Selon les termes de l'article 76.1 de la loi canadienne de
1999 sur la protection de l'environnement, les Ministres de la santé et
de l'environnement doivent appliquer la « méthode du poids de la
preuve » (weight of evidence approach pour la version anglaise de la loi)
en conjonction avec le principe de prudence lorsqu'ils procedent a l'une ou
l'autre des trois opérations destinées a déterminer si une
substance est toxique ou potentiellement toxique. Cette expression
renvoi-t-elle au fardeau de la preuve qui doit être retenu dans la
démonstration de la toxicité d'une substance ? signifie-t-elle
plutot qu'il convient d'opérer un reversement du fardeau de la preuve et
qu'il appartiendra dorénavant a celui qui utilise ou qui fabrique une
substance visée par l'évaluation et les examens prévus a
l'article 76.1
101 Voir article 6 notamment du Décret
n° 2005/0577/PM du 23/02/2005
de démontrer que l'utilisation de la substance
n'entrainera pas un risque significatif pour l'environnement ou la santé
humaine102.
Le poids de la preuve est un point focal qui intervient pour
éloigner des principes de prévention et de précaution. En
effet, le principe de prévention s'applique a des situations ou des
réponses claires au plan scientifique existent démontrant qu'une
activité ou un produit a, ou risque d'avoir des effets nuisibles sur
l'environnement ou la santé publique. L'étude d'impact qui est
l'instrument phare de mise en oeuvre des principes de prévention et de
précaution met, aux termes de l'article 17 alinéa 3 de la loi
camerounaise n° 96/12 du 05/08/1996 portant loi cadre relative
a la gestion de l'environnement son financement a la charge du promoteur ; des
problemes particuliers n'existent pas pour ce qui est de la charge de la
certitude scientifique de l'innocuité du projet pour l'environnement et
la santé humaine. La question s'est plutôt posée de savoir
si une telle certitude existe toujours et quel est le comportement a adopter
lorsqu'elle fait défaut. Heureusement, le principe de précaution
répond a cette interrogation, sans avoir vocation a remplacer la
prévention103.
Le principe de précaution exprime en effet la crainte
de voir se commettre l'irréparable et a pour portée essentielle
la nécessaire anticipation du risque collectif potentiel. De fait,
l'article 4 alinéa 3 f de la Convention de Bamako qui consacre le
principe de précaution en Afrique et notamment en Afrique Centrale
stipule « chaque partie s'efforce d'adopter et mettre en oeuvre, pour
faire face au probleme de la pollution, des mesures de précaution qui
comportent... des substances qui pourraient présenter des risques pour
la santé de l'homme et pour l'environnement sans attendre d'avoir la
preuve scientifique de ces risques... >>104. Certes peut-on
véritablement parler de certitude scientifique absolue, alors que la
science, en constante évolution, ne cesse de remettre en cause des
résultats considérés hier comme acquis. Ainsi finalement,
le principe de précaution allege la charge des scientifiques dont on
n'attend pas de certitudes, et aggrave la responsabilité des
102 TRUDEAU (H.), op. cit., p. 26.
103 GALIBERT (T.), op. cit., p. 22.
104 Article 4, alinéa 3 f de la Convention de
Bamako précitée.
décideurs habituels qui doivent prendre des mesures
effectives mais aussi réalistes en choisissant eux-memes parmi les
hypotheses qui leur sont soumises. On peut toutefois se demander si
l'administration ou le politique ne va pas devoir apporter la preuve chaque
fois qu'un doute subsiste, qu'il n'était pas nécessaire d'aller
au dela de ce qu'elle a prescrit ou en deca de ce qu'elle a
autorisé105. On a souvent affirmé a ce propos que le
principe de précaution implique un renversement de la charge de la
preuve, c'est-a-dire que c'est a celui qui entreprend une activité qu'il
revient d'établir qu'elle est conforme au principe de précaution
et non point a celui qui cherche a l'interdire d'établir qu'elle ne
l'est pas106. On voit mal ce qui permet d'établir en droit
une telle inversion de la regle du principe en dehors des rares secteurs ou
certains Etats semblent la sanctionner explicitement. On peut juger
l'idée satisfaisante. Il ne faut cependant pas se tromper. Cette
distribution nouvelle de la charge de la preuve trouve sa pleine signification
dans les contentieux judiciaires, oil elle déroge a la regle
traditionnelle qu'exprime l'adage « actori incombit probatio
»107. La Cour Internationale de Justice a également
adopté une attitude réservée par rapport au principe de
précaution. Dans l'affaire des essais nucléaires
II108, la Nouvelle-Zélande invoquait le principe de
précaution, pour sommer la France de faire la preuve de
l'innocuité totale des essais pour l'environnement. Face a cette
argumentation, la France soutenait que le statut du principe de
précaution en droit positif est « tout a fait incertain », et
que de toute fa~on il n'entraine pas un renversement total de la charge de la
preuve. La Cour a rejeté la demande de la Nouvelle-Zélande en ne
répondant pas aux arguments de la
Nouvelle-Zélande109.
105 GALIBERT (T.), op.cit., p. 42.
106 Pour plus de détail sur la question, lire
VERHOEVEN (J.), op. cit., p. 256
107 Ibidem.
108 CIJ, 22/9/1995, Affaire des essais
nucléaires II, Rec 1995 p. 342-344, cité par DESSINGES (F.) :
« Le principe de précaution et la libre circulation des
marchandises » ; Mémoire de DEA Droit des Communautés
européennes Université Robert Schuman de Strasbourg, Septembre
2000 note n° 112, p. 43.
109 Par DESSINGES (F.), ibidem.
La solution la meilleure est peut-être que la societe
dans son ensemble assume en pareil cas l'obligation de reparer les dommages
subis dans la perspective d'une prise en compte adequate de l'environnement.