2.1.5. Étude thématique
Selon Menachem Brinker, la critique thématique consiste
généralement à rendre compte des thèmes,
c'est-à-dire «des choses dont l'oeuvre traite de façon
significative ou importante. 136» L'ivrogne dans la
brousse comporte ainsi une série de thèmes récurrents
du folklore traditionnel africain, qui s'articulent autour du thème
central du voyage. Il s'agit essentiellement du thème de la jeune fille
dédaigneuse, celui de l'enfant terrible, de la magie et de l'ivresse.
2.1.5.1. Le thème du voyage
Le voyage constitue sûrement le thème capital
de L'ivrogne dans la brousse. Il engage et le héros et tout le
récit. Loin d'être un voyage d'agrément, il vise à
restaurer une situation saine, normale, à rétablir un
équilibre rompu :
En voyant que je n'ai plus de vin de palme et que personne ne
pouvait en tirer pour moi, je pense alors en moi-même à ce que
disaient les anciens, que tous les gens qui sont morts sur cette terre ne vont
pas au ciel directement, mais qu'ils habitent dans un endroit quelque part sur
cette terre. Alors je me dis que je découvrirai où se trouvait
mon défunt malafoutier. Un beau matin, je prends avec moi tous mes
grisgris personnels et aussi ceux de mon père et je quitte la ville
natale de mon père pour découvrir où pouvait bien se
trouver mon défunt malafoutier. (IB : 11)
Le voyage est ici occasionné par le revirement brusque
de la situation. Comblé par une jeunesse en dehors de tout souci, le
héros perd inopinément son récolteur de vin de palme,
clé de son bonheur. Sans son malafoutier, il lui est
impossible de vivre. C'en est fait ; il n'en peut plus. Ainsi
il est enterré, et qui veut le ressusciter lui dira où se trouve
son tireur de vin de palme.
Le départ du héros à la recherche du
malafoutier se révèle ainsi obligatoire. La vie paisible,
habituelle et sécurisante est terminée. De plus,
l'itinéraire est jonché de dangers. Armé de « tous
[s]es gris-gris personnels et aussi ceux de [s]on père» (IB : 11),
il s'aventure dans ce monde d'épouvantes et de merveilles, peuplé
des monstres et des dieux avec qui il réussit à partager leurs
puissances. Parfois, il leur joue des tours. Il «s'amuse
énormément à terrifier les vrais dieux à travers la
mise à exécution d'une étonnante variété de
besognes surnaturelles.137» Et c'est ainsi qu'il
déstabilise Mort à la demande de ce vieillard/dieu: «Depuis
le jour où j'ai sorti Mort de chez lui, il n'a plus d'endroit stable
où se tenir et y rester, et nous entendons parler de lui de par le
monde.» (IB : 19)
L'Ivrogne sort, en effet, de ces combats singuliers et
immémoriaux imbu de connaissances nouvelles. De retour parmi les siens,
«il est moins l'homme qui a trouvé la richesse, un trésor
merveilleux [...] ou l'OEuf miraculeux, que l'homme qui possède
maintenant la connaissance.138» Il est le héros
exemplaire, le miroir même de sa communauté, son modèle,
son représentant.
137 Sunday Anozie, op.cit., p.338.
138Michèle Dussutour-Hammer, op.cit.,
p. 43.
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