2.1.5.4. Le thème de la magie et de la
métamorphose
Dans L'ivrogne dans la brousse, le thème de la
magie appelle celui de la métamorphose ou des transformations
successives. La magie est essentiellement pratiquée par le héros,
qui se définit d'ailleurs comme possédant des pouvoirs
surnaturels particuliers.
Point n'est besoin de rappeler que ce n'est pas le hasard qui
pousse le héros de Tutuola à partir à la recherche de la
jeune fille. Il est plutôt animé d'une forte volonté. Au
pays des Crânes, il mène une enquête minutieuse, bien
organisée, à l'instar d'un détective. Ses investigations
s'ouvrent par le marché, où il voit Monsieur Crâne travesti
en «Gentleman complet». Ses pouvoirs surnaturels commencent à
se manifester:
À neuf heures du matin exactement, le gentleman
complet, celui-là même que la demoiselle avait suivi, arrive de
nouveau au marché et, aussitôt que je le vois, je comprends que
c'est un être étrange et terrible. (IB : 27)
Le héros, pour éviter de se faire
repérer, se transforme en lézard en entrant dans la
tanière de la famille des Crânes. Approchant la fille
prisonnière, il plonge son geôlier dans un sommeil profond :
Je vois donc cette demoiselle et, quand le Crâne qui l'a
amenée dans ce terrier, c'est-à-dire celui que j'avais suivi
depuis le marché jusqu'à ce terrier, s'en va dans
l'arrière-cour, alors je me change en homme, comme j'étais
auparavant, et alors je parle à la demoiselle, mais elle ne peut
absolument pas me répondre, elle me montre seulement
qu'elle était en grand danger. Juste à ce moment,
le Crâne qui la surveillait avec son sifflet tombe endormi. (IB : 30)
Outre ces quelques transformations ci-haut observées,
ailleurs l'Ivrogne se mue en courant d'air pour se rendre invisible aux
crânes, puis en oiseau. Quant à la jeune fille, il la transforme
en petit animal pour pouvoir la transporter dans sa poche :
[...] je me change en courant d'air, ils ne peuvent plus me
trouver, mais moi je les regarde. [...] je change la demoiselle en un petit
chat et je la mets dans ma poche et moi-même je me change en un
très petit oiseau que je ne peux mieux décrire qu'en l'appelant
[...] « un moineau». (IB : 31)
Lorsque le héros a ramené la fille au bercail,
il se pose le problème épineux de détacher du cou de la
jeune fille le cauri magique. Outre que celui-ci l'empêche de parler, il
trouble aussi la sécurité de la famille par son bruit :
Maintenant la demoiselle était chez elle, mais le cauri
attaché à son cou ne s'arrêtait pas de faire un bruit
terrible et elle ne pouvait parler à personne ; elle montrait seulement
qu'elle était très heureuse de se trouver chez elle. J'avais donc
ramené la demoiselle, mais elle ne pouvait parler, manger ou
détacher le cauri attaché à son cou, parce que le bruit
terrible que faisait le cauri empêchait absolument tout le monde de se
reposer (c'est-à-dire de dormir). (IB : 32)
Maintenant, l'Ivrogne se transforme une fois de plus en
lézard (pour ne pas être vu), afin de dominer le cauri magique.
Pour défaire le sortilège, il se sert alors des feuilles magiques
abandonnées par Crâne et « le cauri que [celuici] avait
attaché à son cou [de la demoiselle] se détache de
lui-même, mais il disparaît en même temps. » (IB :
34)
Toutes ces démonstrations magiques et ces
métamorphoses continuelles semblent cependant, aux yeux du lecteur,
moins surprenantes. Car, en effet, tout au départ, il est
déjà informé des qualités et des fonctions
multiples du héros, qui se vante lui-même d'être
féticheur, dieu, maître des dieux, etc. Bref, comme l'indique son
nom, il est tout et il peut tout.
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