IX. Les attentes du disciple.
Le disciple assume son rôle et les préceptes qui
lui sont adressés. Dès qu'il décide de se soumettre
à l'obéissance d'un ancien, le jeune doit, lui aussi, se
soustraire aux plaisirs du monde et déjouer les ruses du démon
qui seront nombreuses dans sa vie de jeune moine. Le disciple veut devenir
« ami du Christ » et il se met à sa suite. Pour cela, il peut
compter sur un intermédiaire de taille qui est l'ancien. Sans lui, le
jeune a fort peu de chance de mener à terme sa recherche au
désert. Pour que l'esprit du monde n'ait plus d'emprise sur lui, il lui
faut lutter sans relâche, mais cette lutte doit être
assistée jusqu'à ce que les réflexes anachorétiques
lui deviennent acquis et familiers. L'ancien est là pour lui donner
l'exemple de sa manière de vivre, mais également pour enseigner
ses propres expériences qui ne sont d'ailleurs pas toujours heureuses.
Le jeune attend du maître une guidance humaine et spirituelle, et au
désert, il réapprendra ce qu'il croyait acquis : se nourrir,
prier, veiller et travailler. Il devra le faire comme un moine et non plus
comme un homme du monde. Son écoute doit être attentive, son
obéissance parfaite, de manière à ne pas tomber sous
l'emprise du malin. Sa confiance au maître est inébranlable, il
fait littéralement « communion » avec lui, il marche vers Dieu
en sa compagnie dans une proximité et une distance à la fois,
nécessaires à sa maturation.
Vincent Desprez nous informe, d'après un texte de
Rufin79, que c'est à Nitrie que l'on formait les jeunes
moines, avant de les envoyer dans les autres centres monastiques. Nitrie et
Scété semblent avoir été strictement orthodoxes
face à l'arianisme, dit V.Desprez et sans doute est-ce pour cette raison
que les jeunes y étaient formés avant de rejoindre leurs
maîtres dans les autres centres (Panépho, Diolcos, Kellia). Le
disciple a le désir de se mettre à l'école du maître
dans la simplicité et par là, unir sa volonté à la
volonté divine. S'il se scandalise d'une parole de son maître,
Pallade dit que c'est son propre jugement qu'il mettra d'abord en doute avant
d'interroger. Le disciple espère un bénéfice de cette
vulnérabilité à laquelle il s'oblige. Le disciple attend
du maître une totale prise en charge spirituelle, il recommence à
zéro comme l'enfant qui vient de naître, ce qui demande
énormément d'humilité. L'obéissance doit être
immédiate.
En milieu érémitique, il n'y a pas de
règle et c'est l'exemple de l'ancien qui fera autorité. En effet,
au désert, il apparaît que l'Ecriture ne soit pas seule
référente. L'avis des hommes et a fortiori du
maître, pour le disciple, est indispensable.
Ce texte nous l'explique :
79 V. DESPREZ in « Le monachisme
primitif » S0 n°72. Bellefontaine 1998.
Abba Daniel était arrivé très jeune
à Scété et les barbares qui avaient envahi le
désert le firent captifs. Après s'être enfui plusieurs
fois, Daniel fut refait prisonnier, et un soir, il assena un coup de pierre sur
la tête de son gardien. Il décampa, mais fut pris de remords pour
cet homicide et consterné, vint s'accuser aux pieds de
l'archevêque d'Alexandrie qui l'accueillit avec bonté et lui
assura que ce n'était pas un homme qu'il avait tué mais une
bête féroce. Daniel, non tranquillisé par cette
réponse, s'en fut trouver l'évêque de Rome puis les
patriarches de Constantinople, de Jérusalem et d'Antioche. Or, de tous,
il reçut la même réponse que celle de l'évêque
d'Alexandrie. Mais sa conscience le tourmentait et il revint à
Alexandrie où il se présenta au Palais du Juge, au bourreau.
Puisqu'il le désirait, le bourreau le mit en prison pour trente jours et
avertit le prince. Celui-ci le fit venir, écouta ses aventures puis,
plein d'admiration pour Daniel, le renvoya en lui demandant de prier pour lui.
Daniel était de plus en plus insatisfait car il craignait que Dieu ne
lui demandât des comptes, non seulement de son assassinat mais plus
encore de l'indulgence qui lui avait été faite pour son crime.
Pour expier, il décida de se mettre au service d'un paralytique couvert
d'ulcères qui dégageait une odeur pestilentielle. Il entoura cet
acte d'une grande discrétion et c'est accidentellement qu'un de ses
disciples l'aperçut un jour nourrir l'infirme et l'aider à
marcher
80.
Ce récit a une forte portée symbolique. Le
disciple, nous fait comprendre Dom Louis Leloir, a deux
références : le jugement des hommes et celui de l'Ecriture. Il
consulte d'abord le maître, cela par humilité et défiance
de son propre sens, mais comme il lui arrive que les avis des anciens ne
coïncident pas avec celui de l'Evangile, il préfère alors la
doctrine biblique. Cette narration, nous éclaire sur le fait que la
conscience peut travailler cruellement le moine. Les avis des hommes qu'il a
pris en premier, ne le satisfont pas. Il y a une morale divine existante
à laquelle il ne peut se soustraire au point que Daniel se châtie
lui-même en pratiquant la charité auprès d'un malade,
à la seule vue de Dieu. Les hommes ont jeté à rien son
acte criminel, mais lui, face à Dieu, est tenaillé par la
conscience. Cette anecdote nous aide à comprendre que l'avis de l'homme
reste « humain » et qu'il est important pour le moine de se remettre,
à chaque acte posé, face à Dieu afin d'écouter ce
qu'Il a à lui dire. Le maître est important, certes, mais c'est
dans l'intériorité, face à Dieu, que le moine trouvera les
réponses aux questions qu'il se pose.
Le disciple consulte généralement le
maître en premier lieu et celui-ci peut le guider ensuite vers une
lecture de la Bible pour appuyer son enseignement. Cassien nous informe que
c'est la doctrine des anciens qu'il vient chercher au désert, son
intention est de se pénétrer de leur enseignement et non de
quérir des éloges qui ne pourraient que lui nuire. Le disciple
reçoit par moment de véritables leçons de
catéchèse, voire même de théologie assez
poussées. Abba Daniel présente un exposé clair et
développé sur la chair et l'esprit et éclaire de ses
exemples la pensée de l'Apôtre, ce qui la rend plus
compréhensible pour les disciples. Il encourage ensuite les
réactions de ses jeunes auditeurs qu'il complimente sur leur
80 Dom L. LELOIR in : « Désert et
communion. »S0. N°26. Bellefontaine.1978.
connaissance des principaux chefs de la question posée.
(Coll. 4) Germain explique à Abba Joseph que sa recherche
consiste à observer et écouter afin de pouvoir par la suite,
même dans une mesure modeste, imiter ce qu'il aurait appris à
l'école du désert. Mais il ajoute que ça lui paraît
impossible d'obtenir ce qui lui serait si salutaire. Il l'avait pourtant promis
au supérieur de son monastère. Abba Joseph lui répond
sagement que le moine ne devrait jamais prendre d'engagement absolu car, ou il
sera obligé de tenir sa promesse, ou s'il s'en détourne, il
faudra qu'il foule aux pieds ses obligations. (Coll. 17) Le
découragement ne manque donc pas chez les disciples... et la sagesse du
maître est belle !
Cassien dit à Abba Isaac qu'autant son enseignement
l'enflamme « du désir d'une béatitude parfaite
», autant son découragement est profond tellement son
ignorance est grande. Le disciple peut être relancé par l'ancien
au milieu d'un discours lorsque son attention se
disperse. Abba Sérapion leur dira : « Revenons
à l'exposé que nous avions commencé (...) iiest
une difficulté sur laquelle vous ne m'avez pas interrogé. »
( Coll. 5)
Il apparaît souvent que lorsque le disciple demande une
parole à son père spirituel, ce dernier arrive à
l'instruire et à satisfaire sa demande par des réponses
éclairantes et appropriées. Le jeune moine est en questionnement
perpétuel et ses interrogations sont nombreuses. Il vient quérir
auprès de l'ancien une explication détaillée de ce qu'il
n'a pas compris seul et le rôle du maître est de
débroussailler les choses cachées avec lesquelles vivent
constamment les jeunes moines mais qu'ils sont encore incapables d'expliquer
par euxmêmes. L'explication est délivrance à tel point,
dira Cassien, qu'après que Abba Sérapion eut fait la
lumière sur les huit principaux vices, il lui semblait avoir l'objet de
cet éclaircissement présent devant les yeux. (Coll. 5)
Quoi qu'il en soit, rappelle N. Molinier81, le disciple devra
toujours garder en tête que s'il se retire au désert, ce n'est pas
pour y jouir d'une béate quiétude, mais pour y mener la vie
angélique et nous ajouterons qu'en obéissant à son
maître, c'est à Dieu qu'il obéit. Son adhésion
à la parole du maître n'est donc pas servile mais utile
puisqu'elle le mènera à une connaissance plus profonde des
mystères divins pour pouvoir, à son tour, les rayonner autour de
lui. Le disciple se met dans des dispositions d'esprit qui font de lui un
être engagé et soumis par amour.
81 N. MOLINIER in « Ascèse,
ministère et contemplation » S0 n°64 Bellefontaine.
1995.
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