prendre leur destin en mains. Pour atteindre ces
objectifs, les émigrés doivent collecter des fonds, travailler
d'avantage avec les institutions publiques, les partenaires au
développement et avec les ONG. Ainsi, ils n'auront qu'à orienter
leurs investissements vers le développement des activités
agricoles. Le village de Wodobéré, avec une aire importante de
plaine alluviale et avec la disponibilité des ressources en eaux, peut
faire l'objet d'une production intense de riz, de maïs et du mil.
L'exploitation des terres du walo et la mise en culture des casiers rizicoles
pouvaient être une alternative considérable au chômage des
jeunes de ce village. Pour cela, il suffit juste d'utiliser à bon
escient les fonds envoyés chaque année par l'achat d'intrants et
l'exploitation subséquente des terres arables et de l'eau du fleuve.
Les études récentes de la SAED, en collaboration
avec le ministère de l'agriculture, ont montré que près de
125 ha, jouxtant le village de Wodobéré, peuvent faire l'objet
d'une riziculture. En mesure d'accompagnement, la SAED promet de mettre
à la disposition des riziculteurs des tracteurs et des batteuses. En
plus de cela, pour une transformation des productions, une rizerie sera
implantée à Matam.
En effet, il n'existe pas jusque là des investisseurs
intéressés par ce secteurs. Mais, en dépit d'une
implication de l'ensemble des émigrés par le biais de
l'association villageoise établie en France, les
intéressés doivent se regrouper en G.I.E à l'image de ce
qui se passe à Ndouloumadji Dembé, où les principaux
agriculteurs sont des investisseurs émigrés. Ensuite, ils doivent
impliquer les femmes. Ces dernières sont la plupart du temps
98
celles qui dirigent les ménages
d'émigrés. Donc, le rôle de second qui leur était
assigné jusque là doit être remplacé par leur
responsabilisation.
Parallèlement, les ressources en eaux telles que le
fleuve doivent être utilisées en bon escient. Elles permettront de
développer la pisciculture et le maraîchage. Les
émigrés à travers des G.I.E doivent réunir des
fonds pour la mise sur pied des bassins de fécondation d'où
seront issus les alevins. Le développement de la pisciculture va pallier
le problème récurrent de la provision en poisson à une
certaine période de l'année. Quant on sait que le poisson
consommé à Wodobéré et dans plusieurs villages du
Fouta vient de Richard Toll, de Saint-Louis voire de Dakar. On conviendra que
la pisciculture est un secteur qui peut rapporter gros dans cette
région. L'exploitation de cette aubaine permettra de retenir les jeunes,
de faire du village un pôle attractif de la région de Matam.
Enfin, les fermes peuvent également être un outil
pour le développement endogène qui arrêtera les flux
migratoires. La mise sur pied d'une ferme à Wodobéré
constituera une première dans la zone. Ce qui permettra de centraliser
l'ensemble des animaux, dont la divagation est d'ailleurs source de conflits
entre agricultures et éleveurs. Avec ces fermes, c'est la production de
produits animaliers et de leurs dérivés qui s'en suivra. Ainsi,
les exploitants fourniront à la région les produits
nécessaires.
CONCLUSION
100
Avec une société hiérarchisée, le
village de Wodobéré, comme partout ailleurs dans le Damga, est
marqué par la prédominance de l'effectif des jeunes, des femmes
et des vieux sur l'effectif des hommes actifs. L'émigration touche
l'essentiel de la population masculine active.
En effet, malgré l'existence des ressources
foncières et hydriques potentiellement exploitables, cette partie du
Sénégal se caractérise par une économie
attardée et par l'inexistence d'activités
génératrices de revenus pour les populations. Les secteurs
clés de l'économie locale sont assujettis aux vicissitudes du
climat, c'est-à-dire qu'ils dépendent très fortement des
conditions climatiques.
Ainsi, pour répondre à un besoin pressent de
liquidité devenue nécessaire, l'émigration a
supplanté toutes les autres activités économiques.
Cependant, les facteurs qui régissent cette émigration sont
divers et variés. Il s'agit des effets conjugués de la
conjoncture internationale, de l'histoire même du peuplement du Fouta en
général, des politiques structurelles mais aussi de la
structuration de la société. Parmi ces facteurs, nous avons la
chute des productions agricoles suite aux années de sècheresses,
l'échec des politiques agricoles de l'Etat durant les années de
P.A.S, mais aussi l'aspiration des jeunes à la réussite par
l'émigration. Au-delà de ces facteurs, il y a des facteurs
sociaux tels que l'émulation entre les jeunes, les regroupements
familiaux et la réussite de certains émigrés. La
réussite de ceux qui sont partis crée une certaine jalousie chez
les jeunes restés au village. Ce qui conduit à de nouveaux
départs. Les candidats à l'émigration sont aussi
réconfortés dans leurs choix de partir par les facilités
offertes par les réseaux de passeurs, les structures d'accueil à
savoir la diaspora et l'appui des parents.
En effet, cette émigration, masculine dans sa
majorité, est facilitée d'amont en aval par l'existence d'une
chaîne à maillons multiples. Elle est d'abord entretenue par les
revenus qu'elle génère puisque l'essentiel des voyages des
nouveaux candidats à l'émigration est financé par des
parents qui ont déjà émigré. Elle est ensuite le
résultat d'une complicité étroite entre les
émigrés, les démarcheurs de visa et les autorités
administratives. Ce qui se traduit par l'existence de réseaux et de
couloirs migratoires spécifiques pour les migrants.
En ce qui concerne les types d'émigration, nous avons
constaté que, selon la durée, il en existe trois.
L'émigration saisonnière qui se caractérise par des
mouvements rythmés par les saisons. En saison sèche, les
émigrés migrent vers les centres urbains et en saison des pluies,
ils reviennent épauler leurs parents dans les travaux champêtres.
C'est une émigration de moindre importance. L'émigration
temporaire est pratiquée par ceux qui
102
disposent de cartes de séjour et qui reviennent
périodiquement au village. Et enfin, l'émigration
définitive qui résulte de l'échec des émigrants.
Elle se traduit par l'intégration de l'émigré dans son
pays d'accueil.
Ce qui nous a conduits a parler des principaux pays de
destination. La France se taille la part belle dans la distribution des
émigrés du village dans le monde. Cela s'explique par
l'attachement de la population a l'ancienne puissance coloniale. Elle est
suivie, de loin, par l'Espagne et par quelques pays africains comme la Cote
d'Ivoire, le Congo et le Gabon. Les exemples de réussite de
l'émigration dans certains pays plutôt que dans d'autres
pèsent sur le choix des destinations.
Les transferts financiers ont supplanté les autres
formes de ressources dans la survie de la population. Ils ont
considérablement contribué a la mutation de la structuration de
la société mais aussi a la reconfiguration des rapports
sociaux.
Ainsi, l'essentiel des transferts est consenti a
l'alimentation et a l'entretien de la famille de l'émigré. Ces
fonds viennent pour majoritairement de la France et sont envoyés le plus
souvent a titre individuel. Ils ne sont pas orientés vers des secteurs
productifs. En dehors de la sécurité alimentaire de la famille,
les fonds envoyés sont destinés a la construction de l'habitat et
a la mise sur pied de projets peu productifs tels que le transport,
l'immobilier ou le commerce. En effet, les émigrés agissent
collectivement quand il s'agit de mettre en place des infrastructures et des
constructions de prestiges. Il ressort dans cette étude que les
émigrés, a travers leur association, ont permis la construction
et l'équipement des infrastructures pour les services sociaux de
base.
Cependant, l'émigration n'est pas exempte de
conséquences négatives sur la population résidente. Elle
est a l'origine de plusieurs dysfonctionnements tant au niveau des familles
d'émigrés qu'au niveau de la communauté villageoise. Elle
est a l'origine de l'avènement de nouveaux rapports sociaux basés
sur la nucléarisation de la société et par
l'égocentrisme. Le fooyré se substitue a la concession
créant ainsi l'éclatement des familles et l'effritement des liens
sociaux. C'est la désintégration totale des liens de
solidarité. L'émigration a également contribué
fortement a la dégénérescence des autres secteurs de
l'économie tels que l'éducation, l'artisanat et l'agriculture.
Dans l'ensemble, il ressort de cette étude que les
facteurs de l'émigration, multiples et variés, sont toujours
présents. L'émigration, loin d'endiguer ses causes en
créant des activités susceptibles de retenir la jeunesse, a fini
par tuer l'économie locale. Les ressources qu'elle génère
n'ont permis ni a éradiquer la pauvreté ni a abroger les
facteurs
de l'émigration d'où la nécessité
de l'intervention des différentes composantes de la
société.
Il est important, aujourd'hui, de mettre sur pieds des
politiques d'appropriation du milieu par la population et de trouver des
solutions adéquates pour l'arrêt définitif de
l'émigration. Lesquelles des solutions, si elles sont appliquées,
permettront un développement endogène. Il s'agit de promouvoir
des centres d'alphabétisation, de créer des mouvements de jeunes
et de cultiver l'esprit d'appropriation du milieu chez les populations. Les
émigrés doivent réorienter leurs investissements vers le
secteur agricole et vers la création des entreprises en collaboration
avec les institutions publiques, les partenaires au développement et les
ONG. Il faut également qu'ils impliquent les femmes dans la gestion du
terroir et de ses ressources.
La problématique de l'étude de
l'émigration dans le Damga reste cependant inachevée. C'est une
étude qui mérite d'être approfondie par les chercheurs pour
une meilleure compréhension de la question des migrations et surtout des
rapports entre émigrés et non-émigrés.
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