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La lecture intertextuelle de l'ivrogne dans la brousse d'Amos Tutuola

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par Ukize Servilien
Université de Montréal - Maitrise 2008
  

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2.1.2. Que raconte le récit de L'ivrogne dans la brousse127 ?

Ce récit rapporte l'histoire d'un jeune homme au nom hyperbolique : Père-Des-Dieux-Qui-Peut-Tout-Faire-En-Ce-Monde. Il ne vivait que de l'alcool dès sa prime jeunesse: « Je me soûlais au vin de palme depuis l'âge de dix ans. Je n'avais rien eu d'autre à faire dans la vie que de boire du vin de palme » (IB : 9). Ainsi se présente-t-il à l'ouverture de son récit. Cependant, un jour, son malafoutier, c'est-à-dire l'homme qui lui préparait le vin indispensable à son bonheur, tombe du haut d'un palmier et meurt de ses blessures. En raison de cette situation intenable pour lui, car il restait seul et sans amis, Père-Des-Dieux décide de partir pour la Ville-des-Morts:

Un beau matin, je prends avec moi tous mes gris-gris personnels et aussi ceux de mon père et je quitte la ville natale de mon père pour découvrir où pouvait bien se trouver mon défunt malafoutier. (IB : 11)

Le héros s'engage ainsi dans un long voyage jonché d'épreuves. Peu après son départ, il doit rapporter à un certain vieillard rencontré, un objet énigmatique, «la chose qu'il avait dit au forgeron de faire pour lui.» (IB : 13) Ensuite, il doit sortir Mort de chez lui et le ramener dans un filet.

Mais cette dernière épreuve, malgré les risques qu'elle présage, ne suffira pas pour que l'Ivrogne reçoive des informations promises sur la destination de son tireur de vin de palme. Il doit encore faire connaissance de Crâne, un «gentleman complet». Celui-ci n'est autre qu'un monstre travesti. Il emprunte cependant les différents membres du corps qui lui font défaut, pour

allécher et séduire les jeunes filles victimes de leur naïveté comme celle qui, plus tard, deviendra son épouse.

En effet, une jolie demoiselle, «très belle comme un ange» (IB : 21), éconduit tous les prétendants qui font foule autour d'elle. Un jour qu'elle s'était rendue au marché, elle rencontre un beau jeune homme très élégant dont elle s'éprend. En dépit des mises en garde de celui-ci, elle le raccompagne jusque dans les entrailles même de «la forêt sans fin où, seuls, vivent les êtres terribles» (IB : 23). C'est le moment alors pour le «gentleman» de restituer l'une après l'autre, diverses parties du corps qu'il avait louées à leurs propriétaires, et le voici réduit à un crâne. La fille, évanouie de peur, tente de retourner chez elle, mais c'est peine perdue. Car, en effet, Crâne l'enferme comme prisonnière dans sa maison, «un terrier dans le sol [...] qui n'était habité que par des crânes» (IB : 25). À la moindre tentative de s'évader, le cauri magique attaché au cou alerte son gardien, un autre crâne armé d'un sifflet qui prévient ses congénères. C'est cette fille que le héros de Tutuola doit tirer de sa captivité à la prière du père : « [I]l me dit que si je pouvais l'aider à trouver sa fille qui avait été enlevée par un être étrange au marché de cette ville, et à la lui ramener, alors il me dirait où se trouvait mon malafoutier» (IB : 20). Grâce à ses multiples capacités de se transformer en divers objets ou en divers animaux, il réussit à la mettre hors du danger et, en guise de reconnaissance, on lui offre la belle en mariage.

Peu de temps après, la femme accouche par le pouce gauche d'un garçon miraculeux. Précoce et tyrannique, l'enfant se révèle tellement

43 insupportable que le père décide de se débarrasser de lui en mettant à feu la maison familiale : l'enfant terrible périt dans les flammes. Mais le voici qui renaît de ses cendres en bébé-cul-de-jatte plus terrible que le premier. Il se joindra plus tard aux trois compagnons mystérieux que sont Tambour, Chant et Danse avec lesquels il disparaîtra.

Poursuivant sa route vers la ville des morts, le héros, en compagnie de son épouse, croise une foule innombrable d'autres êtres étranges, parmi lesquels les Êtres blancs de la Prairie, les palmiers à feuilles-oiseaux, l'Espritde-Proie, les Êtres Rouges, les oiseaux rapaces et des animaux de toutes sortes. Les tortures, même les plus horribles qui soient, ne leur sont pas épargnées. Par exemple dans la Ville-Céleste-D'où-L'on-Ne-Revient-Pas, ils sont enterrés vivants et sauvés par l'aide d'un aigle et grâce à la pluie :

Alors, ils [les êtres cruels de cette ville] creusent au milieu du champ deux fosses, c'est-à-dire des trous, l'une à coté de l'autre, assez profondes pour que juste la tête dépasse. Après ça, ils me mettent dans l'une et ma femme dans l'autre, et ils replacent la terre qu'ils ont creusée et la tassent bien serrée, de telle sorte que c'est à peine si nous pouvions respirer. [...]À la fin, ils amènent un aigle devant nous pour qu'il nous arrache les yeux avec son bec, mais l'aigle regarde simplement nos yeux, il ne nous fait aucun mal [...] ; mais, quand cet aigle voit qu'ils veulent nous planter des clous dedans (dans la tête), alors il les chasse tous avec son bec. [...]Comme il pleut à verse, vers une heure de la nuit, la terre devient molle, aussi, quand cet aigle voit que nous essayons de sortir de nos trous, il s'approche et commence à gratter autour du trou dans lequel je me trouvais, mais, comme les trous étaient profonds, il n'arrivait pas à gratter aussi vite qu'il fallait. Mais, en remuant mon corps de droite et de gauche, j'arrive à sortir et je cours vers ma femme et je la tire elle aussi de son trou. (IB : 69-71)

Chez Mère Secourable, dans l'arbre blanc, ils jouissent d'un repos

Rouge dans la Brousse-Rouge. C'est enfin au bout des déboires avec DonnantDonnant, le Valet Invisible, et surtout avec l'Assassin du Prince qui tente de les faire périr à sa place, qu'ils atteignent leur destination.

Dans l'empire des morts, le héros a du mal à voir son malafoutier, note le narrateur : « [L]es vivants ne devaient faire de visite à aucun mort dans la Ville-des-Morts » (IB : 110). Cependant, après maintes supplications, l'Ivrogne retrouve son ex-tireur de vin de palme à qui il confie tous ses malheurs causés par le manque de vin. Il lui fait part également de toutes ses mésaventures dans la brousse et le prie de rentrer, avec lui, dans sa ville natale.

Cette demande n'est pas exaucée, « parce qu'un mort ne pouvait vivre avec les vivants et que leurs caractères ne sont pas les mêmes» (IB : 114). En revanche, le malafoutier offre à son ancien maître un oeuf à «garder aussi précieusement que de l'or» (IB : 114), et qui doit lui fournir tout ce dont il aura besoin au monde.

Sur le chemin de retour, ce sont les mêmes péripéties du voyage qui resurgissent, auxquelles le héros oppose non seulement sa ruse et son bon sens, mais aussi le secret de ses gris-gris. Arrivé sur la terre de ses aïeux, il est désolé de trouver le pays dévasté par la famine suite à la colère de « Ciel [qui] empêche la pluie de tomber sur la terre» (IB : 136). Mais, qu'à cela ne tienne ! Il y a un oeuf magique pour nourrir les affamés : « [I]l produit de quoi manger et de quoi boire pour tous ces gens, si bien que ceux d'entre eux qui n'avaient pas mangé depuis un an, mangent et boivent tout leur soûl et emmènent le reste de [...] nourriture, etc., chez eux.» (IB : 137-138)

Il y aura, enfin, la réconciliation entre le Ciel et le Sol au prix d'un sacrifice offert à Ciel. Il pleuvra alors à l'accoutumée. La famine sera enrayée à jamais ; le bonheur et la prospérité se réinstallent dans le pays.

Voyons maintenant le système des personnages dans L'ivrogne dans la brousse.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille