Chapitre 3 : La relation maître disciple.
I. Objectif du chapitre.
Dans les sources consultées, il est n'apparemment fait
mention que d'un seul cas où le
terme « maître » est employé pour
désigner l'ancien.
« Sur le point de quitter le désert,
poussé par ma passion, je n'en parlais pas à mes voisins ni
à mon maître Evagre ... 82 »
C'est Pallade qui use de cette appellation envers Evagre. S'il
nous a toutefois semblé bon d'utiliser ce vocable, c'est pour relater
à la fois la distance qui sépare l'ancien du disciple sur le plan
du savoir et de l'expérience et, d'autre part, pour illustrer le respect
et la révérence employés par le disciple envers son
ancien. Ceux-ci sont immenses. Le maître, même s'il se fait appeler
« abba » (père), est celui qui enseigne, tel un
maître d'école. S'il est « abba », c'est parce
qu'il a engendré une postérité spirituelle, dit
I.Gobry83. Il a le pouvoir de la connaissance qu'il transmet. Dans
le cas du désert, il nous apparaissait que cette dénomination de
« maître » pouvait ajouter à la compréhension
relative au rapport respectueux du disciple vis-à-vis de l'ancien et
pouvait également souligner le caractère de fonction et de
mission de l'ancien vis-à-vis du novice.
Comme tout disciple du désert, Cassien et son ami
Germain partent à la recherche des Pères. La quête de
l'ancien est dynamique chez le disciple. Le maître peut simplement
être un moine confirmé, un « ancien » sur le plan de
l'avancée spirituelle et pas nécessairement de l'âge. On
dit de Macaire d'Egypte qu'il était appelé «
7razäzapzoyepwv » (= enfant-vieillard) après
seulement dix ans de vie au désert84. Ce maître est
perçu comme un symbole de perfection par le futur moine et il se laisse
chercher. La quête de l'ancien semble première dans la
démarche spirituelle du novice. A plusieurs reprises, l'exemple de
Samuel est cité, comme dans la seconde conférence d'Abba
Moïse qui explique que Dieu qui a fait l'élection du jeune Samuel
ne l'instruit pas par Lui-même mais le confie à un vieillard, un
ancien, afin d'éprouver l'humilité de celui qu'Il appelle. (
Coll. 2)
La soumission à l'ancien est une pratique recommandable
au désert : qui ne peut obéir à l'ancien, ne le peut pas
non plus à Dieu. Le jeune doit parfois patienter plusieurs jours avant
que l'entretien ne lui soit accordé. (Coll. 1) Les discours du
maître durent parfois toute la nuit
82 PALLADE in « Histoire lausiaque »
S0 n°75 Bellefontaine 1999.
83 I.GOBRY in « De Saint Antoine à
Saint Basile. » Fayard 1985.
84 N.MOLINIER in « Ascèse,
contemplation et ministère » S0 n°64. Bellefontaine
1995.
jusqu'au matin, nous informe Cassien : « Le jour
commençait à poindre lorsque nous partîmes vers nos
cellules. » (Coll. 9) Nous savons que, pour le moine, la nuit est
l'instant de la plus grande proximité avec Dieu. Abba Moïse raconte
qu'Abba Antoine avait reçu des moines qui venaient s'enquérir de
perfection et que sa conférence avait duré « de
vêpres jusqu'au lever du jour ». (Coll. 2) Abbé Serenus
dit à ses visiteurs que « voilà déjà deux
nuits » que leur entretien se prolonge et que c'est l'aurore qui y
met fin. (Coll. 8) La quête de Cassien est celle des
règles de la vie spirituelle, il le précise. Le Père du
désert les connaît puisqu'il les a mises en pratique. Elles
peuvent varier d'un ancien à l'autre mais le jeune retrouve chez chacun,
les grandes lignes principales, les objets de sa quête. Ce père
modèle établit des règles mais n'est pas
législateur, tel que le prescrivait Abba Poemen : « Sois pour
eux (les jeunes) un exemple et non un législateur ! 85 » Les
Pères établissent les règles pour eux-mêmes mais
laissent le jeune moine libre d'y adhérer ou non. Cependant, on verra
certains anciens proposer la soumission dès le moment où le
jeune, devenu disciple, fait le choix d'adhérer à son
école. (Coll. 11)
Dans ce chapitre, nous aborderons les différents
aspects de la relation entre le disciple et son maître : leur
proximité, la pédagogie employée par le maître ainsi
que ses exigences, l'originalité de la transmission, la notion
d'obéissance mutuelle, l'expérience de laquelle s'inspire
l'ancien pour former le jeune moine, nous découvrirons ensuite s'il
existe une théologie du désert, ses renoncements et si l'Ecriture
Sainte justifie cette relation maître disciple.
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