L'étude d'impact est assurément l'institution
la plus spécifique et sans doute la plus originale du droit de
l'environnement. Elle est au cceur du développement durable. Dans une
perspective environnementaliste conséquente, l'étude d'impact
s'entend automatiquement d'une évaluation a priori, et sa fonction est
d'aider les décideurs publics ou privés a intégrer
l'environnement dans leurs stratégies d'action afin d'éviter que
des travaux ou ouvrages ne dégradent irrémédiablement
l'environnement77. On en vient donc a définir l'étude
d'impact comme étant « l'étude a laquelle il doit etre
procédé avant d'entreprendre certains projets
76 LAVIEILLE (j. M.) : Les principes
généraux du droit international de l'environnement et un exemple
: le principe de précaution, cours polycopié de tronc commun
n° 4 de Master 2 en Droit international et comparé de
l'environnement, Université de Limoges, 2009 - 2010, p. 14.
77 KAMTO (M.), op. cit, p. 95.
d'ouvrages ou d'amenagements, publics ou prives dans le but
d'apprecier l'incidence de ces derniers sur l'environnement78.
La procedure d'etude d'impact est recente et presque
concomitante a l'emergence du droit de l'environnement. Elle apparait a la fin
des annees 60 aux Etats-Unis d'Amerique. En droit francais duquel est inspire
l'essentiel du droit d'Afrique Centrale, la procedure d'evaluation prealable
d'impact, ebauchee par un projet de loi d'Avril 1976, sera adoptee par
l'article 2 de la loi du 10 Juillet 1976 qui entrera en vigueur le
1er Janvier 197879. Bien qu'elle soit rassurante en
raison de son caractere preventif, l'etude d'impact est couteuse et ne saurait
donc etre engagee de maniere fantaisiste. En effet, comme l'affirme le
commissaire du gouvernement BRAIBANT « Ce n'est pas seulement le cout
financier de l'operation qui doit etre pris en consideration, mais aussi ce que
l'on pourrait appeler d'une fa~on generale son cout social. A un moment oil il
est beaucoup question et a juste titre d'environnement et de cadre de vie, il
faut eviter que des projets par ailleurs utiles viennent aggraver la pollution
ou detruire une partie du patrimoine naturel ou culturel du
pays80.
Apres son apparition en Amerique du Nord sous l'appellation
« d'impact assesment », l'etude d'impact s'est ensuite
integree peu a peu dans le droit de l'environnement des pays developpes avant
de se generaliser progressivement a partir des annees 80 en s'inserant dans les
legislations des pays en developpement, mais aussi dans les instruments du
droit international. Cette consecration internationale, aussi bien par de
nombreux textes contraignants que par diverses conventions internationales a
sans doute favorise sa reception explicite par les droits nationaux africains.
Cette procedure d'evaluation des activites pouvant avoir des effets nocifs sur
l'environnement a fait l'objet d'une convention specifique en ce qui concerne
la pollution transfrontiere81. Mais l'article 14 de la
78 Cite par KAMTO (M.), ibidem.
79 DMOTENG KOUAM (E.), op. cit., p. 32.
80 Conseil d'Etat, 28/05/1971, Rec. p. 409, cite par DMOTENG,
Ibidem.
81 Point 4 du preambule de la Convention d'Espoo du 25/02/1991
sur l'etude d'impact transfrontière
Convention de Kuala-Lumpur du 09/07/1985 etend l'obligation
d'evaluation prealable a tous les projets d'activites qui peuvent avoir des
effets sensibles sur l'environnement naturel pour prendre en compte les
resultats dans la procedure de decision. La Declaration de Rio a generalise
l'obligation d'etude prealable dans le cas des activites envisagees qui
risquent d'avoir des effets nocifs importants sur l'environnement et dependent
de la decision dRune autorite nationale competente82.
Bien d'autres textes internationaux en font aussi allusion, a l'exemple de La
Declaration de Stockholm qui faisait plutot implicitement allusion a l'etude
d'impact83.
Au plan africain, la Convention africaine sur la conservation
de la nature et des
ressources naturelles signee a Alger le 15 septembre
1968 et modifiee a Maputo
(Mozambique) le 11 juillet 2003 consacre la
procedure d'impact en son article XIV,
1, b. Mais c'est la gamme des textes d'Abidjan issus de la
conference des plenipotentiaires sur la cooperation en matiere de protection et
de mise en valeur du milieu marin et des zones cotieres de l'Afrique de l'Ouest
et du Centre convoquee a Abidjan par le Directeur executif du PNUE, du 16 au
23/03/1981 (plan d'action) qui adopta plusieurs instruments relatifs a la
procedure d'impact du moins en ce qui concerne le milieu marin. Il s'agit d'une
part de la Convention d'Abidjan relative a la cooperation en matiere de
protection et de mise en valeur du milieu marin et des zones cotieres, et le
protocole relatif a la cooperation en matiere de lutte contre la pollution en
cas de situation critique. Certains pays de l'Afrique Central sont parties a
cette convention et a son protocole qui sont entres en vigueur le 05/08/1984.
Il s'agit du Cameroun, du Congo, de la Guinee Equatoriale et du Gabon. Ces deux
textes mettent l'accent sur la cooperation regionale dans la protection et la
mise en valeur de l'environnement marin et cotier, et de leurs ressources. La
Convention d'Abidjan du 23/03/1981, de maniere specifique consacre l'etude
d'impact en son article 13, paragraphe 1 en ces termes « Dans le cadre
de leurs politiques de gestion de l'environnement, les parties contractantes
élaborent des directives techniques ou autres en vue de faciliter la
planification de leurs
82 Principe 17 de la Declaration de Rio de Janeiro
sur l'environnement et le developpement.
83 Voir les articles 14 et 15 de la Convention de
Stockholm qui fait appel a une planification rationnelle evitant les atteintes
a l'environnement.
projets de developpement, de maniere a reduire au maximum
l'impact n aste que ces projets pourraient avoir sur la zone d'application de
la convention >>. Commentant cette disposition, on a pu estimer
qu'elle est vague, imprecise et manque de clarte84.
En somme, la Convention et le protocole d'Abidjan constituent
la composante juridique du plan d'action d'Abidjan (Plan d'action WA CAF), et
expriment l'engagement des gouvernements de la region, leur volonté
politique d'envisager, soit individuellement, soit conjointement leur probleme
commun, concernant l'environnement cotier et marin85.
B- Portee des etudes d'impact dans le droit
sous-regional de l'environnement
« La pratique des etudes d'impact est encore a ses
balbutiements en Afrique. Pourtant, des legislations nationales de plus en plus
nombreuses integrent le principe de telles etudes qui sont le principal moyen
par lequel peut se réaliser le principe, si important de prevention en
matiere environnementale >>86. Nombre de textes
environnementaux de l'Afrique Centrale consacrent explicitement ce principe.
En Guinée, le Code sur la protection et la mise en
valeur de l'environnement institue par l'Ordonnance n° 045 du
28 Mai 1987 prévoit une procedure d'étude d'impact en ses
articles 82 et 83, et est complétée sur ce point par le
Décret n° 199 du 08 Novembre 1989. Il resulte de ces
textes que seuls les travaux figurant sur une liste sont soumis a etude
d'impact dans la mesure oil ils seraient susceptibles de porter atteinte a
l'équilibre ecologique de la Guinée, au cadre et a la
qualité de la vie ainsi qu'aux exigences de protection en general. Une
liste revele les travaux
84 ASSEMBONI-OGUNJI (A), « La protection et
la mise en valeur de l'environnement marin et cotier en Afrique de l'ouest et
du centre a travers le systeme juridique d'Abidjan » in Aspects
contemporains du droit de l'environnement en Afrique de l'ouest et
centrale, L. Ganier, coord., UICN, Gland, 2008, p.131.
85 Ibid., p. 132.
86 KAMTO (M.), op, cit., p. 99.
concernés. Il s'agit du défrichement des bois et
forêts de plus de 10 ha, des installations d'aquaculture, des travaux
d'adduction d'eau, des programmes d'irrigation. La procédure s'applique
aussi aux projets d'urbanisme et de planification.
Au Gabon, l'article 23 du code de
l'environnement87 permet au Ministre de l'environnement de soumettre
a un processus d'autorisation préalable, « ...les activités
susceptibles de porter atteinte a la faune et a la flore ou d'entrainer la
destruction de leur milieu naturel... ». En vertu de ce texte le Ministre
contrôle « l'introduction d'especes animales ou
végétales exotiques (...) susceptibles de porter atteinte aux
especes animales ou végétales locales... »88.
L'article 27 du même code permet l'interdiction « ...d'entreprendre
les activités qui peuvent mener a la dégradation ou la
modification de l'aspect initial du paysage, de la structure de la faune et de
la flore, ou de l'équilibre écologique ». C'est surtout le
Décret du 15 juillet 2005 réglementant l'étude de l'impact
sur l'environnement89 qui oblige les promoteurs de certains projets
comportant des incidences directes ou indirectes sur l'équilibre
écologique, la qualité et le cadre de vie des populations vivant
dans sa zone d'implantation ou dans des zones adjacentes a réaliser une
étude d'impact.
Au Cameroun, la législation forestiere institue
désormais une procédure d'étude d'impact a travers
l'article 22 du Décret n° 95/531/PM du 23 Aoftt 1995
fixant les modalités d'application de la loi n° 94/01 du
20 Janvier 1994 portant régime des forêts, de la chasse et de la
pêche. Cet article dispose en substance que le déclassement d'une
forêt domaniale a l'intérieur du domaine privé de l'Etat ne
peut intervenir que pour cause d'utilité publique « et apres une
étude d'impact sur l'environnement effectué a la diligence de
l'Administration chargée de l'environnement ». Le champ
d'application des études d'impact est ici tout a fait limité dans
la mesure oil il est circonscrit a certaines activités menées
dans le domaine forestier nationale. Le Professeur Maurice KAMTO affirme a
cet
87 Loi n° 16/93 du 26 aoftt 1993
portant code de l'environnement.
88 Article 26 de la loi n° 16/93 du
26 aoftt 1993 portant code de l'environnement.
89 Décret 00539 du 15 juillet 2005 abrogeant
celui N° 405 du 15 mai 2002.
égard qu'il s'agit néanmoins des toutes
premières dispositions prescrivant explicitement l'étude d'impact
en droit camerounais90.
Dans ce même pays, c'est la loi de 199691qui
traite de l'étude d'impact. Elle soumet a cet examen tout projet dont la
réalisation peut avoir des conséquences nuisibles sur
l'environnement92. Mais le Décret n°
2005/0577/PM du 23/02/2005 fixant les modalités de réalisation
des études d'impact environnemental et son Arrêté
d'application n° 0070/MINEP du 22 avril 2005 fixant les
différentes catégories d'opérations dont la
réalisation est soumise a une étude d'impact environnemental
définissent les bases juridiques de toute procédure d'impact. Il
faut dire que ces deux textes ont été pris en application des
dispositions des articles 17 et suivants de la loi n° 96/12 du
05/08/1996 portant loi-cadre relative a l'environnement. Traitant des
études d'impact ou de l'audit environnemental, les articles 17 et 19 de
cette loi précisent entre autre que « Le promoteur ou le maitre
d'ouvrage de tout projet d'aménagement, d'ouvrage, d'équipement
ou d'installation qui risque, en raison de sa dimension, de sa nature ou des
incidences des activités qui y sont exercées sur le milieu
naturel, de porter atteinte a l'environnement est tenu de réaliser,
selon les prescriptions du cahier des charges, une études d'impact
permettant d'évaluer les incidences directes ou indirectes dudit projet
sur l'équilibre écologique de la zone d'implantation ou de toute
autre région, le cadre et la qualité de vie des populations et
des incidences sur l'environnement en général
»93. Cette loi indique aussi que l'étude d'impact est
insérée dans les dossiers soumis a enquête publique
lorsqu'une procédure est prévue94 et que
l'étude d'impact est a la charge du promoteur95. L'article 19
quant a lui énumère les indications que doit comporter «
obligatoirement » l'étude d'impact96.
90 KAMTO (M.), op., cit., p. 102
91 Il s'agit du chapitre II du titre III de la loi
n° 96/12 du 5 aout 1996 portant loi-cadre relative a la gestion
de l'environnement au Cameroun
92 Article 17 de la loi n° 96/12 du 5
aout 1996 portant loi-cadre relative a la gestion de l'environnement.
93 Article 17 alinéa 1 de la loi
n° 96/12 du 5 aout 1996.
94 Article 17 alinéa 2 de la loi
n° 96/12 du 5 aout 1996.
95 Article 17 alinéa 3 de la loi
n° 96/12 du 5 aout 1996.
96 Il s'agit de :
- L'analyse de l'état initial du site et son
environnement - Les raisons du choix du site
En application de ces dispositions, deux textes reglementaires
ont ete signes et publies par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement et le
Ministre de l'environnement et de la protection de la nature. Le premier est le
Decret n° 2005/0577/PM du 23/02/2005 fixant les modalites de
realisation des etudes d'impact environnemental qui prescrit diverses
dispositions relatives :
- au contenu de l'etude d'impact environnemental97
- a la procedure d'elaboration et d'approbation des etudes
d'impact environnemental98 ainsi que des termes de reference y
relatifs99
- a la surveillance et au suivi environnemental du projet,
etc.
L'arrête n° 0070/MINEP du 22 avril 2005
pris dans le sillage des dispositions visees par le Decret n°
2005/0577/PM du 23/02/2005 fixe les differentes categories d'operations dont la
realisation est soumise a une etude d'impact environnementall00. Le
Decret 2005/0577 quant a lui dit ceci : « (1) La liste des activites
soumises a l'une ou l'autre categorie d'etudes d'impact environnemental vise
aux articles 4 et 5 ci-dessus est fixee par le Ministre charge de
l'environnement ; (2) En outre, le Ministre arrête le canevas type des
termes de reference desdites etudes en fonction des activites et apres avis du
Comite
- L'evaluation des consequences previsibles de la mise en oeuvre
du projet sur le site et son environnement naturel et humain
- L'enonce des mesures envisagees par le promoteur ou maitre
d'ouvrage pour supprimer, reduire et, si possible, compenser les consequences
dommageables du projet sur l'environnement et l'estimation des depenses
correspondantes
- La presentation des autres solutions possibles et des raisons
pour lesquelles, du point de vue de la protection de l'environnement le projet
presente a ete retenu.
97 Chapitre II du Decret de 2005
98 Chapitre III du Decret de 2005
99 Les chapitres II et III du Decret de 2005 font
allusion aux termes de reference, mais c'est l'Arrête n°
00001/MINEP du 03 Fevrier 2007 de Monsieur le Ministre de l'environnement et de
la protection de la nature parle plus en detail le contenu general des termes
de reference des etudes d'impact environnemental.
100 Voir notamment les articles : 3 qui indique les
operations ou activites soumises a une etude d'impact environnemental sommaire
; 4 qui indique les operations ou activites soumises a une etude d'impact
environnemental detaillee ; 5 qui indique que les operations ou activites
visees aux articles 3 et 4 ci-dessus et qui sont deja en fonctionnement ou en
exploitation sont soumises a un Audit Environnemental, enfin 6 qui indique le
contenu du rapport d'un Audit Environnemental.
Interministériel de l'environnement ; (3) Les frais
relatifs a l'étude d'impact environnemental sont a la charge du
promoteur »101.
De tout ce qui précede, il se dégage que la
procédure d'études d'impact dans les législations
nationales des Etats d'Afrique Centrale a une portée certaine, en
concordance avec les effets de mise en oeuvre des principes de
prévention et de précaution.